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Rappelez-vous votre vie effrontée, c'est le récit d'un homme qui va sombrer dans l'oubli.
John Hubbard Wilson a été un brillant universitaire, spécialisé dans le théâtre de William Shakespeare.
Jean Hegland, l'autrice, explore la fin de vie de cet homme qui, peu à peu, est emporté par la terrible maladie d'Alzheimer.
C'est l'histoire de cet homme qui se raccroche comme il peut au paysage de son existence, marqué essentiellement par sa connaissance littéraire et la passion folle qu'il voue au grand tragédien anglais. L'humanisme a-t-il encore un avenir ? C'est l'obsessionnelle question qu'il s'est posé tout au long de son existence.
Le paysage de sa vie est un paysage qui s'effondre par lambeaux, dans un temps étrange qui se disloque.
Dans cette histoire intime et douloureuse, il y a cette tentative de réconciliation d'un père et de sa fille Miranda, perdue de vue depuis plusieurs années, cela remonte aux dix-sept ans de la jeune fille. Jean Hegland peint ici un magnifique personnage de jeune femme, déchirée dans les tangages d'une vie qu'elle cherche à construire enfin.
C'est Sally l'actuelle femme de John qui, un jour, a appelé Miranda. Elles ne se connaissent pas. Sally est apicultrice comme Jean Hegland. Je suis entré en apesanteur lors d'une scène merveilleuse du livre où une abeille vient se poser dans un moment de grâce sur les lèvres de Sally, tandis que John demeure médusé, découvrant la passion de la femme qu'il aime, la dernière femme qu'il aimera, il n'a pas encore commencé à trébucher... Je suis entré dans la beauté de ce roman dès ces premières pages.
Est-ce trop tard, est-ce possible pour un homme dont les souvenirs se limitent désormais à convoquer auprès de lui ses plus proches fantômes, Hermione, Roméo et Juliette, Lear, Cressida, Cléoménès, Léontès, Falstaff... ?
« En naissant nous pleurons de paraître
Sur ce grand théâtre de fous. »
Plus que la relation ténue d'un père et d'une fille, toute la richesse et l'originalité du texte tiennent dans cette mise en abyme réalisée avec grâce par l'entremise du théâtre de Shakespeare qui fut presque la raison d'être et de vivre de cet homme, sacrifiant beaucoup de choses, à commencer par son rapport aux autres, l'amour, sa famille, sa relation avec sa fille unique... Dans les tourments de sa volonté de réussir, il a peut-être oublié d'aimer sa fille de l'amour inconditionnel dont elle avait besoin...
Shakespeare a tant parlé du mariage, de la mort, du désir, de la folie, de la vengeance. Que n'a-t-il dit sur la manière de mettre sa vie au service de l'amour des autres ? Que n'a-t-il dit sur l'oubli ? John regrette presque de n'avoir pas su fouiller ces thèmes chez le grand maître, il regrette aussi tant de choses, à commencer par ses lâchetés...
Rompre avec les défaites du passé. Mais il sait sans doute déjà que ses regrets s'effaceront bientôt comme un dessin incrusté dans le sable qu'une vague viendra balayer. L'amour est-il un rêve ?
Les tirades résonnent dans sa mémoire, comme s'ils les entendaient tout près de lui, comme si elles sonnaient à propos, dans la justesse qui tient encore le passé et le présent sur un même fil.
Ici, le passé et le présent s'entrelacent, se cognent, se percutent, s'épousent furieusement.
« Étrange alchimie que celle du besoin,
Qui sait rendre d'humbles choses précieuses. »
John Hubbard Wilson sait qu'il va peu à peu oublier et il tend une main désespérée vers le souvenir confus de sa fille, ou bien c'est peut-être vers la scène d'un théâtre où le rideau s'ouvre, où l'on devine au loin la rumeur des personnages dans la chambre verte, à l'endroit où ceux-ci s'apprêtent à se transformer...
Cette fille qui attend depuis l'âge de dix-sept ans... Elle et son coeur insensé qui attendent... Les malentendus, les non-dits sont venus après ce drame de Londres, qui est passé inaperçu aux yeux de son père. Puis, elle a cherché à protéger cette nouvelle personne qu'elle essayait de devenir... C'est un portrait de famille où les liens abimés ne se réparent pas facilement.
Elle tente elle aussi de revenir, renouer le lien, mais c'est comme une vague qui la renvoie au passé, ou plutôt c'est son père à présent qui la renvoie, ne la reconnaît plus, ou par bribes, il est dans cette grande demeure inconnue, avec d'autres résidents comme lui, il oublie et devient même violent.
Pourtant il ne suffirait pas grand-chose pour que les réminiscences lui ramènent les rires d'une petite fille à qui il apprenait par coeur les répliques préférées d'un certain Will.
La solitude de John dans cette maison médicalisée m'est apparue déchirante, malgré la bienveillance du personnel et la sobriété des mots.
Dans cette chambre où parfois le vent vient soulever le rideau de la fenêtre, c'est comme une scène qui apparaît, avec des ombres vivantes et des fantômes absents. Tout se confond dans sa mémoire broyée, le théâtre de Shakespeare, le temps où il enseignait à ses élèves et le temps d'aujourd'hui. Comme le spectre dans Hamlet, les souvenirs et les vivants disparaissent quand il les appelle.
Pourtant, patiente et obstinée, dans un besoin inconsolable de comprendre et d'être aimée, Miranda s'efforce de revenir à chaque fois vers son père, tandis qu'un monde vert se reflète dans les yeux de sa fille. John le voit-il, le perçoit-il ?
Est-ce que pardonner compte plus que comprendre ?
« Oubliez et pardonnez ».
Ce formidable texte traversé de lumières, véritable ode aux humanités et à la littérature qui sauve des naufrages, m'a touché, un récit sur la mémoire, le déclin, la transmission, la filiation. L'écriture est emplie de pudeur et de sensibilité, sert avec beaucoup de justesse la construction d'une narration adossée avec subtilité au théâtre de Shakespeare, c'est un récit qui m'a happé de bout en bout, peut-être parce qu'il appelle l'enfant à l'intérieur de nous, celui qui tend les bras et veut être aimé pour ce qu'il est.
« Si vous, ombres, nous vous avons offensés,
Pensez donc, et tout sera réparé. »
À la toute fin du roman, j'ai mieux compris le dessein qui avait animé Jean Hegland, ce projet d'écrire ce livre beau et poignant comme la vie qui file entre les doigts, juste avant que le rideau ne se referme à jamais...

« C'est l'art et la littérature qui nous laissent imaginer l'humanité chez autrui et nous aident à la trouver en nous-mêmes. »

Rappelez-vous votre vie effrontée est le second roman que je lis de cette autrice américaine qui a très peu écrit, Jean Hegland, après celui qui fut pour moi un véritable coup de coeur, son premier roman, Dans la forêt.
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John Hubbard Wilson, professeur de littérature, grand spécialiste de Shakespeare, aurait pu vivre de belles années auprès de Sally, sa dernière épouse, une apicultrice de son âge. La maladie a frappé, une maladie implacable qui ronge sa mémoire et le met en danger. Sally doit se résoudre, la mort dans l'âme, à le confier à une institution qui veille sur les patients atteints d'Alzheimer. Mais avant que la santé mentale de John ne soit trop dégradée, elle insiste : John doit revoir Miranda, sa fille unique. le père et la fille ont rompu toute relation dix ans auparavant, à la suite d'un voyage à Londres qui s'est très mal déroulé. Sally en est sûre : il est encore temps... de pardonner et... d'oublier ?

Il est quelquefois difficile de trouver les mots justes pour rédiger une critique. Et c'est bien le cas aujourd'hui, tant j'ai été touchée par le roman de Jean Hegland : rappelez-vous votre vie effrontée. L'autrice nous dépeint un intellectuel qui a passé sa vie à étudier Shakespeare, à analyser des pièces et des personnages. Shakespeare est son monde et sa référence. Il maîtrise parfaitement l'anglais du 16ème siècle - l'anglais élizabethain.
Au terme de sa vie, alors que tout son système de références s'effondre, que rien n'a plus véritablement de sens, ce professeur se rattache à ce qui lui reste de vie sociale grâce à ce langage, à des images extraites du monde de Shakespeare. Lorsque qu'il retrouve Miranda, il est déjà bien tard... à moins que....

J'ai lu le roman de John Hegland en français et dans sa version originale. Nathalie Bru, la traductrice, a effectué un travail remarquable que l'on doit vraiment saluer.

Selon moi, le titre original de l'ouvrage : Still time, joue sur une ambiguïté : Still time signifie "Encore temps" (de revoir Miranda), mais aussi "un temps dans lequel il ne se passe plus rien, un temps au calme plat" en raison de la maladie. le titre de la version française de l'ouvrage reflète une autre option : un extrait d'une oeuvre de Shakespeare.

Depuis cette lecture, une question me hante : que reste-t-il de notre vie, de tout ce que nous avons patiemment vécu et appris, lorsque nous avons tout oublié ?
Un roman que j'ai envie de relire encore et encore, tant il est difficile de se séparer de ses personnages.
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Que reste-t-il lorsque la maladie grignote la mémoire, jour après jour ?
Pour John, ancien professeur de littérature, c'est l'oeuvre de Shakespeare qui occupe ses pensées, lui faisant confondre les personnages romanesques avec sa fille, son épouse où les soignant de l'Ehpad où il a été admis.
Avant qu'il ne soit trop tard, l'épouse de John tente de le rapprocher de sa fille unique dont il s'était éloigné depuis trop longtemps.

J'ai adoré ce roman plein de sensibilité, Jean Hegland réussit à entrer dans la tête d'un homme dont la mémoire s'effiloche. Elle le fait magnifiquement, avec pudeur et délicatesse.
J'ai aimé cette phrase : « Je me dis souvent que son cerveau est comme un collier cassé, certaines perles sont perdues à jamais, mais le reste est juste éparpillé. »

Qu'il est beau de lire ainsi la passion d'un homme avec ce récit de vie qui emporte fort et loin, à la fois dans l'intimité du personnage et son obstination pour une oeuvre littéraire !
Je remercie vivement les Editions Phébus et NetGalley pour leur confiance.
#Rappelezvousvotrevieeffrontée #NetGalleyFrance

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Il a eu quatre épouses, une fille, et une Grande Passion : Shakespeare. Son maître absolu, le phare de sa vie.
Aujourd'hui il est vieux, sa hanche est douloureuse, son esprit s'embrume. Alors au fil des pages et des jours passés dans l'institut où Sally, son dernier amour, à dû se résoudre à le placer, John s'étiole.
John s'érode.
John s'efface.

Lui le grand spécialiste de l'oeuvre shakespearienne, lui qui jadis faisait autorité dans les colloques consacrés à l'immense dramaturge, lui l'intellectuel reconnu s'enfonce doucement dans un ailleurs cotonneux, un monde en suspens où peu à peu la raison se volatilise, où le temps se disloque.
Bientôt, seuls vont compter l'observation d'un arbre par la fenêtre, les répliques de théâtre qui très souvent émergent à la surface de sa mémoire défaillante ou encore les caresses de Sally, qui le visite aussi régulièrement que possible et qui assiste impuissante à son inéluctable amenuisement ("Je te jure qu'il y avait des moments où il était vraiment présent, où on avait l'air à deux doigts d'une connexion. Et puis, la minute suivante, plus rien de ce qu'il disait n'avait de sens. Pas comme s'il était dans le brouillard, mais comme s'il était lui-même un brouillard").

Tout ça est douloureux, très juste, très émouvant ; ça dit beaucoup sur l'horreur de ce mal (pour le premier intéressé évidemment, qui chaque jour voit sa vie s'effilocher en se demandant ce qu'il fait là, mais aussi et surtout pour ses proches...)
Bien sûr au début John enrage de voir ses facultés décroître ("Toute sa vie, il a été vif, intelligent, sagace, appliqué. Son esprit était un moteur, un faucon, une porte ouverte. Jamais jusqu'ici son cerveau ne lui avait fait faux bond"), mais à mesure que ses souvenirs s'évaporent, porté par les vers de Shakespeare et par l'amour de sa femme, il finit par accepter de s'abandonner au chaos.

Et comment n'être pas touché par le spectacle de cet homme qui se fane et qui un jour ne reconnait plus les visages mais "fouille les yeux, veut trouver du sens, veut comprendre" ? Et par celui de sa fille Miranda, avec qui il était brouillé de longue date mais qui semble enfin prête, dans ces ultimes moments, à s'engager sur le chemin de la réconciliation ?
Comment ne pas se laisser séduire, aussi, par l'écriture délicate de Jean Hegland et par le portrait sensible et pudique qu'elle dresse de ce docteur en littérature, transformé sous nos yeux en "roi Lear divaguant" ?

Comment n'être pas enfin un peu déboussolé par la construction atypique (mais brillante !) du roman, faite d'allers-retours incessants entre les époques, de citations extraites des pièces de Shakespeare et de références pointues à son oeuvre ?
Sans prévenir, souvent au sein d'un même paragraphe, l'auteur entremêle en effet des dialogues (parfois incohérents) entre le vieil homme et ses visiteurs, les poèmes qui l'obsèdent toujours, des scènes du quotidien dans l'établissement de santé et des souvenirs épars ou confus (la rencontre avec Sally, les disputes avec les précédentes épouses de John ou avec Miranda, une conférence désastreuse donnée à Londres, il y a longtemps, et qui sonna le glas de sa carrière...), au point qu'il faut par moment savoir lâcher prise.
Simplement se laisser porter par les bourrasques de sentiments, par le flux de pensées et de sensations, sans trop d'égards pour une chronologie en accordéon que Jean Hegland déforme à loisirs (exemple : "Un autre jour. Ou peut-être le même, en ce temps distors et rebelle. Ou un jour qu'il a déjà vécu, et dans lequel il retourne, puisque le temps a récemment mis au point un ingénieux tour de passe-passe par lequel il s'enroule désormais  sur lui-même, ou se dédouble, permettant à John de revivre certains moments, comme s'il ne les avait jamais quittés, tandis que le reste de sa vie demeure pour l'heure un territoire inexploré.")

Une réflexion poignante sur la fin de vie et sur la puissance salvatrice des liens intrafamiliaux, mais aussi sur l'Art et les traces indélébiles qu'il peut imprimer en nous.
Alors même si par moment, j'ai pensé faire mienne la réflexion de Miranda ("si un jour je me retrouve dans cet état, j'espère que je me souviendrai comment on appuie sur la détente"), je préfère me dire finalement que si un jour je me retrouve dans cet état, j'aurai une Sally et une Miranda à mes côtés...
Et quelques bons livres à ruminer dans ma tête !
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Wow.

J'en attendais beaucoup moins de la part de ce roman de Jean Hegland, et tant mieux parce qu'il m'a littéralement séché.

Chaque été je tombe sur un texte qui annonce les feuilles qui se dorent, une morosité à venir qui va de paire avec l'automne s'impatientant.
Je me souviens très bien du ressenti de lecture d'un formidable texte que beaucoup de personnes trouvent chiant à mourir intitulé « Une maison parmi les arbres » de Julia Glass (Gallmeister), et c'est fou comme ce dernier roman d'Hegland a ravivé ces souvenirs.

J'y ai aussi retrouvé la curiosité qui n'a pas arrête de me piquer quand j'avais lu le Hamnet de Maggie O'Farrell (Belfond) à l'évocation de l'univers de Shakespeare dont je suis quasiment vierge.

Formidable texte sur le déclin de la mémoire d'un ancien professeur d'université - très immersif sur la sénilité dans laquelle plonge la maladie d'Alzheimer, Jean Hegland doit à son écriture tout l'intérêt que j'ai porté au texte, relayant ma peur de passer à coté de quelque chose, au placard.

Les thématiques de son roman « Dans la forêt » y sont présentes, sous une autre forme, et je trouve ça toujours intéressant de décliner ce qui nous touche le plus quand on a l'art de savoir écrire.

Merveilleux travail de traduction, on sent que y'a eu du gros taff derrière, et même si je n'aurais jamais le courage de lire ce livre dans sa version originale, le petit poids qui pèse dans mes poumons après avoir refermé ce roman est tel que j'en garderai un super souvenir.

Bravo !

(Ne tirez pas le rideau)
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Dans l'épilogue du roman, Jean Hegland confie s'être consolée de la mort de ses parents, tous deux universitaires, en pensant qu'ils sont morts en compagnie de William Shakespeare : son père d'un AVC avec les oeuvres complètes sur les genoux, sa mère en récitant des vers de Hamlet alors qu'elle avait pourtant perdu la mémoire.
En puisant dans sa propre expérience, elle imagine la fin de vie d'un brillant spécialiste de Shakespeare qui a consacré toute son existence à l'étude de son oeuvre.

Lorsque John Hubbard Wilson emménage dans la chambre verte d'une Ehpad, il a déjà perdu beaucoup de ses capacités et son épouse Sally l'apicultrice n'a pas d'autre solution que de le placer. Atteint par la maladie d'Alzheimer, il se retrouve parfois enveloppé par des souvenirs comme autant de perceptions d'un instant vécu qui parfois déclenchent la mémoire d'événements marquants.
" Mais au lieu de répliques et de phrases, lui viennent par association des températures, des poids , des textures, des sensations qui existent au-delà des mots."
Parfois le bruit d'une machine à écrire ou celui de la pluie traverse son esprit comme un fantôme qui s'évanouit, parfois l'éclat de rire d'une petite fille fait remonter à la surface le souvenir d'une enfant qu'il a aimée.
John a perdu tout contact avec Miranda, sa fille unique, à cause d'un mystérieux malentendu lorsqu'elle avait 16 ans, mais Sally décide de la prévenir afin qu'elle puisse revoir son père.

Jean Hegland dépeint magnifiquement comment la passion d'une vie peut interférer avec la vie elle-même. A chaque instant de sa vie, John pense Shakespeare, parle Shakespeare, se référe a Shakespeare.
Lorsqu'une résidente âgée fait irruption dans sa chambre, il la compare à " l'une des reines malmenées de Vie et mort du roi Jean", quand il déclare son amour à Sally il emprunte les serments de Roméo à Juliette.
Mais parfois, il peut laisser venir à lui les souvenirs et c'est ainsi que l'auteure construit son roman : lorsqu'un mot, une image enclenche la mémoire, elle semble se laisser glisser avec lui dans le passé.

On apprend ainsi que John a découvert l'auteur très jeune, comme une révélation qui a fait basculer sa vie. "Seul dans cette salle de classe pleine d'élèves, John reçoit ces vers comme un coup de pied dans le derrière, comme une vague magnifique et puissante qui l'aspire. Il ignorait qu'il existait des mots pour ce qu'il ressentait, il ne savait pas que quelqu'un avait ainsi pu dessiner les contours de sa tristesse, et moins encore que ce quelqu'un s'appelait William Shakespeare. "
A l'adolescence, alors qu'il travaille dans une station-service, il apprend Roméo et Juliette par coeur et, jusque dans la maladie, il est capable de réciter des tirades complètes qui s'intercalent dans les moments du quotidien.
Cette proximité avec une oeuvre littéraire trouve écho dans une conviction humaniste qu'il s'efforce de transmettre à ses étudiants, la foi dans le pouvoir emancipateur de la littérature.
"L'humanisme (...) dont la valeur la plus fondamentale est la croyance que les êtres humains peuvent apprendre, grandir, changer, et que l'art- et la littérature - peut alimenter cette évolution."

Miranda qui porte son héritage bien plus qu'elle ne le croit, envisage de mener une carrière dans les jeux vidéos. Si elle a déçu son père qui l'interroge régulièrement sur l'Université qu'elle a fréquentée, alors qu'elle n'a pas fait d'études, c'est sans doute en réaction contre ce père qui semblait placer sa carrière universitaire au-dessus de sa vie familiale.
Mais Jean Hegland nous montre que la transmission a fonctionné, que le père a laissé à sa fille le goût des histoires qui donnent du sens à l'existence.
Shakespeare, un game designer?
Même si les codes de la narration sont différents, Miranda est convaincue "qu'un art entièrement nouveau attendait d'émerger, un mix où l'on jouerait, où l'on se créerait un rôle et bâtirait des histoires qui auraient le potentiel de transformer- ou même de transcender- tout ça."
Par delà les générations, le pari sur l'intelligence de l'homme et sur sa capacité à changer le monde en inventant des histoires garde son efficacité.

Cette vision de la maladie est à la fois émouvante et réconfortante. Elle nous permet de mettre de côté la déchéance physique et intellectuelle pour saisir l'inepuisable soutien de la littérature. Comme elle serait douloureuse la solitude de celui qui oublie sans le refuge de ces vers qui consolent et qui peuvent même réparer des liens distendus.
Jean Hegland mêle ses mots à ceux de Shakespeare avec pertinence et subtilité. Tout sonne parfaitement juste, et l'on s'étonne qu'une écriture aussi limpide puisse aussi bien rendre compte de la confusion causée par la maladie.



Dans l'épilogue du roman, Jean Hegland confie s'être consolée de la mort de ses parents, tous deux universitaires, en pensant qu'ils sont morts en compagnie de William Shakespeare : son père d'un AVC avec les oeuvres complètes sur les genoux, sa mère en récitant des vers de Hamlet alors qu'elle avait pourtant perdu la mémoire.
En puisant dans sa propre expérience, elle imagine la fin de vie d'un brillant spécialiste de Shakespeare qui a consacré toute son existence à l'étude de son oeuvre.

Lorsque John Hubbard Wilson emménage dans la chambre verte d'une Ehpad, il a déjà perdu beaucoup de ses capacités et son épouse Sally l'apicultrice n'a pas d'autre solution que de le placer. Atteint par la maladie d'Alzheimer, il se retrouve parfois enveloppé par des souvenirs comme autant de perceptions d'un instant vécu qui parfois déclenchent la mémoire d'événements marquants.
" Mais au lieu de répliques et de phrases, lui viennent par association des températures, des poids , des textures, des sensations qui existent au-delà des mots."
Parfois le bruit d'une machine à écrire ou celui de la pluie traverse son esprit comme un fantôme qui s'évanouit, parfois l'éclat de rire d'une petite fille fait remonter à la surface le souvenir d'une enfant qu'il a aimée.
John a perdu tout contact avec Miranda, sa fille unique, à cause d'un mystérieux malentendu lorsqu'elle avait 16 ans, mais Sally décide de la prévenir afin qu'elle puisse revoir son père.

Jean Hegland dépeint magnifiquement comment la passion d'une vie peut interférer avec la vie elle-même. A chaque instant de sa vie, John pense Shakespeare, parle Shakespeare, se référe a Shakespeare.
Lorsqu'une résidente âgée fait irruption dans sa chambre, il la compare à " l'une des reines malmenées de Vie et mort du roi Jean", quand il déclare son amour à Sally il emprunte les serments de Roméo à Juliette.
Mais parfois, il peut laisser venir à lui les souvenirs et c'est ainsi que l'auteure construit son roman : lorsqu'un mot, une image enclenche la mémoire, elle semble se laisser glisser avec lui dans le passé.

On apprend ainsi que John a découvert l'auteur très jeune, comme une révélation qui a fait basculer sa vie. "Seul dans cette salle de classe pleine d'élèves, John reçoit ces vers comme un coup de pied dans le derrière, comme une vague magnifique et puissante qui l'aspire. Il ignorait qu'il existait des mots pour ce qu'il ressentait, il ne savait pas que quelqu'un avait ainsi pu dessiner les contours de sa tristesse, et moins encore que ce quelqu'un s'appelait William Shakespeare. "
A l'adolescence, alors qu'il travaille dans une station-service, il apprend Roméo et Juliette par coeur et, jusque dans la maladie, il est capable de réciter des tirades complètes qui s'intercalent dans les moments du quotidien.
Cette proximité avec une oeuvre littéraire trouve écho dans une conviction humaniste qu'il s'efforce de transmettre à ses étudiants, la foi dans le pouvoir emancipateur de la littérature.
"L'humanisme (...) dont la valeur la plus fondamentale est la croyance que les êtres humains peuvent apprendre, grandir, changer, et que l'art- et la littérature - peut alimenter cette évolution."

Miranda qui porte son héritage bien plus qu'elle ne le croit, envisage de mener une carrière dans les jeux vidéos. Si elle a déçu son père qui l'interroge régulièrement sur l'Université qu'elle a fréquentée, alors qu'elle n'a pas fait d'études, c'est sans doute en réaction contre ce père qui semblait placer sa carrière universitaire au-dessus de sa vie familiale.
Mais Jean Hegland nous montre que la transmission a fonctionné, que le père a laissé à sa fille le goût des histoires qui donnent du sens à l'existence.
Shakespeare, un game designer?
Même si les codes de la narration sont différents, Miranda est convaincue "qu'un art entièrement nouveau attendait d'émerger, un mix où l'on jouerait, où l'on se créerait un rôle et bâtirait des histoires qui auraient le potentiel de transformer- ou même de transcender- tout ça."
Par delà les générations, le pari sur l'intelligence de l'homme et sur sa capacité à changer le monde en inventant des histoires garde son efficacité.

Cette vision de la maladie est à la fois émouvante et réconfortante. Elle nous permet de mettre de côté la déchéance physique et intellectuelle pour saisir l'inepuisable soutien de la littérature. Comme elle serait douloureuse la solitude de celui qui oublie sans le refuge de ces vers qui consolent et qui peuvent même réparer des liens distendus.
Jean Hegland mêle ses mots à ceux de Shakespeare avec pertinence et subtilité. Tout sonne parfaitement juste, et l'on s'étonne qu'une écriture aussi limpide puisse aussi bien rendre compte de la confusion causée par la maladie.



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Une autrice que j'aime beaucoup. C'est son troisième roman et ils sont tous les trois très différents par leur sujet.
John Wilson est un ancien professeur de littérature anglaise à la retraite, un spécialiste de Shakespeare. Depuis qu'il a découvert cet auteur au collège, il le lit et le connaît par coeur.
John est en couple avec Sally, apicultrice. Il est atteint de la maladie d'alzheimer. Lorsque cela devient trop difficile pour elle de le garder à domicile, elle doit se résoudre à le placer dans un établissement.
John est très désorienté. Sa fille, Miranda, va venir lui rendre visite de temps en temps. Ils vont essayer de renouer les liens.
C'est une lecture assez éprouvante car on suit les pensées désordonnées du narrateur. On oscille entre passé et présent. John se souvient très bien de son enfance, d'événements passés depuis longtemps mais ne sait pas où il se trouve actuellement. Ce dont il se souvient le mieux, ce sont des textes de Shakespeare, il est capable de les réciter par coeur.
Le quotidien et l'environnement d'une personne atteinte d'alzheimer est bien rendu, avec les bons jours et les mauvais jours. John est presque devenu un enfant, dont il faut s'occuper dans tous les actes du quotidien. C'est troublant de voir qu'à la fin de sa vie, tout ce qui lui reste c'est la littérature.
Un roman très réaliste et touchant, Jean Hegland s'est inspiré de la maladie de sa mère.
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Décidément, Shakespeare est une sorte de guest star de la rentrée littéraire, au moins trois romanciers en font un ingrédient central de leurs livres (Eric Pessan dont je n'ai pas encore lu Ma Tempête, Stéphanie Hochet dont j'ai adoré William et Jean Hegland ici). Shakespeare, John Hubbard Wilson, le héros de ce roman lui a même dédié son existence en tant que professeur de littérature dont la vocation est apparue à la lecture des pièces du dramaturge. A l'heure où Alzheimer restreint ses capacités cognitives au point de l'obliger à intégrer une résidence spécialisée, John semble vivre dans un monde où les frontières entre fiction et réalité deviennent de plus en plus poreuses. Au point de lui dicter des tirades de Shakespeare en réponse aux questions des aide-soignantes. Même le souvenir de sa fille avec laquelle il est brouillé depuis quelques années est difficile à retenir, les sensations peinent à prendre forme. Lorsque celle-ci vient lui rendre visite à l'incitation de sa belle-mère, leurs échanges sont rendus encore plus compliqués par la maladie. Pourtant Miranda voudrait dire à son père sur quel quiproquo et quel drame repose leur brouille, tenter une réconciliation. Mais comment rattraper cet esprit qui s'échappe ?

Sur le papier ce roman avait de bons arguments pour me plaire, pourtant cette lecture m'a laissé une impression mitigée et, malgré les quelques pages de postface de l'autrice qui explique son matériau et ses choix je n'ai pas été convaincue. Se glisser dans l'esprit en train de se dissoudre d'un vieil homme n'est pas facile et l'autrice en y mêlant l'empreinte indélébile des pièces de Shakespeare apprises par coeur par John ne s'est pas simplifié la tâche. Au départ j'ai trouvé ça intrigant mais le principe m'a assez vite lassée, d'abord parce que j'ai été débordée par ma méconnaissance de ces pièces - d'ailleurs je défie quiconque n'ayant pas fait de thèse sur le sujet de les connaître sur le bout des doigts - ensuite parce que cela devient vite redondant. Sans compter que cet homme a du mal à forcer la sympathie. A force de s'appesantir sur ce volet, elle néglige le personnage de Miranda qui m'est apparu à la toute fin extrêmement intéressant. A ce moment j'ai vraiment regretté que l'autrice ne joue pas plus sur le parallèle entre l'évolution des deux protagonistes plutôt que de régler celle de Miranda en quelques lignes à la fin. Ce déséquilibre m'a semblé rendre le roman pesant, trop cérébral, au détriment de l'émotion. C'est vraiment dommage.

Jean Hegland révèle avoir puisé dans son expérience personnelle avec des proches pour le personnage de John, ainsi que sa dette envers Shakespeare. Je regrette qu'elle n'ait pas réussi à me transmettre les sentiments qu'elle espérait diffuser. Sans doute d'autres y seront plus sensibles.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Coup de Coeur de cette rentrée littéraire 2023 !

Un roman émouvant d'une poésie merveilleuse sur la transmission et le sens que l'on donne à sa vie...
Un très bel hommage à William Shakespeare et à la littérature qui accompagne l'existence, tel un soutien indéfectible : "C'est l'art qui aide les humains à endurer - et parfois transcender - leur souffrance"

John Hubbard Wilson, professeur de littérature, l'a toujours dit à ses étudiants dans son cours sur Shakespeare : « Nous allons tous mourir. C'est ce qui se passe pendant que nous vivons qui doit compter – ce que nous apprenons, ce que nous savons, ce que nous finissons par comprendre avant de disparaître. »

Au crépuscule de sa vie, John, atteint de la maladie d'Alzheimer, qui grignote peu à peu sa mémoire, renoue avec sa fille, Miranda, qu'il n'a pas vue depuis dix ans. Leur relation gâchée, suite à un malentendu, rencontre alors une ultime chance d'être réparée. Et si, pour John, oublier permettait de mieux pardonner à sa fille ?

J'ai vraiment beaucoup aimé la prose poétique de l'autrice américaine Jean Hegland et je tiens aussi à saluer le talent de sa traductrice, Nathalie Bru, pour la finesse et la justesse de son travail. Je remercie les @editionsphebus et @NetGalleyFrance de m'avoir permis de découvrir ce roman bouleversant.

Perdu dans ses pensées, John s'ennuie, emprisonné dans la maison de retraite où sa femme apicultrice, Sally, a été contrainte de la placer. Comme moyen d'évasion, John remonte chaque jour le fil de sa vie, alternant entre présent et passé : ses quatre mariages ; sa relation conflictuelle avec sa fille, Miranda ; sa vie professionnelle et ce discours raté à cause d'elle... Cette introspection va lui révéler son attitude quelque peu égoïste envers sa fille, ce qui va lui permettre de lui pardonner à la fin du roman.

Dans cet imbroglio de pensées, qui m'a fait un peu pensé à ce jeu des "cadavres exquis", John cite des vers du grand Will à partir d'un mot anodin qui déclenche ses divagations, de manière à la fois amusante et émouvante.
Incarnant, tour à tour, le Roi Lear, Hamlet ou Roméo en revisitant certaines scènes qu'il connaissait par coeur, John nous entraine dans son univers poétique pour fuir la triste réalité qui le fait souffrir.

Je recommande ce roman bouleversant, mais aussi plein d'humour, à toutes celles et ceux qui veulent (re)découvrir les pièces de théâtre de Shakespeare car, en tournant la dernière page, ce roman vous donnera envie de les (re)lire. En cela, Jean Hegland réussit parfaitement à transmettre sa passion pour le grand Will ! Mission de transmission accomplie !
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John Wilson est un professeur d'université américain spécialiste de Shakespeare. Agé de plus de soixante ans, sa mémoire défaille. Sa femme, Sally, et lui doivent faire face à la maladie d'Alzheimer. Sally prend la lourde décision de placer John dans un établissement spécialisé, elle ne peut plus le laisser seul. John est perdu, ne sait pas où il est, il se raccroche aux pièces et personnages de Shakespeare pour se raccrocher. Sally a également contacté Miranda, la fille que John a eu d'un précèdent mariage, et avec qui il est fâché depuis plusieurs années. Miranda va essayer de renouer avec son père pendant qu'il est encore temps....
J'ai trouvé ce roman très très intéressant. Je ne connaissais rien à Shakespeare et j'ai maintenant très envie de le lire. Et j'ai trouvé l'histoire très émouvante. de voir John, si perdu, si démuni, j'ai eu parfois envie de le serrer dans mes bras. Et que dire de Miranda, qui a du tant souffrir, mais qui essaie comme elle peut de renouer avec son père tant qu'il est encore temps. C'est mon troisième livre de cet auteur, dont j'avais adoré Apaiser nos tempêtes, encore bien plus que dans la forêt. Je trouve qu'elle a une manière tellement fine d'écrire les personnages.
Merci à Netgalley et Phébus pour cette lecture.
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