January est la narratrice de cette histoire, et revient sur ce qui l'a amenée à découvrir ces portes. On ne sait pas vraiment à quelle époque elle fait ce récit ni pourquoi. Elle raconte et puis c'est tout, on adhère à ce qu'elle raconte sans se poser de questions. Enfin il m'a manqué une dimension importante pour suivre la narratrice : cette crédibilité narrative indispensable pour que ça tienne debout. C'est un point assez souvent négligé je trouve, et c'est dommage, car cela aurait pu ajouter quelque chose d'intéressant ici.
Ca aurait été assez longuet si ce récit n'avait pas été entrecoupé par un autre fil, dont je parlerai plus bas, et par un regard critique porté sur la société de l'époque. Place de la femme dans cette société très patriarcale et paternaliste, racisme bien évidemment, rapports de classes entre les personnages, éducation des enfants… Ce n'est pas le coeur du roman, et ce n'est ni très exhaustif, ni très original. Mais enfin, ce fond a le mérite d'exister et apporte un peu de contexte pas dénué d'intérêt.
Les dix mille portes de January raconte le passage de l'enfance à l'âge adulte. January évoque son enfance dans la bonne petite société bourgeoise américaine au début du XXe siècle. Parcours un peu compliqué car January n'a plus de mère, son père est un grand voyageur qu'elle ne voit que peu, et surtout c'est une métisse à la peau sombre. Et ça, en 1901 aux Etats-Unis, c'est embêtant. Et surtout, January a le coeur et l'âme aventuriers; être une bonne petite fille obéissante n'est pas dans ses plans. Elle va donc connaître les injustices, les frustrations, les moments qui font grandir très vite, et puis va peu à peu s'affirmer, tracer sa route, faire ses propres choix.
January m'a un peu fait penser à Sophie, des romans de la comtesse
De Ségur, avec des scènes très similaires. Pas mal de scènes très ponctuelles, mises bout à bout, qui reconstituent l'enfance de January, sa nature, son caractère et son désir d'évasion.
Les dix mille portes de January c'est surtout un bon petit roman d'aventures. Et c'est là aussi l'intérêt d'avoir dessiné préalablement un cadre contextualisé au récit et une société très contrainte. En effet, le désir d'évasion de January se comprend et se détache ainsi d'autant plus. La porte est d'abord cela, la matérialisation d'un désir de fuite, de liberté, de détachement vis à vis de ce monde étriqué.
January tombe sur un manuscrit très étrange qui raconte l'histoire d'une certaine Ada, qui trouve et cherche des portes, voyage de monde en monde. Dans un premier temps, l'aventure du roman est vécue par procuration, donc, à travers le personnage d'Ada. Un roman dans le roman, comme une fenêtre ouverte sur un autre monde. Très clairement, c'est l'histoire d'Ada qui m'a intéressée davantage, parce que le récit englobant est assez commun et linéaire.
La frontière entre le monde de January et celui d'Ada tend, au fur et à mesure du roman, à devenir poreuse, et bientôt January va aussi vivre, à son tour, des aventures de porte en porte. Bref, plus on avance, plus c'est trépidant (et tant mieux, parce que le début est long à démarrer).
Je disais plus haut que le manuscrit trouvé est selon moi la 1e porte, et la plus fondamentale du roman. J'aime beaucoup la symbolique de la porte, marqueur de frontière, de limite et de passage à la fois. On en retrouve dans toute la littérature mais ce qui est intéressant ici, c'est que ces portes dynamisent les relations entre les personnages, qui jouent à une grande partie cache-cache. Les uns franchissent la porte sans un regard en arrière, d'autres les repassent plus tard, et enfin d'autres encore les referment. Les portes apparaissent, disparaissent, peuvent être coincées… Pourquoi et comment, je vous laisse le découvrir.
Malgré tout, je n'ai pas trouvé dans ce roman la force du propos assez similaire de la cité des nuages et des oiseaux, que je trouve beaucoup plus méta et vertigineux. de la même manière, il ne réinvente pas grand chose, finalement. le fond de l'histoire est assez banal, avec des personnages plutôt archétypaux, aux motivations très basiques et des ressorts maintes fois vus. Passons aussi sur certains rebondissements fastoches. Mais
Les dix mille portes de January parvient à tirer son épingle du jeu avec quelques originalités, notamment la manière dont ces portes s'ouvrent.
En effet, celles-ci s'ouvrent par l'écrit.
Les dix mille portes de January célèbre le pouvoir du langage et des mots. L'écrit ici donne forme, dessine la réalité, les réalités, aussi modelables que l'on souhaite – du moment que l'écrit est suffisamment précis pour être compris. C'est une jolie métaphore du travail du poète, et par extension, de l'écrivain. Car ces portes, ce sont bien les personnages qui les façonnent à leur image, comme
Alix E. Harrow nous en ouvre une, immense, par ses mots.
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