Il nous paraît contradictoire de supposer qu'une classe existe sans prendre conscience d'elle-même. Rien n'empêche un historien ou un sociologue de distinguer dans une société beaucoup de groupes, en tenant compte des ressemblances et des différences extérieures ou apparentes entre leurs membres : mais de tels « rangements » ont chance d'être le plus souvent artificiels, si on ne se préoccupe pas avant tout de l'attitude et des dispositions collectives des hommes.
Dans une société avant tout orientée vers un idéal politique, et d'ailleurs
fortement organisée, les membres d'un groupe souffriront plus de se voir privés du droit de vote ou de délibération que de subir une perte matérielle quelconque : c'est que la richesse pure et simple ne permet pas alors de prendre sa part des émotions, des joies et des peines collectives les plus intenses en une telle cité, et d'élargir sa pensée et son action en les confondant ou les confrontant avec celles des hommes assemblés.
Prendre conscience de soi, pour une classe, c'est reconnaître à quel niveau social elle se trouve, et c'est par suite se représenter par rapport à quoi, à quels privilèges, à quels droits, à quels avantages, se mesurent ces niveaux et se détermine cette hiérarchie.