Dans «
L'enfer de Church Street » paru en 2012,
Jake Hinkson, auteur du très réussi «
Sans lendemain », mêle comme à son habitude la religion et le crime. Ce fils de prêcheur baptiste connaît son sujet et réussit le prodige d'écrire des romans hors du temps, qui trouveraient leur place dans les années cinquante, au coeur de l'âge d'or du roman noir.
Geoffrey Webb, l'anti-héros du roman se fait braquer sur un parking. Notre homme est passé de l'autre côté du miroir et ne semble pas craindre le pistolet que braque sur lui son agresseur. Il a même le culot de lui proposer un marché : en échange des trois mille dollars qui se trouvent dans son portefeuille, ce dernier devra le conduire en voiture juste qu'à Little Rock, Arkansas, située à cinq heures de route. Webb va se confesser auprès de son agresseur et lui narrer la succession tragique d'évènements qui l'ont conduit dans ce lieu où la peur des hommes n'existe plus.
« Je vais vous dire pourquoi je vais aller en enfer. Vous vous rangerez rapidement à l'idée que je le mérite. »
Après avoir fini ses études supérieures, Webb trouve un premier emploi d'aumônier à « l'Eglise Baptiste pour une Vie Meilleure » dans le sud-ouest de Little Rock. Une vocation singulière qui dissimule un calcul froid. « La religion est le boulot le plus génial jamais inventé, parce que personne ne perd jamais d'argent en prétendant parler à l'homme invisible installé là-haut. Les gens croient déjà en lui. Ils acceptent déjà le fait qu'ils lui doivent de l'argent, et ils pensent même qu'ils brûleront en enfer s'ils ne le paient pas. Celui qui n'arrive pas à faire de l'argent dans le business de la religion n'a vraiment rien compris. »
Calculateur et perspicace, Webb a tôt fait de jauger la communauté qu'il vient d'intégrer, et n'a que mépris pour le pasteur qui la dirige, le dénommé Frère Card. Il distille tel un serpent des sermons érudits et percutants qui lui permettent de trouver rapidement sa place au sein de la communauté, tandis que le soir venu, il pioche dans son imposante collection de films pornographiques. Notre imposteur semble maîtriser sa partition à merveille. du moins jusqu'à ce que la rencontre d'une jeune fille de seize ans, « sans attrait, grosse », ne déclenche un désir aussi inexplicable qu'irrésistible.
Webb ne le sait pas encore mais cette rencontre marque le début d'un véritable voyage au bout de l'enfer, qui de lâchetés en compromissions, conduira notre homme au coeur des ténèbres.
« Un livre totalement immoral, d'une drôlerie, d'un humour, d'une ironie extraordinaires », mentionne le bandeau un brin enjôleur apposé sur cette réédition par Gallmeister d'un roman sombre comme une nuit sans lune. Si l'humour noir et la faconde ironique sont au rendez-vous, ce roman ne m'a jamais semblé « immoral », bien au contraire. Si l'adjectif « immoral » est probablement jugé transgressif et censé constituer à ce titre un gage de qualité, il faut rétablir une vérité : une morale teintée d'ironie irrigue le roman et constitue in fine le coeur de l'intrigue développée avec malice par
Jake Hinkson. Comme «
Sans lendemain », «
L'enfer de Church Street » s'attache avant tout à dénoncer l'hypocrisie absolue qui règne dans une communauté prête à sacrifier son âme sur l'autel des apparences.
S'il joue avec maestria avec les codes du roman noir, « hard boiled », l'auteur dévoile pour mieux les dénoncer les faux-semblants de la communauté baptiste où se déroule l'intrigue. A sa manière, il sonde les reins et les coeurs et dynamite avec un plaisir non feint la duplicité d'une société disposée à toutes les compromissions pour satisfaire son désir de respectabilité. Comme ses illustres prédécesseurs,
Raymond Chandler ou
Ross McDonald,
Jake Hinkson nous emporte dans une intrigue qui s'assombrit chaque page davantage. Au-delà de la violence inouïe que déchaîne un psychopathe prêt à tout pour parvenir à ses fins, l'auteur nous rappelle que, «
L'enfer de Church Street » est avant tout le lieu où se côtoient imposteurs, pharisiens, et tartuffes sans envergure.