Livre important. Passionnant. Touchant. J.-P.Guéno y a pensé pendant 5 ans et en a mis 2 à finaliser son travail. Comment une telle somme sera reçue ? Après avoir lu ces témoignages très divers, j'ai éprouvé une sorte d'accablement plein d'empathie. Une mélancolie en forme de « dommage ». Car ici, à mon avis, ce ne sont pas tant les prêtres “”tels qu'ils sont” qui s'expriment… mais tels qu'ils “se rêvent” si… si l'Église… si la Tradition… etc. En somme, les derniers des Mohicans ! J'exagère, mais c'est mon ressenti.
Au long de ces 496 pages, j'ai senti un HIATUS entre les prêtres de base et l'Institution en surplomb : ici le courage des pasteurs confrontés à leur solitude, au célibat forcé, au risque d'identification injuste suite à divers scandales, surtout leur amour fervent pour les plus paumés (beau chapitre intitulé « Ouvrier »), et là l'obsession de l'institution, ancrée dans son cléricalisme immuable et rigide. Ceci dit, j'ai trouvé habile l'accès par des « entrées » — vocation, sermons, poète, etc.— avec parfois une impression d'auberge... italienne et aussi des surprises. Par exemple, à la rubrique « Foi », le premier des 2 (seuls) textes brefs est une imprécation d'un auteur ex-prêtre et apostat notoire ! Surprenant, non ? Une autre lacune : consacrer une seule page à « Homosexualité », c'est un peu court quand on sait qu'à peu près 60% du clergé catholique est gay, certes non assumé (cf. le providentiel livre Sodoma). J'en viens à MA découverte du prêtre
Arthur Mugnier (1879-1939). À elles seules, les deux phrases qui vont suivre disent tout de l'écartèlement quasi constant entre l'individu et l'Institution, autant aujourd'hui qu'hier : « Pauvre vie que celle du vicaire ! Je suis toujours profondément triste. Nous défigurons la religion dans nos paroles et dans nos actes. » ET « L'enthousiasme a été le meilleur de ma vie ! » (fin de son Journal, le 27/11/1938). Sauf que l'enthousiasme, l'abbé Arthur le trouvait "ailleurs"… Alors, oui ou non, l'enthousiasme est-il au rendez-vous de ces témoignages ? Oui ET non. Car la lucidité y est trop acérée, trop poignante aussi (Cf. le chapitre "Réduction"... à l'état laïc !).
Cet enthousiasme, je ne l'ai donc pas ressenti, malgré des pages lumineuses et quelques « entrées » courageuses : Réfractaires, Emprise, Migrations, Femme, Pédocriminalité… Mais là, parce que ça fait trop mal ; Guéno n'a pas appuyé, se souvenant qu'il est essentiellement un historien-sociologue.
Il n'empêche, tel quel, après son « Paroles de poilus », voici un livre kaléidoscopique, plus que prophétique, qui vient à son heure : utile, contrasté, surtout généreux, dans tous les cas incontournable et surtout d'utilité… ecclésiale !
Mais, comme en 14-18, nos 59 fantassins parfois "sacrifiés" seront-ils entendus ? L'Histoire bégaiera-t-elle ? Comme conclut un prêtre helvète encore jeune (p. 92) : « François aura-t-il la possibilité d'ouvrir toutes ces questions ? J'en doute fort… »