L'expédition de Bonaparte en Egypte et la publication entre 1809 et 1829, des dix-neuf tomes de la Description de l'Egypte vont ouvrir, en ce début du XIXe siècle, la voie à une science dont les découvertes continuent de faire battre les coeurs des amateurs d'archéologie : l'égyptologie.
Le déchiffrement des hiéroglyphes par le français Jean-François Champollion, événement qui signe le 14 septembre 1822 l'acte de naissance officiel de l'égyptologie, est indissociable du contexte historique, intellectuel et philosophique dans lequel baignent l'Europe et en particulier la France à cette époque. Les esprits éclairés par le siècle des Lumières sont tout à la fois avides de découvertes, d'exotisme et de travaux de recherche fondés sur des critères scientifiques. L'Orient attire et intrigue de nombreux savants et amateurs. Mais les hiéroglyphes gravés sur les temples de la vallée du Nil, pour lesquels La Description de l'Egypte fournit une remarquable documentation, restent muets. Depuis la fermeture officielle par le christianisme triomphant du dernier temple païen à Philae au Ve siècle de notre ère, l'écriture des Pharaons a été bannie des rives du Nil, laissant la place à des écritures simplement alphabétiques : le copte puis l'arabe. La publication des travaux et relevés des savants de l'expédition de Bonaparte permet une nouvelle approche, plus scientifique, de la question du déchiffrement des hiéroglyphes, qui, depuis quelques décennies déjà, taraudaient ça et là quelques esprits érudits et curieux. Il y a dans les années 1820 un frémissement intellectuel très net, une curiosité chaque année plus aiguë pour ces drôles de signes, qu'accroît bien évidemment la contemplation des planches des cinq tomes de La Description de L'Egypte consacrés à l'Antiquité. L'Egypte devient à la mode et s'empare de chacun, tandis que les inscriptions hiéroglyphiques arrivent par dizaines, voire par centaines, sous les yeux des amateurs d'archéologie et d'épigraphie (p. 238).
L'expédition d'Egypte et la naissance de l'égyptologie, Guillemette Andreu
Ayant convaincu Bonaparte de le laisser le suivre en Égypte malgré son âge avancé pour l'époque (il a alors cinquante et un ans), Denon accompagne la division commandée par Desaix, qui remonte le Nil d'août 1798 à juillet 1799 à la poursuite de Murâd Bey.
Il surprend tout le monde par son infatigable curiosité, son égale bonne humeur et son humour, témoin ce dessin où il s'est représenté, pour souligner l'inconfort quasi permanent du dessinateur. "J'étais heureux, note-t-il, de trouver dans le complaisant enthousiasme des soldats, des genoux pour me servir de table, des corps pour me donner de l'ombre..." Il précise qu'il n'a jamais quitté son portefeuille, qui se gonfle chaque jour de nouveaux dessins, au point de lui servir d'oreiller (p. 244).
L'expédition d'Égypte et la naissance de l'Égyptologie, Denon et son voyage. "Denon dessinant les ruines d'Hieraconpolis", Voyage dans la Basse et Haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte, Paris, 1802 (cf. pl. 54), Dominique Vivant Denon (1747 -1825)
Crayon et encre grise, lavis brun et gris, sur papier quadrillé, Londres, The British Museum.
Brève et violente, cette page ouvre un chapitre qui n'a pas fini de s'écrire. Bonaparte en Égypte, c'est le début d'une passion, la rencontre de deux pays, de deux cultures, dans un choc des civilisations que prolonge une longue et fructueuse relation. (...) Une histoire qui commence par le feu, celui des canons, de la guerre et des soldats, et se poursuit avec les Lumières, celles de l'esprit, des savants et des intelligences partagées.