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P. J. Herr (Traducteur)Renée Vavasseur (Traducteur)Marcel Duhamel (Traducteur)
EAN : 9782070406517
288 pages
Gallimard (23/10/1998)
3.8/5   152 notes
Résumé :
En période pré-électorale, il s'agit de ne pas faire de vagues. Dans l'ombre, Madvig tire les ficelles, car hommes politiques et fonctionnaires, tout le monde est à sa botte.
Le fils du sénateur Henry, dont il soutient la candidature, meurt dans des circonstances suspectes et la rumeur publique colle ce décès sur le dos de Madvig. Mais allez donc demander à un cadavre de porter le chapeau.
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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La Clé de Verre, c'est encore du très bon Dashiell Hammett ; c'est encore l'Amérique de la Prohibition comme si vous y étiez ; c'est encore un tempo à vous couper le souffle si l'on considère que l'oeuvre fut écrite en 1931, soit il y a bientôt quatre-vingt-cinq ans.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des livres écrits il y a autant de temps et dont le rythme arrive encore à vous tenir en haleine, vous qui êtes désormais habitués à des romans qui vont à deux cents à l'heure avec des intrigues à échafaudages multiples (un peu comme le Centre Pompidou mais en plus beau).

Cette fois-ci, Dashiell Hammett nous convie auprès des gros bonnets de la politique dans une ville d'importance moyenne qu'il nous laisse le soin d'imaginer et qui s'inspire probablement de plusieurs villes réelles compilées. Cette écriture est contemporaine de la prohibition, bien sûr, mais aussi du tout début de la Grande Dépression des années 1930 suite au fameux crack boursier de 1929.

Cette ville est largement corrompue et gangrenée par les cartels de bootleggers qui se partagent la ville et qui essaient de se dévorer les uns les autres. Paul Madvig est un politique important de la ville (on ne sait pas au juste quelle fonction il occupe, mais très certainement proche de celle d'un maire) doublé d'un tenancier de speakeasy, ces lieux prohibés où l'on servait de l'alcool de contrebande et où l'on se faisait de l'or (lorsqu'on était le gérant, bien sûr, les consommateurs, eux, y perdaient plutôt).

L'auteur a choisi pour nous servir de narrateur Ned Beaumont, l'homme de main, le conseiller politique et le bras droit de Madvig. Ce n'est pas un détective privé mais il en a plus ou moins toutes les caractéristiques : il voit tout légèrement avant tout le monde et n'a pas froid aux yeux. C'est un atout indispensable dans la manche du politique. Par contre, c'est un joueur invétéré et qui ne refuse jamais de s'envoyer un verre ou deux derrière la cravate.

La ville est sur des charbons ardents puisque la période des élections arrive au grand galop et que tout le monde cherche à placer ses pions, soit pour conserver ses positions, soit pour en gagner de nouvelles. C'est le cas, par exemple, de Shad O'Rory, principal opposant à Paul Madvig dans le contrôle de la vente illicite d'alcool. le moment est donc mal choisi pour un scandale susceptible de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.

C'est précisément ce qui se passe lorsque le fils d'un sénateur très proche de Madvig est retrouvé mort à deux pas du logement de ce dernier, lui qui est candidat à sa propre succession. C'est d'ailleurs Beaumont qui découvre le corps sans vie de Taylor Henry un soir où il se rend chez son patron.

Cette enquête s'avèrera, comme vous pouvez vous en douter, un véritable sac de noeuds. On y apprendra que le jeune Henry avait une liaison secrète avec la fille de Madvig et que Madvig est, quant à lui, raide dingue de la fille du sénateur, soeur donc de l'homme retrouvé mort auprès de son domicile.

Quelle part les affaires sentimentales tiennent-elles dans cette affaire ? Ne comptez pas sur moi pour vous le révéler. Et que dire de la place tenue par le monde des affaires et de la politique dans cet imbroglio ? Vous n'en saurez pas davantage, à moins que vous ne décidiez de mener vous-même l'enquête.

En somme, un très bon roman noir, qui mêle habilement la politique, le business, les histoires sentimentales et le parfum de l'air du temps aux États-Unis au tournant des années 1920-1930. Je lui reproche simplement, après un début et un milieu que je trouve excellents, un petit fléchissement aux alentours des deux tiers ou trois quarts de l'ouvrage, où l'on sent l'intensité chuter un peu, d'où mes quatre étoiles et non cinq. Mais l'ensemble demeure très agréable, plus encore que le Faucon Maltais, selon moi.

Ceci dit, ce n'est là qu'un avis très fragile, qui casse comme du verre, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Des mains aux jeux, des jeux de main… de vilains jeux, des jeux de vilain !

Allez-y ! Lancez ces dés rouge au craps, touchez ces billets froissés de 10 dollars au poker, cachez ces cartes de belote…

Si on s'en tient à la couverture de « La clé de verre » dont la traduction intégrale date de 2009 seulement, les jeux de table doivent avoir une place prépondérante dans le roman. A moins que l'auteur américain Dashiell Hammet nous propose plutôt un jeu de dupe…

Dans une ville de l'est des Etats-unis, l'élection du futur maire de la ville approche et Paul Mavig, politicien tirant les ficelles de la ville, soutient le sénateur Ralf Henry pour le poste tant convoité et préserver ainsi son territoire. Malheureusement, un soir, le fils du sénateur reste sur le ♦ dans une rue peu fréquentée de la ville.

Et coïncidence très surprenante, tombant à ♠ ce soir là, c'est le bras droit de Mavig, Ned Beaumont, qui découvre le fils sans vie du sénateur. Ned est le meilleur ami du politicien, affublant systématiquement la mère de Mavig d'un déconcertant « m'man » à chacune de leur rencontre.

Alors ! Qui l'a tué ? Comment l'a-t-on tué ? Pourquoi l'a-t-on tué ?

Ned Beaumont, officiellement chargé d'enquêter suite à un claquement de doigt de Mavig, se lance dans une très tumultueuse et dangereuse recherche du coupable du meurtre semée d'embuches. Autant dénicher un ♣ à quatre feuilles en pleine ville goudronnée…

Après avoir lu dernièrement des romans (« le dernier lapon » et « Etranges rivages ») où l'auteur ajoutait son grain de sel systématiquement pour décrire la psychologie de leurs personnages,

Dashiell Hammet joue au contraire la carte de la transparence.
Ainsi, toute découverture du récit passe uniquement par l'intermédiaire de Ned Beaumont à travers ses dialogues, ses gestes, son attitude.

Pour connaitre et appréhender chacun des personnages du livre (et ils sont nombreux), il faudra les rencontrer un à un en suivant Ned Beaumont du matin jusqu'au bout de la nuit, des oeufs brouillés du petit déjeuner au dernier verre d'alcool à trois heures du matin. Oui, oui, Ned a toujours la main sur le ♥ pour offrir un verre, même à son pire ennemi…

Pour conclure, ce roman mélange aisément intrigue policière, joutes politiques, castagnes à volonté, histoires d'amour alambiquées et trahisons en tous genres. Une fois la première partie assimilée pour connaitre l'ensemble des personnages, la lecture s'avère très plaisante dans un style très caractéristique et particulièrement bien écrit même si les ficelles de l'intrigue étaient un peu grosses sur la fin.

Sans le considérer comme un chef d'oeuvre comme tente de le vendre l'éditeur, j'espère que vous avez désormais toutes les cartes en main pour vous faire votre opinion sur ce roman de référence.

A découvrir plus pour le style que pour l'histoire proprement dite…


PS : Note de 4 - pour être précis
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Poker, craps, crabs and QBQ (question behind the question)
- KéCçà ?
- le titre de cette critique sur ce polar noir.
- ??? (il écarquille des yeux ronds marquant une totale incompréhension)
- Ah tu ne comprends pas l'anglais, dangereux ça. Dans les années trente en une ville moyenne de la côte Est : Baltimore ? Philadelphia ? New Haven ? tu n'aurais eu aucune chance. Alors comme un bon éditeur je te donne un titre en français
Descartes et QBQ (qui baise qui)
Je sais c'est un peu mauvaise langue car pour une fois le titre est exactement traduit.

Du beau linge mais pas que ; dans ce policier à l'ancienne nous suivons pas à pas les tribulations de Ned Beaumont qui le mènent des milieux de la politique, de la justice et de la police aux tripots et aux bas-fonds. de bonnes chaussures sont nécessaires pour arriver à suivre cette pointure, joueur professionnel, bras droit et conseiller d'un politicien en vue, bourreau des coeurs à ses heures, toujours prêt à se lancer dans un coup tordu quitte à se battre et en prendre plein la gueule et puis quelle descente !
- Ah, il est d'origine belge ton héro ?
- Euh, comprends pas.
- Il est particulièrement burné, non ?
- ???
- Beaumont dans les Ardennes
- Où tu vas là ! Il y a pas d'humour dans ce bouquin, pas de surréalisme, toujours entre gueule de bois et gueule enfarinée, toujours sur le fil du rasoir. Pas de jovialité, c'est dur, tout se paie cash. Capito ?

Bref, Ned Beaumont c'est un stratège d'une logique implacable qui cache bien son jeu et est drôlement fortiche au qui baise qui. Résultat, il se retrouve plus qu'à son tour dans de sales draps à force de fricoter entre le beau monde et les bas fonds. Dans cette ville de "province" près de New York, le territoire a été partagé par le milieu, luttes d'influence entre deux clans rivaux. Tous les coups sont permis. le linge sale se lave en famille ; c'est bien connu. Et le Ned l'on sent bien qu'il va faire une grande lessive, ... du moins s'il parvient à survivre. le QBQ, c'est psychologiquement dur au point que certains joueurs cherchent à quitter la partie en se suicidant.
- Bluffant tout simplement !
- Normal pour un joueur professionnel. Donc, tu as aimé.
- Absolument ! L'ambiance, le suspens et surtout...
- Les dialogues, évidemment.
- Magnifiquement bien emballé
- EmballéE^^
- Et puis cela avait beau être l'Amérique de la prohibition, futé comme il est le Ned buvait sans modération.
- Tttte , ttte, ttte c'est le roman qu'il faut déguster sans modération, enfin... si l'on est futé.

Une construction simple, maîtrisée, efficace, un policier à l'ancienne qui fait penser immanquablement à ces films en noir et blanc et leurs gros plans sur les regards : un modèle du genre.
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Dashiell et ton univers impitoyable : Prohibition, corruption, gangstérisme, jeux d'argent, violence, manipulation, trahison, amour et amitié… La « la clé de verre » c'est tout ça et plus encore : un style recherché, une structure complexe et aboutie, de la psychanalyse, un texte ouvert à l'interprétation du lecteur et un roman passionnant. Publié en France dans une édition tronquée et une traduction barbare, ce livre a en fait assez de tripes pour donner matière à des études critiques poussées. Et oui, derrière le roman de gare se cachait en fait un petit bijou de la littérature.

Dans une grande ville des États-Unis qui n'est jamais nommée, le sénateur Henry est en pleine campagne pour obtenir sa réélection à la tête de la mairie. Alors que l'échéance approche, son fils Taylor Henry est assassiné en pleine rue. Un malfrat à qui le jeune Taylor avait emprunté de l'argent et qui a quitté précipitamment la ville le lendemain du drame est d'abord suspecté. Les soupçons vont ensuite se porter sur Paul Madvig, ce qui est très fâcheux car cet homme d'influence, qui tire les ficelles dans les milieux politiques, économiques et criminels de la ville, s'est engagé aux côtés du sénateur Henry. Paul Madvig doit aussi faire face à un début de conflit avec un gang rival. Mais heureusement ; il peut compter sur l'aide de son ami Ned Beaumont, joueur invétéré, qui grâce à ses coups tordus et ses coups de génie va l'aider à se dépêtrer dans cette fange.

Le cadavre du fils d'un notable retrouvé de nuit dans un caniveau… Serions nous dans un « Whodunit », un roman policier à énigme où il s'agit de démasquer un coupable ? Non, Hammett nous a confectionné un roman 100% « hardboiled ». Si Ned Beaumont part à la recherche du premier suspect et cherche à lui « faire porter le chapeau », ce n'est que dans le but de le contraindre à lui rembourser les gains d'un pari hippique. le pragmatisme importe plus que la vérité.

Ned Beaumont n'est pas détective privé à la différence des personnages principaux des trois premiers romans de Hammett (le « Continental op. » et Sam Spade). Il se définit lui-même comme « un joueur professionnel et un parasite accroché aux basques d'un homme politique ». Rien n'est dévoilé de son passé si ce n'est qu'il vient de New York et que Paul Madvig lui a sauvé la mise à un moment compliqué de sa vie, il y a plus d'un an. Les deux hommes sont très proches. Ned Beaumont assume de manière informelle la fonction de conseiller et de bras droit de Paul. S'il utilise parfois la violence pour arriver à ses fins, il est tout à la fois un joueur et un calculateur qui écoute les présages et est capable de risquer sa vie sur un coup de poker pour débloquer une situation.

La ville nage dans la corruption. Paul Madvig, dont le vrai rôle n'est pas précisé, tient entre ses mains la police, la justice et la presse et cherche à obtenir l'appui des syndicats et des truands du cru pour assurer l'élection du sénateur. le pouvoir doit lui permettre de continuer à gérer au mieux ses intérêts et lui assurer une impunité totale.

Le roman a de nombreuses qualité littéraires. le récit comprend de nombreuses ellipses narratives. Les motivations d'un personnage ne sont pas données d'emblée, c'est au lecteur de les comprendre. La psychologie des personnages n'est pas décrite mais suggérée. le roman est le récit d'une quête de la vérité dans un univers où les non-dits et les mensonges pullulent. A noter l'importance de la description des deux rêves qui ont une signification essentielle pour la bonne compréhension du titre du livre et pour l'interprétation de la fin ouverte du roman.

Je conseille à tout lecteur qui souhaiterait découvrir l'univers de Dashiell Hammett de commencer par « la clé de verre ». Ce roman n'a pas les aspects trop marqués des titres précédents : un détective clairvoyant, une femme fatale et une intrigue alambiquée. La collusion entre la politique et la criminalité est dénoncée dans un récit qui n'a pas les côtés tonitruants de « Moisson rouge ». « La clé de verre » est à mes yeux le roman le plus abouti de Dashiell Hammett à défaut d'être le plus célèbre.
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Un autre roman noir de lu, un de plus... Cette addiction est sévère et mon médecin m'en a prescrit beaucoup pour le bien de ma santé mentale. En "traduction intégrale", pour bien faire, ce que je fis avec ce roman nouvellement traduit correctement !

Dashiell Hammett, je le connaissais de par "Moisson Rouge", alors je me suis lancée sur cet autre roman noir qui se passe dans le milieu politique et ses quelques magouilles...

Qui a tué le fils du sénateur Henry ? Nul ne le sait, pas même Ned Beaumont qui l'a trouvé gisant raide mort dans une ruelle sombre.

Pourtant, tous les regards se tournent vers Paul Madvig, le politicien qui tire les ficelles de la ville et principal soutien du sénateur dont il doit épouser la fille Janet.

Ned, bras droit (et gauche) de Madvig n'y crois pas trop et il décide d'enquêter à sa manière, qui est loin d'être très catholique...

Oubliez les enquêteurs classiques et traditionnels, munis d'une loupe et de petites cellules grises. Nous sommes dans un roman noir et l'enquêteur est aussi véreux que son politicien d'employeur.

L'atmosphère de cette Amérique des années 30 est sombre, remplie de magouilles, de guerre des gangs pour avoir la main mise sur la ville. On patauge dans les jeux politiques, toujours ambigus, on nage dans la corruption, on côtoie les gangsters, on s'amuse dans les tripots avec des jeux de hasard... On boit de l'alcool et on se prend quelques coups dans la tronche.

L'auteur ne nous épargne rien dans son récit : si Ned boit un verre ou dévore une omelette au bacon, on le saura. Idem s'il mâchouille un cigare.

Les protagonistes, nombreux, seront découverts au fur et à mesure, lorsqu'on suivra l'enquête de Ned Beaumont. Ils sont tous sombres et il n'y en pas un pour relever l'autre.

Nous sommes dans une sorte d'intrigue policière mâtinées de joutes politiques pour le pouvoir, où tous les coups, surtout les bas, sont permis. Niveau castagne, ça bastonne à fond, le tout sur fond d'histoires d'amour compliquées et de trahisons en tous genres.

Une écriture au cordeau, sans fioritures, brute de décoffrage et pour la première fois dans sa traduction intégrale. Avec un final assez "étrange", mais inattendu.

Pour ma part, j'ai préféré "Moisson Rouge"... mais ceci n'est que mon avis. En tout cas, si vous voulez découvrir le fameux "hard boiled", ce livre en fait partie.

Moi, je compte bien découvrir aussi "Le faucon Maltais" du même auteur.

Lien : http://the-cannibal-lecteur...
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
« Ned, tu ne m'as pas bien compris. Je ne t'ai pas demandé ce que tu en pensais. Je t'ai juste demandé quel genre de cadeau je devrais offrir à Miss Henry. »
Le visage de Ned Beaumont perdit sa vivacité et se changea en un masque un peu maussade. « Tu en es où, avec elle ? » demanda-t-il d'une voix qui ne laissait rien deviner de ses pensées.
« Nulle part. Je suis allé chez eux une demi-douzaine de fois peut-être pour discuter avec le sénateur. Parfois je la vois, parfois non, mais juste le temps de dire " Comment allez-vous ? ", ou quelque chose de ce genre en présence d'autres personnes. Je n'ai pas encore eu l'occasion de lui parler vraiment, tu sais. »
Une lueur amusée brilla un instant dans les yeux de Nad Beaumont, puis disparut. Il lissa un coin de sa moustache avec l'ongle de son pouce. « Demain, c'est ton premier dîner chez eux ?
— Oui, même si j'espère bien que ce ne sera pas le dernier.
— Et tu n'es pas invité à la soirée d'anniversaire ?
— Non. » Madvig hésita. « Pas encore.
— Alors ma réponse ne va pas te plaire. »
Madvig resta de marbre. « Mais encore ?
— Ne lui offre rien.
— Enfin, quoi, Ned ! »
Ned Beaumont haussa les épaules. « Fais ce que tu veux. Tu m'as demandé.
— Mais pourquoi ?
— Ça ne se fait pas d'offrir un cadeau à quelqu'un si on n'est pas certain que cette personne le désire.
— Mais tout le monde aime…
— Sans doute, mais ça ne va pas plus loin. Quand tu offres quelque chose à quelqu'un, c'est une manière explicite de dire que ton geste va être apprécié et…
— Pigé » fit Madvig. Il se frotta le menton de la main droite. Puis il fronça les sourcils et dit : «Tu as sans doute raison. » Son visage s'illumina. « Mais laisser passer l'occasion, c'est hors de question !
— Des fleurs, dans ce cas, ou ce genre de chose, proposa rapidement Ned Beaumont. Ça pourrait aller.
— Des fleurs ! Merde ! Moi, je pensais à…
— C'est ça ! Tu pensais lui offrir un coupé décapotable ou trois kilomètres de perles. Tu en auras l'occasion plus tard. Commence modestement, tu feras mieux après. »

Chapitre I : Le cadavre dans China Street, II.
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Jeff inspecta la pièce d'un regard de myope et s'étonna : « Où c'est qu'elle a bien pu passer, bon Dieu ? » Il lâcha le poignet de Ned Beaumont, retira le bras de ses épaules et demanda : « Tu vois pas de poule, ici, hein ?
— Non. »
Jeff agita la tête de haut en bas d'un geste pénétré. « Elle est plus là », constata-t-il. Il exécuta un pas mal assuré en arrière et enfonça son index sale sur le bouton de sonnette à côté de la porte. Puis, avec une petite arabesque de la main, il exécuta une révérence grotesque et dit : « 'Sieds-toi. »
Ned Beaumont s'assit à la table où régnait le moins de désordre.
« 'Sieds-toi sur le putain de fauteuil de merde sur lequel t'as envie de te poser », poursuivit Jeff avec un nouveau geste maniéré. « Si celui-là te plaît pas, prends-en un autre. Je veux que tu te considères comme mon invité, et tu peux aller te faire voir si ça te plaît pas.
— C'est un chouette fauteuil, commenta Ned Beaumont.
— C'est un fauteuil de merde. Tous les fauteuils, y valent peau de balle dans cette baraque. Regarde. » Il en souleva un dont il arracha un des pieds de devant. « T'appelles ça un chouette fauteuil ? Écoute, Beaumont, les fauteuils, t'y connais rien de rien, bordel. » Il reposa le siège, jeta le pied sur le canapé. « Tu m'auras pas. Je sais ce que tu mijotes. Tu crois que je suis bourré, hein ? »
Ned Beaumont lui fit un large sourire. « Non, tu n'es pas bourré.
— Mon cul que je suis pas bourré. Je suis plus bourré que toi. Je suis plus bourré que n'importe qui dans cette baraque. Je suis saoul comme un cochon, et va pas croire que je le suis pas, mais… » Il leva son gros index sale.
Un serveur se présenta sur le seuil en demandant : « Vous désirez, messieurs ? »
Jeff se tourna vers lui avec animosité : « Où c'est que t'étais ? Tu dormais ? Ça fait une heure que je t'ai sonné. »
Le serveur ouvrit la bouche pour répondre.
Jeff poursuivit : « Je fais monter le meilleur ami que j'ai en ce monde pour boire un coup et y se passe quoi, bon Dieu ? On est obligé de poireauter le cul posé sur un fauteuil pendant une putain d'heure en attendant un abruti de serveur. Pas étonnant qu'il me fasse la gueule.
— Qu'est-ce que vous voulez ? demanda le garçon avec indifférence.
— Je veux savoir où la fille qu'était là est passée, merde.
— Oh ! elle ? Elle est partie.
— Partie où ?
— J'en sais rien. »
Jeff prit l'air mauvais. « Ben t'as intérêt à te renseigner, et vite, bordel. Comment ça, tu sais pas où elle est allée ? SI c'est pas une boîte de merde où y a personne… » Une lueur rusée s'insinua dans ses yeux rouges. « Je vais te le dire, ce que tu vas faire. Tu vas monter aux toilettes des femmes voir si elle y est.
— Elle n'y est pas, insista le serveur. Elle est partie.
— La garce ! s'écria Jeff en se tournant vers Ned Beaumont. Qu'est-ce qu'y faut faire, à une garde pareille ? Je te fais monter ici parce que je veux que tu la rencontres, vu que je sais qu'elle va te plaire et que tu vas lui plaire et elle, elle est trop crâneuse pour rencontrer mes amis, bordel, et elle se tire. »
Ned Beaumont allumait un cigare. Il ne fit aucun commentaire.

Chapitre IX : Les ordures, III.
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« Pourquoi n'aimiez-vous pas père ? demanda-t-elle.
— Parce que, s'enflamma-t-il, je n'aime pas les maquereaux. »
Elle rougit et la honte gagna son regard. D'une petite voix sèche, étranglée, elle demanda : « Et vous ne m'aimez pas parce que… ? »
Il ne répondit rien.
Elle se mordit la lèvre et s'écria : « Répondez-moi !
— Vous, ça va, sauf en ce qui concerne Paul, la façon dont vous vous êtes servie de lui. L'un comme l'autre, vous étiez extrêmement nuisibles pour lui. J'ai essayé de le lui dire. J'ai essayé de lui dire qu'aussi bien l'un que l'autre, vous le considériez comme le représentant d'une espèce inférieure du monde animal et comme la proie rêvée que vous pouviez soumettre à n'importe quel traitement. J'ai essayé de lui dire que votre père était quelqu'un qui, toute sa vie, a eu pour habitude de gagner sans rencontrer de vrais obstacles et que s'il se retrouvait dans une situation critique, soit il perdrait la tête, soit il dévorerait les autres. Mais il était amoureux de vous, alors… »
Il fit craquer ses mâchoires l'une contre l'autre et s'approcha du piano.
« Vous me méprisez, accusa-t-elle d'une voix basse et dure. Vous me considérez comme une putain.
— Je ne vous méprise pas, répondit-il d'un ton irrité sans se retourner. Quoi que vous ayez pu faire, vous l'avez payé et vous avez été payée pour ça, et cela vaut pour chacun d'entre nous. »

Chapitre X : La clé brisée, II.
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« Je vais vous dire comment nous allons procéder. Janet, téléphonez-lui et demandez-lui de venir d'urgence. Nous lui raconterons alors que votre père voulait lui rendre visite, pistolet au poing, et nous verrons ce qu'il dira. »
Janet remua, mais elle ne se leva pas du sol. Son visage était dépourvu d'expression.
Son père déclara : « C'est ridicule. Nous ne ferons rien de semblable.
— Janet, téléphonez-lui », répéta Ned Beaumont d'un ton péremptoire.
Elle se releva, le visage toujours inexpressif et, sans porter aucune attention au « Janet ! » autoritaire de son père, elle se dirigea vers la porte.
Le sénateur changea de registre. « Attends, ma chérie. » Il se tourna vers Ned Beaumont : « Je souhaiterais vous parler seul à seul à nouveau.
— Si vous voulez », consentit ce dernier en observant la jeune femme qui hésitait sur le seuil.
Avant qu'il ait pu lui parler, elle déclara d'un ton obstiné : « Je veux entendre ce qu'il va dire. J'ai le droit de l'entendre. »
Ned Beaumont hocha la tête, regarda le sénateur et dit : « Elle a raison.
— Janet, ma chérie, j'essaye de te ménager. Je…
— Je ne veux pas être ménagée, répondit-elle d'une petit voix atone. Je veux savoir. »
Son père présenta ses paumes dans un geste de défaite. « Dans ce cas, je ne dirai rien. »
Ned Beaumont intervint : « Janet, appelez Paul. »
Avant qu'elle ait pu esquisser un mouvement, le sénateur capitula : « Non. Vous me rendez les choses plus difficiles qu'elles ne devraient l'être, mais… » Il sortit un mouchoir et s'essuya les mains. « Je vais vous dire exactement ce qui s'est passé et après, je vais vous demander une faveur, je pense que vous ne pourrez pas me la refuser. Cependant… » Il s'interrompit pour s'adresser à sa fille. « Entre, ma chérie, et ferme la porte si tu dois absolument entendre ça. »

Chapitre X : La clé brisée, I.
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Ce soir-là, Ned Beaumont sonna à une maison de deux étages non éclairée située dans Smith Street. Un homme trapu, doté d'une petite tête et d'épaules massives, ouvrit la porte d'une quinzaine de centimètres, dit, « C'est bon », et acheva d'écarter le panneau.
Ned Beaumont pénétra à l'intérieur en disant « Salut », suivit un couloir sombre de cinq ou six mètres, dépassa deux portes fermées sur sa droite, en ouvrit une sur sa gauche et descendit une volée de marches en bois jusqu'à un sous-sol où il y avait un bar et où une radio jouait en sourdine.
Derrière le bar, une porte en verre dépoli affichait l'inscription " Toilettes ". Elle s'ouvrit et un homme au teint basané en sortit. La courbure de ses puissantes épaules, la longueur de ses bras musclés, l'aspect aplati de son visage et ses jambes arquées avaient quelque chose de simiesque : c'était Jeff Gardner.
Il vit Ned Beaumont et ses petits yeux rouges étincelèrent. « Bon sang, j'en reviens pas. Si c'est pas Beaumont Cogne-moi-encore ! rugit-il en dévoilant ses magnifiques dents dans un immense sourire.
— Salut, Jeff », dit Ned Beaumont tandis que tout le monde, dans la salle, les observait.
Jeff s'approcha en roulant des épaules, il lui entoura sans ménagement le cou avec son bras gauche, emprisonna sa main droite dans la sienne et s'adressa à l'assistance d'un ton jovial : « C'est le gars le plus sympa sur qui je me suis jamais esquinté les poings, et on peut dire que ça m'est arrivé un tas de fois. » Il entraîna Ned Beaumont vers le bar. « On va tous se vider un petit verre et après, je vous montrerai comment on s'y prend. Bon Dieu, je vous le jure ! » Il avança son visage sadique à deux doigts de celui de Ned Beaumont. « Qu'est-ce que t'en dis, mon petit gars ? »
Ned Beaumont contempla d'un œil impassible le visage laid et basané tout proche de lui quoique un peu plus bas, et dit : « Un scotch. »
Jeff s'esclaffa avec délectation. Il lança à nouveau à la cantonade : « Vous voyez, il aime ça. C'est un… » Il hésita en plissant le front, humecta ses lèvres. « … un sacré massachiste, voilà ce que c'est. » Il tourna à nouveau vers Beaumont son sourire mauvais. « Tu sais ce que c'est, un massachiste ?
— Oui. »
Jeff eut l'air déçu.

Chapitre IX : Les ordures, III.
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Vidéo de Dashiell Hammett
Lecture de "Un trône pour le ver de terre" / "Le chasseur et autres histoires" de Dashiell Hammet (éditions Gallimard, 2016) Par Michel Olivier, libraire à la librairie La Boîte à Livres
Traducteur : Natalie Beunat
Jusqu'ici le nom de Dashiell Hammett restait associé au roman noir américain, dont il a posé les bases au milieu des années 1920 à travers une soixantaine de nouvelles policières et cinq romans fondateurs, dont le faucon maltais, symbole s'il en est de la mythologie du privé coriace et taciturne. Le chasseur et autres histoires réunit ses nouvelles littéraires inédites et trois scénarios. Plus qu'une curiosité, ce recueil donne pour la première fois l'étendue de son talent d'écrivain. Une occasion rare, par ailleurs, de revenir sur la vie de Dashiell Hammett. Si, par leur qualité, ces fictions attestent ses ambitions littéraires, elles expriment également ses préoccupations sur la place de l'homme et de la femme dans une société en mutation. le courage et l'altruisme, la cupidité et le cynisme traversent ces textes non dénués de légèreté, grâce à l'humour caustique de leur auteur.
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