Un ouvrage de 2006, sorti en même temps que plusieurs études sur la sinistre "brigade Dirlewanger", unité SS responsable de crimes abominables sur le front de l'est pendant la seconde guerre mondiale.
Mon avis est très mitigé sur ce travail. Bien que l'auteur soit perçu comme un "spécialiste du nazisme" et se présente comme un "spécialiste du phénomène guerrier au 20e siècle", il est clair que cet ouvrage ne vaut finalement pas grand chose de plus que les autres, qui ne valent déjà pas beaucoup.
Le fait est que le matériel historiographique ayant survécu à la guerre est très limité, tout comme il est vrai que par la nature des crimes qu'ils ont commis, les survivants de l'unité n'ont guère été prolixes sur leurs actions, pour éviter les procédures judiciaires, les crimes contre l'Humanité étant imprescriptibles en Droit. Mais tout de même, il y avait probablement plus à dire sur cette unité que cette triste mise en perspective de laquelle il ne ressort finalement qu'assez peu d'éléments d'information. Et ces informations sont en plus sujettes à caution.
Deux gros points noirs ressortent, pour moi, de cette lecture:
- l'auteur a tendance à beaucoup trop enchainer les déclarations, sans qu'elles ne soient étayées ni critiquées. Complètement focalisé sur son sujet d'étude,
Christian Ingrao n'a pas pensé à replacer les actes des hommes de la Dirlewanger dans le contexte plus général de la guerre à l'est. Il n'a pas non plus replacé l'évolution de l'unité dans la dynamique de la guerre, et en particulier en la comparant aux évolutions qui ont touché les autres unités SS, une comparaison qui pourtant suffit à elle seule à invalider ou au moins sérieusement relativiser nombre de déclarations contenues dans cet ouvrage. Il ne pense pas un seul instant à comparer les actes de la Dirlewanger à ceux de la brigade Kaminski, en Ukraine, dont l'emploi était pourtant fondamentalement le même. Il ne replace pas non plus l'action de la Dirlewanger dans le contexte plus général de la "Shoah par balle" exécutée par les Einsatzgruppen, alors que la Dirlewanger commettra le même type de crimes lors de la répression du soulèvement de Varsovie. Ce manque fragilise totalement les assertions d'Ingrao, et cette focalisation largement excessive sur les actes de la Dirlewanger, sans le contexte et le "fond", réduit totalement l'intérêt de ce livre.
- Mais surtout, SURTOUT,
Christian Ingrao s'est borné à essayer de démontrer que l'unité Dirlewanger, sous prétexte d'avoir été constituée sur un noyau de braconniers, a considéré la lutte contre les partisans comme une "chasse". Là, on n'est pas dans la faiblesse structurelle comme précédemment, mais carrément dans le délire intellectuel. Ce n'est pas parce qu'une unité est bâtie sur un noyau de braconniers que ceux-ci vont aborder la guerre comme une chasse. Ingrao a totalement perdu de vue que les hommes de la Dirlewanger étaient avant tout des soldats, à l'image d'Oskar Dirlewanger, vétéran de la première guerre mondiale. Chasse et guerre n'ont rien à voir, et il faut vraiment ne jamais avoir ouvert un seul ouvrage de soldat ni aucun ouvrage sur la guerre pour oser une telle comparaison. Même dans le contexte particulier de la lutte contre les partisans, qui n'est rien d'autre qu'une guerre contre-insurrectionnelle, parler de "chasse" est totalement absurde. Ingrao appelle en soutien de sa thèse les écrits du haut commandement nazi, en particulier Himmler, artisan premier de la brigade Dirlewanger. Or, Himmler n'a jamais été un soldat, et n'a fait que la fantasmer tout au long de sa vie. La chasse était pour lui le seul moment où il pouvait se sentir l'égal des autres dignitaires nazis, vétérans de la première guerre mondiale. son approche relevait d'une vision romantique, fantasmée, de l'Homme face à la Nature, où l'être se révèle pleinement lors de la mise à mort de sa proie, sans qu'il ne courre de danger réel. Rien de tout ça à la guerre, où l'homme meurt au hasard des obus et des balles, sans rien savoir de son ennemi. La traque des partisans nécessite de petites unités mobiles et à même de rester discrètes. C'est une guerre de commandos, certainement pas une "chasse à l'homme". Or, Ingrao ne comprend pas l'essence fondamentale de la Contre-Insurrection, et se borne à la réduire à une chasse minable où l'homme-chasseur chasse l'homme-animal. Sous prétexte que les SS considéraient les communistes comme des animaux, la guerre qu'ils ont menée serait réductible à une guerre cynégétique, une immense chasse. C'est oublier que l'essence de la philosophie nazie reposait sur la différenciation entre sur-hommes germaniques et sous-hommes juifs, slaves, etc. Ces derniers ne sont pas "animalisés", ils sont déshumanisés, parce que races dégénérées. Les hommes de la Dirlewanger ne prenaient pas des trophées cynégétiques, ne collectionnaient pas les oreilles ou les mains, ni n'exposaient les têtes empaillées de leurs victimes sur les murs. Ils dépouillaient les cadavres de leurs victimes de leurs possessions ayant une valeur pécuniaire, tout comme les soviétiques et les anglo-américains pillèrent eux aussi les cadavres et les habitations civiles.
Christian Ingrao a totalement raté son ouvrage, en se focalisant sur sa thèse de la "guerre cynégétique", donnant l'impression au lecteur averti qu'il n'a fait que sélectionner un certain nombre d'éléments allant en son sens en passant sous silence tout le reste, une pratique appelée "cherry picking", pas forcément consciente chez l'auteur. Il n'interroge pas non plus suffisamment ses sources et leur crédibilité, prenant pour argent comptant des récits sans noms, sans dates, sans indication géographique.
C'est vraiment dommage que ce livre, seul aisément disponible en français sur ce sujet, soit aussi bancal. Ne vous attendez pas à un ouvrage d'histoire factuelle, il s'agit d'un essai de socio-histoire qui méconnait totalement les deux sujets qu'il aborde, à savoir la chasse et la guerre, dans le contexte d'une unité SS dont on ne retiendra finalement guère plus que sur wikipédia.