Le mari exerçait le métier d'armurier dans une ville florissante du Nord, l'esprit constamment occupé par ses affaires ... Ella manifestait, à connaître par le commerce de son mari, une réticence indignée quand elle se prenait à penser que tout ce qu'il fabriquait avait pour finalité la destruction de la vie. Elle ne parvenait à retrouver sa sérénité qu'en se disant que parmi ses armes, certaines du moins servaient parfois à l'extermination d'affreux nuisibles presque aussi cruels envers leurs inférieurs dans l'échelle des espèces que les humains envers les leurs.
Jamais par le passé elle n'avait considéré cette profession comme un obstacle à son mariage. A la vérité, la nécessité de s'assurer à tout prix un bail à vie, vertu cardinale inculquée par les mères dignes de ce nom, l'avait gardée de toute pensée sur le sujet avant que fût conclu le marché avec William. Cependant, passé la lune de miel, et après une période de réflexion, comme quelqu'un qui trébuché sur un objet dans le noir, elle se demanda ce qui lui était échu ; en fit le tour mentalement, l'évalua ; se posa la question de savoir s'il était précieux ou ordinaire ; s'il recelait de l'or, de l'argent ou du plomb ; s'il était entrave ou piédestal , tout pour elle ou rien.
Parvenue à des conclusions vagues, elle maintint dès lors son coeur en alerte, se désolant du caractère borné et du manque de subtilité de son seigneur et maître, s'apitoyant sur elle-même et donnant libre cours à ses émotions éthérées par un vagabondage de son imagination, des rêveries éveillées et des soupirs nocturnes qui n'eussent probablement guère troublé William s'il en avait eu connaissance.
Si Caroline avait constitué pour Ned une bonne affaire, comme on dit, il constatait qu'elle devenait une très bonne épouse et compagne, un peu comme ces théières bon marché qui font souvent infuser du meilleur thé qu'une théière de prix.
« Les accents suppliants qu’il tirait de son instrument formaient comme un langage capable de déchirer de douleur le cœur d’un montant de porte. » (p. 54)
"En ces temps-là, à la campagne, les jolis miroirs étaient plus rares que de nos jours, et celui que Phyllis avait devant les yeux emporta son admiration. Elle s'y mira et, voyant comme elle avait les yeux battus, s'efforça de leur donner plus d'éclat. Elle se trouvait dans ce pitoyable état d'esprit qui conduit une femme à s'avancer en automate sur le sentier qui, à ses yeux, lui est assigné."
Suivant l'évolution naturelle de la passion dans les conditions éminemment favorables que la civilisation offre à son mûrissement, l'amour de son époux pour elle n'avait pas survécu, si ce n'est sous la forme d'une amitié à éclipses ; pas plus, peut-être même moins, que celui d'Ella pour lui.
Equilibré en âge, d'allure assortie et en accord sur les questions domestiques, ce couple, bien que là encore rarement en conflit, accusait des différences de tempérament : lui était d'humeur égale, pour ne pas dire apathique, et elle, franchement nerveuse et passionnée. C'est à leurs goûts et penchants, ces détails infimes de la plus grande importance, qu'il n'existait pas de dénominateur commun. Aux yeux de Marchmill, les inclinaisons de sa femme confinaient à la sottise ; elle estimait les siens terre à terre et sans élévation.
On le voyait moins encore qu'auparavant ; il se maintenait moins encore au diapason de la cadence et du vacarme qu'on appelle progrès dans le monde extérieur.
Phyllis avait ainsi mobilisé tout son courage pour s’assurer une force d’âme exceptionnelle quand apparut, quelques minutes plus tard, la silhouette de Matthaüs Tina derrière la barrière d’un champ ; il la franchit d’un bond léger tandis que Phyllis avançait. Impossible de se dérober à son étreinte : il la serra sur sa poitrine.
« Pour la première et la dernière fois ! » pensa-t-elle éperdument, nichée dans le cercle de ses bras.
Il me semble tenir si peu de moi, et si entièrement de son défunt père. Il a une si bonne éducation et moi j'en ai si peu que je ne me sens pas assez distinguée pour être sa mère...
Sa longue contemplation du portrait la plongea dans la méditation. A la fin, ses yeux se remplirent de larmes et elle effleura le carton des lèvres. Puis elle se mit à rire, sur un ton de gaieté nerveuse, et s’essuya les yeux.
Était-elle immorale, songeait-elle, elle, une femme mariée, mère de trois enfants, de laisser vagabonder son esprit vers un étranger de si déraisonnable façon ?