Combien de temps faut-il pour retourner à l'état sauvage ? Combien de temps pour que disparaisse ce que nous appelons civilisation ? Pour que nous devions renoncer à nos habitudes, nos espoirs, nos rêves et même parfois nos valeurs ?
Combien de temps met la forêt pour reprendre ses droits ? Et nous, perdons-nous nos droits à ce même moment (et quels droits avions-nous à la base d'abord) ? Quel équilibre après le déséquilibre ? La nature peut-elle renaturer ce que nous avons dénaturé ?
Ça fait beaucoup de questions, je sais. Et ce livre n'y répond pas. Pas directement, pas exactement. Parce que la question du temps n'y est jamais abordée véritablement, et pourtant il est bien là, les saisons passent, les récoltes suivent les semis, des gens meurent, d'autres naissent, le temps finalement retrouve sa vraie place, c'est un cycle immuable qui se fiche bien du désir des hommes.
Dans la forêt, un vrai spoil ce titre bon sang ! Oui parce que la forêt est au centre de cette histoire, elle évolue au fil des pages et se transforme en même temps que les deux jeunes filles qui l'habite. La nécessité fait loi et tour à tour elle protège, elle cache, elle isole, elle emprisonne, elle menace, elle nourrit et elle englobe. Pour les deux petites filles qu'étaient Nell et Eva, la forêt était un terrain d'aventure, de liberté, fait de cabane et des dangers évoqués par leur mère, tiques, sangliers ou sumac vénéneux. Elles n'avaient besoin de rien d'autre que d'être ensemble et dans la forêt. Puis, les petites filles grandissent et pour les adolescentes qu'elles deviennent la forêt représente toute la distance qui les sépare de leurs rêves, l'école de danse pour l'une, l'université ou un garçon pour la seconde. Elle les sépare des autres, fait d'elles des filles à part qui jamais ne pourront s'intégrer tout à fait au groupe des adolescents de Redwood, des Cendrillons qui doivent s'éclipser quand leur père vient les chercher avec la voiture avant minuit pour regagner leur maison au fond des bois. Les deux soeurs sont moins proches aussi, Eva s'enferme dans sa danse et Nell se retrouve souvent seule à errer sans but dans cette forêt qui a perdu toute sa magie.
Et soudain, le monde s'effondre. Je raconte n'importe quoi d'ailleurs, parce que cela ne se passe pas soudainement mais insidieusement : petit à petit tout s'évanouit, on a de l'électricité par intermittence, de moins en moins souvent puis plus du tout. Le téléphone fonctionne un jour sur trois, puis sur sept, puis se tait. On ne trouve plus d'essence, plus de médicaments, plus de nourriture, les écoles et les magasins ferment leurs portes. Sauf que quand on vit au milieu de la forêt on ne s'en rend pas tout de suite compte, on ne sait pas ce qui se passe ailleurs, on ne sait pas si ça touche le pays (voire le monde) entier ou seulement cette clairière oubliée. Le lecteur n'en sait pas plus d'ailleurs, et j'ai vraiment apprécié ce parti pris, on ne sait pas ce qui s'est passé, guerre, épidémie, catastrophe ? Et on s'en fiche, qu'est-ce que ça change après tout ? Rien. Absolument rien. Le résultat est le même et ce qui compte c'est ce qu'on va faire maintenant, ici, tout de suite. Il faut survivre, il faut s'adapter, il faut apprendre à faire autrement, ne plus attendre une hypothétique intervention extérieure et faire avec ce qu'on a. Et justement, il s'avère que ce qu'on a - quand on vit comme ça au milieu de la nature, c'est énorme - c'est tout ce dont on a besoin en fait (besoin pour vivre dans le monde tel qu'il est devenu, j'entends, mais à part ça heureusement qu'on a encore des livres et des sachets de thé dans son ancienne maison hein !).
Bon évidemment, la pilule est dure à avaler, on n'y arrive pas en un claquement de doigts, il faut du temps pour renoncer, du temps pour abandonner petit à petit les facilités et les conforts de son ancienne vie, mais on peut y arriver. Le plus difficile c'est sans doute de renoncer à ses rêves, devenir danseuse étoile, être admise à Harvard, et au début c'est grâce à eux - aux rêves - qu'on tient le coup, qu'on reste debout, c'est pour eux qu'on a envie de continuer, on attend que tout redevienne comme avant et on pense pouvoir reprendre sa vie là où elle s'était arrêtée. Au bout d'un moment cependant, il faut bien admettre que rien ne va se passer comme prévu et il devient vital d'envisager autre chose. Et à ce moment là, la forêt est là et vous tend les bras, à vous d'ouvrir les yeux et tous vos chakras afin d'y trouver les ingrédients et forces nécessaires à la construction d'un monde nouveau.
Ouah la vache, je m'emballe ! C'est beau, quelle apothéose ! Back to the trees ! Vous l'aurez compris (ou pas, alors je le dis), j'ai vraiment beaucoup aimé cette lecture qui mêle avec subtilité post-apocalypse et nature writing (j'ai même du mal à rentrer dans la suivante). Il faut croire que j'ai laissé une petite partie de moi quelque part sous une souche ou un tapis de feuilles mortes là bas, dans la forêt…
Bref, je conseille à tout le monde de faire cette petite randonnée forestière, et en plus, ça peut aider en cas de fin du monde ;)
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