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sur 594 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Quand on garde dans le formol le doigt de sa chérie qui vient d'être assassinée, avec une bague enfilée dessus, on ne doit pas être étonné de se retrouver condamné par la justice et enfermé dans un hôpital psychiatrique surtout si on s'appelle Oscar Matzerath.»

C'est à partir du récit autobiographique d'un nain que le Tambour nous déroule un demi-siècle d'histoire allemande. Son auteur Günter Grass, nous brosse l'histoire d'Oscar qui ayant décidé de ne plus grandir à l'âge de trois ans, sera le témoin malgré lui d'une société qui verra naître le nazisme et son corollaire la deuxième guerre mondiale. Cette vision infantile va permettre à l'auteur d'aborder tous les sujets d'histoire, de philosophie, de religion et de société avec beaucoup d'ironie, de sarcasme voire d'être blasphématoire pour nos yeux d'adultes. La taille du narrateur (exploité dans le film de Volker Schlöndorff sorti en 1979) l'aidera à se glisser sous les lits, les tables, le podium des tribunes et d'être ainsi aux premières loges du désordre civilisationnel mondial.

En s'appuyant sur une chronologie linéaire, le roman de 650 pages avec ses 46 chapitres regroupés en trois livres nous embarque dans une fresque historique et familiale qui débute des années 1900 pour finir à celles de 1950 avec la division de l'Allemagne en deux blocs séparés par le fameux mur dit de la honte. Avec beaucoup d'humour noir et d'ironie sans oublier une bonne part de sacrilège, Günter Grass aborde sans fioriture la montée du nazisme dans son pays avec une part de culpabilité autant qu'une volonté d'expiation collective qui sera nécessaire au grand nettoyage des consciences de l'après-guerre. Sorti en 1960, traduit par Jean Amsler, professeur agrégé d'allemand et spécialiste de l'auteur, le roman possède un style et une écriture qui lui sont propres. En effet, les mots se bousculent et se télescopent au point de noyer le lecteur. Si les personnages sont nombreux, ils apparaissent dans chaque chapitre comme des gens simples, de la vie de tous les jours. Avec Günter Grass, on est plus proche du roman picaresque que des envolées lyriques du romantisme classique allemand. (Eh oui Oscar/Günter n'est pas Goethe qui veut).

Chez Oscar, il existe une dualité constante entre réalité et fiction. L'auteur mélange volontairement ces deux aspects dans l'univers de son personnage principal. Cette antinomie est accentuée dans l'écriture du roman par un Oscar qui utilise à fois le je / il pour s'exprimer ou se désigner. Cela donne l'impression d'assister à une histoire à la fois subjective et objective. Oscar devient l'acteur et l'observateur de sa propre vie, de sa propre expérience. Il peut ainsi prendre de la hauteur sur ses décisions et ses actes. le vrai se mêle au faux en devenant une sorte de thérapie nécessaire à cette expiation qu'il recherche contre ses propres dérives comme celles du peuple allemand avec le nazisme. Ce besoin de repentance ira jusqu' à confier sa plume à son infirmier Bruno ou à son meilleur ami Vintlar afin de mieux préserver une certaine objectivité au risque de brouiller les cartes de la réalité.

La famille a aussi une place importante dans le roman de Günter Grass. C'est son refus de grandir et sa volonté de rester dans le noyau familial qui donne à Oscar cet amour immodéré et malsain. Il faut se rendre à l'évidence, Oscar en mettant sa « pauvre » maman Agnès sur un véritable piédestal, donne au texte sa forme de roman familial. le tambour qu'elle lui offre à ses 3 ans, sera comme un prolongement de cette filiation maternelle qu'elle est d'ailleurs la seule à comprendre et à reproduire à l'infini par des achats compulsifs et répétés. Ce tambour sera pour longtemps, son seul moyen de communication avec le monde extérieur car chez Oscar la voix n'est qu'un cri, un cri « vitricide». Si les figures maternelles sont importantes dans le roman de Günter, les représentations paternelles (le père naturel comme le putatif) sont caricaturées et même vouées à la destruction. Comme un Oedipe moderne qu'il est, il n'aura de cesse de vouloir leur mort.

Chez Günter, l'absolution du peuple allemand qui doit permettre la renaissance d'une Allemagne moderne et démocratique, passe par la grande histoire collective (Ein Reich) et la petite histoire familiale (Ein Volk). Mais pour permettre une rédemption salutaire et définitive, une troisième voie était nécessaire : celle de la Religion (Ein Führer). C'est encore par l'intermédiaire d'Oscar que va s'inscrire cette approche divine et messianique. Oscar en s'identifiant au Christ, va usurper son rôle et devenir un faux Jésus. Il s'appuiera sur une bande de voyous devenus les apôtres embrigadés d'une fausse religion. En jouant avec la symbolique chrétienne, Oscar/Günter va utiliser celle-ci pour réaliser et assouvir ses propres désirs de destruction et de mort. L'amalgame est vite fait avec le diable en chemise brume. Cet homme quelconque, petit bourgeois, transfiguré par sa ténébreuse mission qui deviendra Adolf Hitler : le rêve de 60 millions d'hommes avant de devenir leur pire cauchemar.

Grâce au Tambour, on apprend que l'important est de se remémorer les détails les plus insignifiants de sa vie, de son passé car c'est uniquement grâce à ces souvenir qu'on arrive à oublier son passé, à le purger de ses démons, à le maîtriser pour l'empêcher enfin d'interférer dans son présent. Comme le Phoenix ressuscitant de ses cendres, Günter nous invite à vaincre sa fameuse Sorcière noire comme les allemands ont vaincu le nazisme. Cette analyse psychiatrique reste au goût du jour et fait du Tambour un roman d'actualité. En ces débuts agités du XXI siècle, il demeure une lecture qui reste avant-gardiste et pleine de promesses pour l'avenir. C'est une LC qui a permis de nous poser beaucoup de questions et pour laquelle je remercie les Indy, Sandrine, AnnaC, MarieC, AnneSo, Berni, Delphine, Jonathan, Chrystèle et Isa de m'avoir accompagné tambour battant.

Le livre de Günter Grass restera pour moi un « Jumanji » de la littérature car même refermé et déposé sur son étagère, ce pavé continue, si on tend bien l'oreille, à faire entendre encore et encore, les roulements incessants de l'instrument musical d'Oscar pour nous rappeler constamment que rien n'est encore acquis pour nos jeunes démocraties modernes…

« Que dire encore : Né sous lampes électriques, croissance délibérément interrompue âge de trois ans, reçu cadeau tambour, massacré verre, flairé vanille, toussé dans églises, donné sandwiches Lucie, observé fourmis, décidé grandir, enseveli tambour, émigré vers Ouest, perdu Est, appris métier marbrier, posé Académie, retrouvé tambour et inspecté béton, gagné grosse galette et gardé le doigt, donné doigt et pris fuite, traqué à tort, escalator, arrestation, condamnation, internement, puis acquittement ; or voici que je fête mon trentième anniversaire et j'ai toujours peur de la Sorcière Noire. – Amen. »
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A travers le récit autobiographique d'un nain né près de Dantzig, "Le Tambour" jette un regard insolite sur l'histoire allemande, pendant la première moitié du vingtième siècle, . Ce procédé permet à Gunther Grass de s'appuyer sur une vision infantile pour développer un ouvrage étonnant, fourmillant d'humour noir.
Oscar Matzerath, le personnage principal, ayant décidé à l'âge de trois ans de ne plus grandir pour ne pas ressembler aux adultes, raconte ce dont il a été le témoin de sa hauteur de 94 centimètres. Caché sous les tables, les lits, les tribunes, il est un témoin privilégié du désordre du monde. Il est au moment de se souvenir interné dans un établissement psychiatrique.
On voit donc grouiller un univers grotesque et mystérieux dont la logique n'est pas la nôtre, mais qui éclaire le monde et les hommes mieux que les récits auxquels nous sommes habitués.
Portrait de l'Europe pendant la montée du nazisme, cet ouvrage est pour moi fondamental, essentiel, incontournable. Je manque d'ailleurs de qualificatifs pour exprimer véritablement ce que j'en pense. Non seulement ce livre est original, innovant, osé, bien documenté, d'un style carrément nouveau (publié en 1958) mais il est en plus très agréable à lire ( dans ses traductions les plus récentes – Il semblerait que les premières éditions en français n'aient pas été toutes aussi réussies).
Prenez le temps de le lire, (je l'ai fait personnellement deux fois) C'est de la très belle littérature.
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Le monde des adultes est laid du côté de Dantzig dans les années trente, et Oscar décide à trois ans de cesser de grandir. Ce roman est le récit par Oscar de l'histoire de sa famille, depuis la rencontre de ses grands-parents maternels jusqu'à ses trente ans en 1954. Et évidemment à travers ce récit, l'histoire de l'Allemagne. Oscar est un narrateur peu fiable, fantasque, qui parle de lui-même tantôt à la première personne, tantôt à la troisième personne, de façon imprévisible (parfois dans la même phrase). Il culpabilise pour la mort de ses parents alors que son récit ne va pas vraiment dans le sens d'une responsabilité sérieuse. le récit est grosso modo chronologique, mais pas tout à fait linéaire car il y a quelques allers-retours entre le passé et le présent d'Oscar (en 1954 dans un asile). Oscar n'est pas particulièrement attachant, il est trop cynique pour cela, et s'il rejette l'hypocrisie et les compromissions des adultes, il finit par se comporter de manière égoïste et opportuniste. Les autres personnages sont encore moins sympathiques. Mais quel style! Très novateur à l'époque, il a influencé bien des écrivains depuis : Gabriel Garcia Marquez, Michel Tournier, John Irving, Mario Vargas Llosa, Salman Rushdie, .... Pour peindre l'évolution de Dantzig au fil du temps Günter Grass s'est attaché à des petits détails (par exemple le portrait de Beethoven remplacé par celui du Führer dans le salon). Tous les événements historiques sont vus d'en bas, à hauteur d'enfant, d'adolescent ou de petites gens. le roman est plein de scènes extraordinaires, burlesques et mémorables : le début avec sa grand-mère kachoube, la pêche des anguilles, la poudre effervescente, l'attaque de la Poste polonaise, … C'est tout à la fois grotesque, sacarstique, burlesque, baroque, vertigineux ! La seule scène que j'ai peu apprécié est la scène hallucinatoire à connotation biblique où le Jésus d'une statue prend vie, pour moi cette scène frise le ridicule et me laisse perplexe contrairement aux autres. Bref, le style est déroutant jusqu'au bout avec une distorsion du temps, complètement étiré, lors d'une sortie du métro par l'escalator. Dire qu'en plus c'est le premier roman de l'auteur ! Comment se peut-il que ce roman ne figure ni dans les indispensables du Monde ni dans la liste de la BBC ? Pour moi c'est un roman majeur, à lire absolument !
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Arrivant à la fin du bouquin, je dis à mon fils: "en tout cas c'est sûr je veux revoir le film! Tu le regarderas avec moi?
-Ben de quoi ça parle?
-De quoi ça parle? Ca parle d'un homme, enfin non d'un garçon qui décide d'arrêter de grandir à 3 ans, mais qui devient quand même un homme, et qui s'exprime en jouant du tambour, et qui brise tout le verre autour de lui en criant s'il veut... euh... et ça se passe pendant la deuxième guerre mondiale...
Bon en réalité vu sa tête au fur et à mesure que je m'enfonçais, je ne suis même pas arrivée jusque là! Donc bref, je compte sur votre culture littéraire pour ne pas aller plus loin dans le résumé.
Ce que j'en garde: un roman à la narration perturbante, un destin incroyable, un point de vue sur la guerre côté est, avec la situation particulière de Dantzig dont je viens de découvrir l'histoire.
Oscar, notre personnage qui ne mesure que 83 cm et a gardé son visage d'enfant, nous fait le récit de ses souvenirs de son lit d'hôpital, remontant jusqu'à la conception de sa propre mère, une naissance inscrite dans la légende. D'Oscar, on comprendra très vite que ses paroles ne disent pas tout: il est ce qu'on appelle en littérature un narrateur non fiable et c'est en grande partie ce qui fait le terreau de ce récit. Qui est-il vraiment? C'est difficile à dire, tout comme il est impossible à cerner vraiment.
Il traverse les décennies alors qu'autour de lui c'est l'hécatombe. Son existence même est un miracle, tout comme ce qu'il accomplit au long de ces trente années et au final, on tourne la dernière page sans être certain de ce qu'on a lu.
Je ne peux qu'admirer cette maîtrise du récit modernement picaresque, en particulier quand on sait que c'est le premier roman de Günter Grass, je ne vais pas m'arrêter en si bon chemin et continuer mon exploration de son oeuvre.
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Le XXème siècle est maintenant terminé depuis plus de quinze ans et il est tentant de vouloir dresser des listes définitives des plus grands chefs d'oeuvre du siècle. Indubitablement, le Tambour devrait figurer dans cette liste.

Chef d'oeuvre parce qu'il raconte ce XXème siècle en s'intéressant à l'évènement historique charnière qui le coupe en deux, la Seconde Guerre Mondiale, mais qu'il le fait dans un lieu original tel que Dantzig devenu Gdansk et du point de vue d'un personnage principal atypique que je vous laisse découvrir à la lecture.

Chef d'oeuvre parce que la narration et le style sont tout à la fois riches mais fluides, originales mais familières, qu'ils font penser à Proust dans ses introspections, à Mann pour l'âme allemande mais curieusement aussi à Garcia Marquez pour le baroque, la fantaisie, la sensualité. Faire penser à un auteur qui nous a succédé c'est sans doute une bonne mesure du poids d'une oeuvre sur son siècle.

Chef d'oeuvre enfin parce qu'avec toutes ses qualités littéraires et toute sa recherche stylistique, ce livre n'a pas oublié de raconter une histoire, n'a pas abandonné l'idée de nous faire aimer ou détester des personnages et parfois les deux à la fois, ne s'est pas contenté de rechercher l'art pour l'art mais nous a emporté avec lui dans l'espace et dans le temps pour nous conter notre histoire à travers la sienne.
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M.Grass est parti ce jour et je réalise que je n'avais déposé aucune critique sur son oeuvre ...
Cet opus j'y suis venu sur le tard , vers 20 ans .
Un livre comme celui - ci il n'y en à pas beaucoup .
Il y a ici une histoire tellement forte que l'on en sort pas indemne .
Le concept même est incroyable .
Cet être bizzare qui ne veut pas grandir , Grass fait partager sa folie au lecteur .
Une folie qui n'est pas douce , et qui au fond s'avère être le reflet de la folie du monde sous le nazisme .
On à beau reprocher à Grass d'avoir était membre de la terrible waffen SS , il n'en est pas moins vrai qu'il fait partie des rares auteurs à avoir produit une oeuvre qui projette le lecteur au coeur même de cette folie .
Ici on est pas sur TF1 et Pernaut ne raconte pas de jolies histoires du village , ici on est en plein dans l'horreur d'un monde devenu dément , ou un être à part , lui même particulièrement dément , nous fait découvrir ce qu'un pays peut devenir si le populisme , la démagogie , le nationalisme viennent à triompher .
Il y a ici une urgence dans les mots , un besoin impérieux de crier à la face du monde la réalité d'une vie , la réalité d'un pays dans un contexte extraordinaire. Ou la démence est maitresse.
Il est probable que Grass à fait ressortir dans ce personnage , dans cette oeuvre dantesque , ce qu'il à vécu lui même , pris au piège d'un totalitarisme barbare , qui avait pour chef un monstre à visage humain.
Grass à mis longtemps à reconnaitre qu'il avait était à l'époque dans la waffen SS , il est probable que cet opus malade , d'une violence psychologique rare , que ces pages imprégnées de la folie furieuse d'une époque , que tout cela soit au final sa confession .
Il y a peu de livres qui doivent absolument étres lus , celui ci en est , pour que l'on oublie jamais que le nazisme , la Shoah , que ces abominations ne sont pas des détails de l'histoire .,
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Die Blechtrommel
Traduction : Jean Amsler
Présentation : Jean-Pierre Lefebvre

Ceux qui sont en quête d'un tableau réaliste de l'Allemagne de l'Entre-deux-guerres, du IIIème Reich puis de l'immédiat Après-guerre seront certainement déçus et plus encore déroutés par la lecture de ce livre brillant, matois, chargé jusqu'à la gueule d'un humour étrange, tour à tour féroce et nostalgique, et par-dessus tout hanté par les fantasmes et un onirisme qui refuse éperdument de regarder la Vérité en face.

Car "Le Tambour" raconte, sous forme d'une fable qui flirte ouvertement avec l'absurde et le non-sense, le refus d'une certaine Allemagne de regarder la Vérité en face alors que cet acte, si elle l'avait accompli, l'aurait peut-être sauvée. Mais, tout comme Oscar, le héros du livre, c'est volontairement que l'Allemagne a choisi l'incapacité et une forme de passivité sous le grand vent de l'Histoire qui devait lui coûter pendant de longues années la moitié de son territoire d'avant-guerre.

Tel est, en tous cas (et à ce qu'il nous a semblé, bien sûr ), le propos de Günter Grass dans ce livre qui, en 1959, le "lança" définitivement sur la scène littéraire allemande mais aussi européenne et même mondiale.

Raconter "Le Tambour" est chose impossible. Qui oserait se substituer à Oscar, bébé d'une précocité telle qu'il décide, à trois ans, de ne plus grandir et, pour expliquer aux adultes ce défaut de croissance, imagine une chute débaroulante dans l'escalier menant à la réserve de boîtes de conserve de son père officiel, l'épicier Matzerath ? IIIème Reich ou pas, guerre ou pas, défaite ou pas, Oscar ne renonce jamais à son statut de narrateur quasi omniscient. C'est son histoire à lui que prétend raconter contre vents et marées cet égocentrique, si dégoûté par tout ce qu'il contemple à l'extérieur (sauf sa mère, peut-être) qu'il préfère le plus souvent ne communiquer avec autrui que par les roulements de son éternel tambour en fer-blanc décoré de rouge.

Que cette histoire mouvementée, qui évoque plus d'une fois un film mélangeant allègrement des vues expressionnistes à la Caligari à celles, outrées, provocantes, choquantes et géniales d'un Fellini, suive la voie empruntée en Allemagne par tous ceux qui fermèrent les yeux dans l'espoir qu'ils pourraient ainsi continuer à avancer dans la boue et le sang sans se salir le moindre brin d'âme et de mémoire, Oscar ne le reconnaîtra jamais. de temps à autre pourtant, il glisse une phrase ironique sur le bonheur qu'il éprouvait à aller fausser de ses notes tambourinantes les hymnes nationaux-socialistes, ou une allusion guindée, qui se refuse elle aussi à penser trop loin, au sort qui aurait été le sien si son père avait accepté, dans les jours apocalyptiques de la fin du conflit, de le confier aux autorités médicales nazies. Mais c'est tout.

Spectateur indifférent et passif en apparence, Oscar est en fait un survivant avisé qui, au prix d'une vie marginalisée, tronquée même à dessein, a traversé sans trop de soucis un demi-siècle qui fut pour son pays un véritable enfer de misère, de doutes et d'horreur. Doit-on l'admirer pour le génie avec lequel il a su se maintenir "au-dessus de la mêlée" ? Ou n'a-t-il droit qu'à notre mépris pour sa lâcheté et sa fuite constante, acharnée devant les responsabilités ? Qu'il termine ses jours dans une institution psychiatrique ne signifie rien en soi puisqu'il y a été placé non pas en raison des bizarreries passées et présentes de son surprenant parcours mais parce qu'il a commis un meurtre et conservé de la chose un macabre trophée. Jugé irresponsable pour le meurtre qu'il a bel et bien commis, Oscar l'est-il pour tous ceux sur lesquels, par la force des choses et par la seule volonté de se préserver de l'extérieur, il a fermé les yeux ?

Roman touffu mais jubilatoire, qui recèle, sous sa poésie, son ironie et l'absurdité de certaines situations imaginées par l'auteur, une réflexion authentique sur la lâcheté et sur le degré de déresponsabilisation volontaire qu'elle implique, "Le Tambour" est d'une lecture beaucoup moins facile qu'il n'y paraît. C'est cela qu'il faut garder à l'esprit quand on s'y enfonce pour la première fois et que, par conséquent, il réclame énormément de la part de son lecteur. ;o)
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Le héros du roman, et narrateur, Oscar, est un nain poméranien (il a à vingt ans l'aspect d'un enfant de trois ans), pensionnaire d'un asile psychiatrique. Il a obtenu de l'établissement l'autorisation de taper sur son tambour (un jouet en tôle, rouge et blanc), trois ou quatre heures par jour; tambour magique qui bat pour Oscar le rappel de ses souvenirs, réels, imaginaires ou plus souvent encore mixtes. Et, à l'aide de son tambour, Oscar évoque dans une épopée à la fois grotesque et grandiose l'histoire de ses ascendants et la sienne propre, c'est-à-dire toute l'époque 1900-1954 en Allemagne et en Poméranie : la guerre de 1914, la période de crise et de folie, la naissance du régime nazi et des escouades S.S., la seconde guerre mondiale et ses suites. Grâce à son tambour, Oscar voyage à travers 'Europe et l'évoque tout aussi magiquement. Sa dernière évocation, à la suite d'une aventure à laquelle s'intéresse Interpol, sera celle de la Sorcière Noire, la mort.
Ce roman est une oeuvre puissante et originale, mélange extraordinaire de réalités et d'imaginations déchaînées par son humour très personnel et ses foisonnantes obscénités. Roman puissant et d'une originalité rare, style extraordinairement adapté aux évocations des grandes folies de l'Histoire et d'un érotisme souvent cru.
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A sa sortie en 1959, « le Tambour » (« Die Blechtrommel ») fit une énorme sensation, à la fois dans son pays d'origine (l'Allemagne) et dans le monde entier. Si nous nous replaçons dans le contexte, finalement, il n'y a pas de quoi s'étonner : l'Allemagne d'après-guerre sortait à peine du chaos, et était encore divisée : ceux qui avaient honte, pour qui le nazisme, ils s'en rendaient compte à présent, était une abomination ; et ceux qui plus froidement, regardaient le passé dans une perspective purement historique, voire pour certains carrément symboliste, ou bien onirique, c'est-à-dire un cauchemar dont on s'est réveillé. Pour les uns comme pour les autres, « le Tambour » fut un choc.
C'est la vision dans les années 50, d'un enfant de trois ans avec un tambour autour du cou qui a hanté l'auteur, alors en panne d'inspiration. Puis l'idée est venue : un récit autobiographique des années noires, mais vu d'en-bas, en contre-plongée, du point de vue d'un gamin haut comme trois pommes. Ce point de vue narratif est déjà, en soi, un pied de nez à l'écriture romanesque traditionnelle. Mais ce n'est pas le seul : Oskar Matzerath (l'enfant au Tambour, param pam pam pam ) écrit ses mémoires du fond d'un asile d'aliénés, ce qui, pour le lecteur, jette un voile d'incrédibilité sur son témoignage. Important quand on pense que le sujet n'est autre que les années 1920 à 1950, période qui pour ce pays en particulier, n'est pas tout à fait anodine… Pour couronner le tout, le ton employé tient à la fois de l'absurde, de la dérision, de la satire, et en même temps du réalisme le plus noir, complaisant dans l'excès, bref il y a de tout dans ce livre, et à haute dose, ce qui donne une impression générale de cacophonie bizarre.
Et c'est bien ce que veut rendre l'auteur : Oscar, du haut de ses trois ans, évolue dans un monde où les idées ne comptent pas, où seules comptent les sensations. Cette innocence lui permet de garder un oeil neuf sur ce qui se passe autour de lui. Il est comme dans un manège où tout tourne autour de lui, mais personne ne sait si le manège va s'arrêter, ni quand, ni comment.
Le roulement du tambour sur lequel il joue à perdre haleine est à la fois un cri d'alarme et un cri pour ne pas s'entendre crier. Oskar raconte tout ce qu'il voit et ce qu'il ressent : les turpitudes de ses proches, ses aventures de tous ordres pendant ses pérégrinations à travers la guerre, il dit tout avec une verdeur pittoresque, certes, mais pas toujours bien venue. Gunther Grass, pendant des années (avant que « le Tambour » soit devenu un livre-culte, et adapté au cinéma), sera en butte à des attaques incessantes pour pornographie, obscénité, nihilisme, sans préjuger de toutes les arrière-pensées politiques qu'on lui prêtées.
Certes, il n'est pas innocent : si « le Tambour » est aujourd'hui considéré comme un chef-d'oeuvre de la littérature mondiale, il faut bien reconnaître qu'il n'est pas à mettre entre toutes les mains, et que Oskar n'est pas un modèle comme Tom Sawyer ou Oliver Twist…Quant au point de vue politique, ce n'est pas tant les nazis ou les antinazis que vise Grass, c'est plutôt l'atmosphère d'ignorance, de résignation, de veulerie, de pusillanimité du peuple allemand qui a laissé le chemin libre à Hitler et ses comparses.
« le Tambour » est un de ces livres dont on a du mal à se remettre : la lecture n'est pas spécialement difficile, mais il faut s'habituer à ce style éclaté, et surtout à ce ton d'ironie mordante, vacharde qui vous fait souvent rire jaune et penser : oh ben là il y va fort. Mais passé ce petit effort de concentration, je vous garantis que vous serez emballés par le mouvement et la puissance évocatrice du roman.
Et si vous n'avez pas tout saisi, allez voir le film de Volker Schlöndorff, qui en est la meilleure illustration.

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un protagoniste qui fait chier a tout le monde sauf au lecteurs
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