J'apprécie beaucoup les romans d'
Anne-Lise Heurtier, notamment "
Sweet sixteen" et "
La fille d'Avril", je trouve ses personnages féminins remarquables et militants (dans le bon sens !). Dans "Fubuki Katana", l'héroïne Emi a de gros soucis, et personne pour les partager. Lycéenne à Tokyo, elle est victime depuis quelques mois d'une mise à l'écart qui s'est peu à peu muée en harcèlement. Et dans ce cas-là, la culture japonaise impose de se taire et de cacher sa souffrance ("être victime est humiliant"), quitte à devenir une Hikikomori, ces jeunes qui ne sortent plus de leurs chambre pendant des mois voire plus, ou pire encore, certains allant jusqu'à aller se suicider dans les forêts des alentours. Et les parents d'Emi ne lui sont d'aucun secours, ne remarquant apparemment rien du malaise de leur fille. Heureusement, Emi a quand même quelques échappatoires : elle fréquente régulièrement un bar à chats, où elle va rencontrer Hana, une jeune fille un peu hors normes avec laquelle elle va se lier ; et elle est férue de manga en tous genres, allant jusqu'à imaginer et visualiser sa propre vie sous formes de planches de BD, et à se représenter les gens sous les traits de personnages de séries.
Régulièrement, entre deux chapitres s'intercalent des mails émanant d'un service "suivi des missions" et adressés à Fubuki Katana, dont on ignore qui elle est, ainsi que son rôle dans le récit.
L'histoire est intéressante, bien documentée, j'ai appris certaines choses que j'ignorais totalement (par exemple sur la "caste" des Burakamin, aussi méprisés que les Intouchables en Inde), et pourtant j'ai fréquenté quelques japonais...une culture souvent bien difficile à appréhender pour les Européens ! Emi m'a touchée, j'ai ressenti sa honte et son désarroi, et je me suis réjouie de sa rencontre avec Hana. La professeure d'arts plastiques, qui est la seule à sembler comprendre ce qui se joue dans la classe fait ce qu'elle peut, mais n'intervient pas vraiment, ce qui est un peu frustrant : en France nous sommes quand même formés un tant soit peu à réagir lorsqu'un élève est manifestement victime de harcèlement, même si les interventions sont parfois maladroites et peuvent causer plus de dégâts qu'autre chose ! Là on sent vraiment l'indifférence, voire le mépris des adultes référents vis à vis de la victime, c'est assez révoltant.
Là où je n'ai pas accroché, c'est le style de la narration, notamment ces passages où Emi passe en mode manga et se met à décrire une situation comme un scénario. J'ai trouvé que ça nuisait à la fluidité de l'histoire sans apporter grand-chose. Et j'avoue ne pas être spécialiste de ce type de lecture, l'énumération de séries m'a un peu agacée. Alors bien sûr je connais Naruto, ou One Piece, mais ça ne va guère plus loin. Je ne perds pas de vue que ce roman est destiné à des ados, mais je pense que les références à cet univers sont un peu trop nombreuses. j'ai trouvé également que le ton était trop froid, très détaché, même si c'est sans doute volontaire. Je n'ai pas retrouvé ce qui m'avait séduit dans les autres romans de l'auteure. Et j'ai très vite compris le fin mot de l'histoire (peut-être parce que je connais quand même un peu la culture nippone).
C'est donc sur un avis mitigé que je conclus ma critique, je continuerai à promouvoir les livres d'
Anne-Lise Heurtier que je considère comme une auteure jeunesse de qualité (très sympa en plus, ce qui ne gâte rien !), mais celui-ci ne comptera parmi mes préférés.