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EAN : 9782204112925
296 pages
Le Cerf (27/01/2017)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Coran, sunnisme, chiisme, soufisme, charia,wahhabisme, Frères musulmans, salafisme, mosquées, laïcité, djihadisme... Ces mots nous les entendons sans les comprendre. À la fois religion et système politique, l'islam est un fait complexe, souvent mal appréhendé. Jacques Huntzinger nous offre ici une initiation claire et approfondie, minutieusement documentée, pour nous permettre de mieux saisir ses réalités actuelles, en nous plongeant dans son histoire : le Prophète ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le sunnisme est le courant majoritaire de l'islam, celui qui est fondé sur la Sunna, la tradition, la coutume. Il vise à organiser l'umma, la communauté des musulmans et trouve son inspiration dans le principe d'unicité, celle de Dieu, face au polythéisme, face à la trinité chrétienne, face à l'humanité, qui reste séparée de Dieu (le verbe ne s'est pas incarné), celle de l'organisation politico-religieuse, celle de la Révélation qui interdit toute vérité humaine, toute création humaine (tout a été dit dans la Révélation, il n'y a plus qu'à appliquer).

Dès l'origine, puisque ce sont les nobles mecquois qui l'emportent dans la guerre de succession au Prophète (la fitna), le sunnisme unit, par le califat, la politique et la religion. En dix ans, Mahomet se rend maître de la péninsule arabique, en 90 ans de plus, l'Empire est constitué, de l'Espagne à l'Afghanistan. Un siècle de plus et il se disloque jusqu'à se réduire à l'Irak.

Quelques courants tentent d'instiller l'idée que la raison pourrait avoir sa place et que l'être humain aurait la capacité d'inventer, que tout ne serait pas dit dans la Révélation. Ainsi, les qaradites, au 8ème siècle, nient la prédestination et le Coran incréé (ni daté ni contingent) ; ils mènent au mutazilisme qui devient la religion officielle de l'Empire au IXème siècle. Il s'agit de mettre tout le monde d'accord, les hérésies se sont multipliées. Mais le mutazilisme, qui fait une place au raisonnement personnel et fait du Coran une Révélation historicisée, ouvrant le droit à son herméneutique, reste un courant élitiste. al Hanbal, en fondant le hanbalisme et le premier sunnisme, réaffirme la valeur du Coran incréé et de l'unicité, referme la parenthèse rationaliste du mutazilisme et de l'islam... qui ne se rouvrira qu'au XIXème siècle.

Les acharites tentent un juste milieu : un Coran incréé, mais un possible ijtihad (réflexion personnelle) pour accroître sa foi, même si la raison est une simple faculté de comprendre et que la liberté humaine est inexistante. Les Seljoukides au XIème siècle et, plus tard, l'Empire ottoman, feront de l'acharisme leur religion.
Chaque fois que le pouvoir aura besoin de réaffirmer sa solidité, on réaffirmera l'importance de l'unicité, de la Sunna, de la loi. Ainsi, Ghazali combat la falsafa, la réflexion théologique, et pose que la charia répond déjà à toutes les situations possibles. Averroès, au XIIème siècle, depuis Cordoue, reprendra bien le droit à philosopher des mutazilites, mais il n'aura aucune audience dans le monde arabe (alors que ce sont ses commentaires qui occupent les universités latines). Sa "falsafa" est, comme la leur, une théologie, car la philosophie doit expliquer la religion.

Durant presque dix siècles, le sunnisme ne bouge plus entre un courant conservateur, l'acharisme, et un courant radical, fondamentaliste, régulièrement réaffirmé (hanbalisme, puis Ibn Tamiyya au XIIIème siècle, très populaire jusqu'à aujourd'hui). le retour systématique aux ancêtres, les salafs, à la tradition, la Sunna, à l'unicité, le rappel de l'interdiction de la bida, ou innovation (qui laisserait éventuellement sous-entendre que Dieu n'ait pas la science infuse) et l'intrication entre le calife, la loi et le peuple par la religion, sont la raison de l'immobilisme des sociétés de l'islam sunnite.

Le monde islamique atteint son apogée en 1453 avec la prise de Constantinople et affronte l'Empire habsbourgeois. le statu quo est dépassé avec la perte de la Crimée en 1783 et l'invasion de l'Egypte par Bonaparte en 1798. Commence alors la remise en cause, le questionnement, l'inquiétude du monde arabe sur la raison de son dépassement par la modernité - et la situation dure encore.

La Nahda est le nom, au XIXème siècle, de la réforme ou de la modernité au sein du monde arabe. Elle est initiée par Méhémet Ali, pacha d'Egypte et son fils Ibrahim. Ils veulent introduire les résultats de l'étude menée durant cinq ans à Paris par un imam de l'université d'al Azhar. Ils se heurtent à l'Empire ottoman qui refuse la constitution d'une Egypte indépendante, aux oulémas (théologiens) égyptiens, et à l'université d'Istanbul. C'est l'échec.

En Tunisie, en revanche, soutenus par l'élite pensante, Kheireddine Pacha parvient à faire signer une constitution en 1861, la première du monde islamique.

Sinon, la recherche de l'adaptation à la modernité est considérée depuis le point de vue de la religion. al Afghani prend le prétexte que le retour au texte du protestantisme a amené le capitalisme et le libéralisme pour prôner un retour aux sources de l'islam, mais il ne s'extraie pas vraiment de l'acharisme. Mohamed Abdouh reprend et veut insinuer le kalam (étude rationnelle des textes sacrés) à l'université du Caire - mais il est obligé de s'exiler pour cette audace - qui ne sera pas mise en oeuvre.

Ali Abderrazik rédige en 1925 un brûlot où il se réjouit de l'abandon du califat, prône l'indépendance de la religion, condamne le modèle de l'Etat islamique. Sa lecture fait toujours scandale aujourd'hui (exécution d'un lecteur assidû au Soudan en 1985). Rachid Rida aura plus de succès en reprenant Tamiyya (XIIIème siècle), fasciné par la réussite des Saoud à constituter, en 1932, un royaume.

C'est que le relais conservateur de l'islam sunnite, le wahhabisme, s'est constitué sans aucun rapport avec le thème de la confrontation d'avec l'Occident. C'est un courant né dans le désert de la péninsule arabique par al Wahhab, qui se désespérait de la déliquescence de l'enseignement du Prophète et impose le retour aux Salafs, à la Sunna, au rigorisme, au jihad. Les Saoud qui envisageraient bien de conquérir la péninsule, y trouve une formidable occasion de légitimer leur prise de pouvoir à venir. le pacte de Nadjd en 1845 entre les Saoud et al Wahhab, entre le pouvoir politique et la théorie religieuse fondamentaliste, tient toujours aujourd'hui. Après deux premiers royaumes mis en échec par l'Empire ottoman qui tient à son unité, le troisième royaume Saoud devient l'Arabie Saoudite en 1932.

Et le wahhabisme est sa religion, un fondamentalisme qui reprend l'islam sunnite unitaire d'un Etat politico-religieux. Pour s'opposer à la campagne de dénigrement des Ottomans acharites qui se moquent de leur radicalisme, les Saoud revendiquent l'appellation de salafistes, ceux qui reviennent à la tradition des ancêtres, les salafs. Les salafistes sont les « gens de la Sunna ». Avec l'argent du pétrole et la légitimité de la Mecque, le wahhabisme devient le sunnisme officiel dans le monde arabe, promu et diffusé par des réseaux de communication, la Ligue islamique, la création et le financement d'universités et de formation d'imams. Les universités de Médine, de la Mecque et de Ryad se verraient bien dépasser en prestige celles du Caire et de Tunis.

Un disciple de Rachid Rida, toujours en Egypte, Hassan al-Banna, anti-Abderrazik au possible, aura raison de lui en fondant en 1928 les Frères Musulmans, un mouvement qui fait de la religion un programme politique de nature à engager une révolution politique. C'est la définition du fondamentalisme, quand la religion n'est pas seulement figée ou fixée (intégrisme), mais qu'elle prétend engager la refonte d'une nouvelle organisation, qui revienne aux fondements. Les Frères Musulmans sont aujourd'hui un courant majeur du sunnisme (Egypte, FIJ algérien, PJD marocain, Ennahda tunisien, Hamas à Gaza, Frères jordaniens).

Au même moment, Mustapha Kémal, en Turquie, crée un Etat séculier : égalité homme-femme, droit de vote pour tout le monde, code vestimentaire, laïcité, etc. L'auteur écrit que la laïcité est plutôt ici une nationalisation de la religion puisque l'Etat organise la religion (mais la laïcité « intégrale » n'est pas très répandue, si ?…)

L'auteur mène ensuite une réflexion sur les possibilités d'évolution ou d'adaptation à la modernité des sociétés arabes, mais il est très pessimiste : la forme de l'Etat est la même depuis qu'al Khaldoun l'a théorisé au… XIVème siècle, à savoir une solidarité entre clans et tribus et c'est le clan dominant qui prend le pouvoir. Autrement dit, tout l'opposé de l'Etat de droit, de la constitution et tout le toutim. Tous les Etats musulmans depuis (à l'exception de la Tunisie) s'organisent sur le modèle d'un Etat autoritaire, en suivant le principe de l'unicité politico-religieuse. Quant à la laïcité, elle est dévoyée au bénéfice du nationalisme, ou pour servir de réduction des opposants religieux (anti-chiites en Irak du temps de Saddam par ex). L'Etat étant autoritaire, l'espace public n'existe pas et la seule parole qui se diffuse est celle des religieux : les gouvernants n'ont d'autre choix que d'islamiser leur Etat. Les seules révolutions qui émergent sont celles des fondamentalistes (kharadjites, hanbalisme, wahhabites, islamisme politique des Frères Musulmans) qui veulent refonder un Etat sur une base traditionnaliste…

C'est un peu sévère parce qu'on ne peut tout de même pas dire qu'entre la sécularisation du XVIIIème siècle en France et la loi de 1905, tout se soit fait ni en un temps record, ni de manière très fluide et qu'en plus, me semble-t-il, il existe des pays chrétiens qui écrivent in God we trust sur leurs billets de banque, ont « Dieu et le roi » pour devise, ou bien paient un impôt sur le culte, et pas si loin de chez nous (si vous n'habitez ni en Afrique, ni au Québec) si bien que la laïcité irakienne de Saddam et celle de Kémal en Turquie n'étaient peut-être pas si mal engagées. Enfin je dis ça. Bref.

Aujourd'hui, remarque l'auteur, en laissant une impression de tristesse au pauvre lecteur, à la pauvre lectrice, la réforme religieuse impliquerait une distanciation de la Sunna : mince, c'est le coeur même du sunnisme ; il faudrait une autorité pour imposer cette vérité nouvelle : zut, le sunnisme, en favorisant l'unicité politico-religieuse, ne s'est pas organisé en clergé au contraire du chiisme ; il faudrait un Etat libre qui laisse la possibilité d'une pensée théologique : raté, ce n'est pas le cas puisque l'Etat est toujours autoritaire ; à tout le moins faudrait-il des courants religieux réformistes : pas de bol, aucun des trois courants dominants aujourd'hui (wahhabisme, acharisme, salafisme) ne l'est… les quelques néo-mutazilites sont ultra-minotaires et écrivent depuis l'Europe ou l'Amérique…

Tout n'est pourtant pas perdu, trois pistes sont à noter : d'abord le chiisme, malgré les apparences, si si, paraît plus avancé dans le réformisme ; deuxièmement le soufisme représente une possibilité d'évolution théorique du sunnisme ; et troisièmement la société, malgré tous les wahhabismes et tous les fondamentalismes possibles et imaginables, évolue quoi qu'on en dise.

Car le chiisme a un clergé, il a posé dans ses principes fondamentaux le quiétisme et le recours à l'ijtihad (réflexion personnelle) et, par ailleurs, le khomeinisme, qui fait de l'Iran une théocratie chiite, aurait tendance à faiblir, les nouvelles générations souhaitant un retour à une séparation du religieux et du politique.

Le soufisme est une opportunité car il est d'abord d'origine sunnite (refus des mystiques d'assumer les erreurs des califes), ensuite quiétiste (apolitique), et enfin sa mystique engage la recherche de la religion intérieure. Celle-ci pourrait faire pendant à la religion extérieure de la Sunna et engager ce mouvement de distanciation d'avec le sunnisme fondamentaliste.

Enfin, la société évolue quoi qu'on en dise : le taux de natalité est passé de 7 à 2,5 ; la polygamie est de moins en moins acceptée ; l'égalité de droits est revendiquée ; les révolutions de 2011 montrent que la société se réforme de toute façon…

En conclusion, je dirais que je resterai circonspect et songeur la prochaine fois que j'entendrai dire que la France est difficile à réformer.
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Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Certes, le nationalisme moderniste enthousiaste de la Révolution française a bouleversé la Turquie nouvelle en la sortant du système islamique classique, par la laïcisation du droit et de l'école ainsi que par l'européanisation du statut de la femme et des règles sociales.
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la réponse spontanée au bouleversement de son environnement sera une réponse religieuse. C'est ce qui se produira à partir du XVIIIème siècle. Face à l'ébranlement du monde de l'islam, le religieux apparaîtra comme la réponse adaptée en devenant une idéologie.
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Le grand djihad serait le vrai djihad affirmé par le Prophète. Il est le combat contre soi-même, l’effort sur soi-même pour le perfectionnement moral et religieux, « la lutte sur le chemin de Dieu ». Ce grand djihad, le djihad des âmes, serait la signification principale du concept.
Le petit djihad, qui est la lutte armée rendue nécessaire dans certaines circonstances, le djihad des corps, ne serait que l'acception seconde du concept.
Mais la réalité historique est différente.
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On pourrait dire sans forcer le trait, qu'Abd el Wahhab et Ibn Saoud ont réussi à leur époque à faire ce que cherche à faire aujourd'hui l'organisation de l'Etat islamique sur le territoire irako-syrien. On a pu dire, avec une certaine justesse, que l'Arabie Saoudite est un Daech qui a réussi, en alliant les mêmes ingrédients que sont un fondamentalisme religieux radical et une ambition territoriale destinée à recréer un Etat islamique.
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On connaît la phrase de Massignon selon laquelle le judaïsme est la religion de l'espérance du messie, le christianisme est la religion de l'amour prêché par Jésus, et l'islam est la religion de la foi révélée par Mahomet.
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Vidéo de Jacques Huntzinger
Conclusion de Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France en Israël, co-responsable du séminaire, Femmes et religions en Méditerranée, du Collège des Bernardins, lors du colloque conclusif "Femmes et religions en Méditerranée".
En savoir plus : https://bit.ly/3FBrHZa
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