Vainqueur du Prix des lecteurs de l'Hebdo 2016 - catégorie essai
Aline Helg, professeur à l'Université de Genève (après plusieurs années passées aux États-Unis, à l'Université du Texas) a fourni un travail historiographique colossal pour nous livrer au final une étude très complète des stratégies d'émancipation des esclaves, au cours de cinq siècles et à travers tout le continent américain. Son travail permet de revenir sur une vision un peu biaisée de l'esclavage, aboli gracieusement par quelques anglais plus éclairés et un noble président américain pour le bénéfice d'une population noire complètement passive. Au contraire,
Aline Helg nous montre que dès le début de l'esclavage en 1492 et cela jusqu'à ces derniers jours en 1838, des esclaves se sont révoltés contre leur sort et ont trouvé des stratégies pour s'émanciper, formant, petit à petit, des communautés de "libres de couleur". L'auteur nous livre ainsi une histoire de l'esclavage "par le bas".
J'ai trouvé cet essai passionnant. L'abolition de l'esclavage est un sujet bien sûr largement traité mais les émancipations individuelles obtenues au fil des siècles et par différentes stratégies m'étaient beaucoup moins familières. J'admire également l'exhaustivité de l'étude d'
Aline Helg, qui loin de chercher la facilité en se concentrant uniquement sur un pays ou une époque, réussit ici à nous donner un aperçu large en se basant sur des publications et documents en 4 langues. Un travail bibliographique qui parait titanesque mais qui permet de comprendre les différences entre l'Amérique hispanophone et catholique et celle des colonies anglophones et protestantes.
Plus jamais esclaves! passe donc en revue le marronnage, à savoir la fuite des esclaves dans les régions encore inhabitées du continent, la manumission (l'achat de sa liberté), la révolte ou l'engagement militaire et parcourt en parallèle toute l'histoire de l'Amérique en montrant le rôle souvent ignoré de cette population silencieuse. Mise à part l'épisode de la révolte de Saint-Domingue qui verra la création de la République d'Haiti, l'auteur montre que les esclaves et leur désir d'émancipation jouent également un rôle dans les guerres d'indépendance américaines ou dans l'histoire post-révolutionaire de la France, épisodes où la contradiction entre l'idéal de liberté s'oppose de manière inéluctable au désir de maintenir une main d'oeuvre servile dans les Amériques.
A travers les siècles,
Aline Helg montre que certains esclaves ont réussi à exploiter les faiblesses passagères des régimes afin de s'émanciper, et cela malgré les énormes obstacles imposés par les différents gouvernements. Les quelques révoltes, parfois seulement soupçonnées, se terminaient en bain de sang et exécutions "exemplaires", la manumission promise à un esclave était souvent repoussée voire révoquée, les communautés marronnes rapidement anéanties et l'engagement militaire rarement récompensé malgré les promesses des belligérants à court de chair à canon (l'épisode de la "loterie de la liberté" en Argentine m'a particulièrement marquée).
On pourrait regretter l'accumulation de statistiques, qui rende ce récit précis mais peut-être un peu lourd parfois.
Plus jamais esclaves! reste un travail de recherche académique mais son souffle et son sujet passionnant le rend toutefois tout à fait abordable.
Un travail de recherche extrêmement précis mais inspirant sur l'émancipation des esclaves à travers toute l'Amérique. L'ouvrage d'
Aline Helg redonne un rôle, une place à plus de 12 millions d'africains importés dans les Amériques, soumis aux lois des esclavagistes mais également acteurs de l'histoire.
Plus jamais esclaves! se lit ainsi au final comme une formidable ode à la liberté.
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