Rien que le titre de ce roman pourrait bien sonner comme un classique
De BALZAC (dont
ISTRATI était très amateur). le contenu peut lui aussi laisser penser à l'influence du vieil Honoré. En effet, ce récit débute au sein d'une maison bourgeoise (de Braïla certes) aux tout débuts du XXe siècle, où Adrien, alors âgé de 19 ans, vient d'être embauché comme garçon de courses.
La maison Thüringer a été fondée par deux frères allemands, et est tenue par une maîtresse de maison, Anna, qui ne laisse pas Adrien insensible, d'autant qu'il l'a déjà connue par le passé dans une position bien moins confortable. Ce n'est pas tout pour l'aspect Balzacien, puisque le présent roman ne comporte qu'un seul chapitre, marque de fabrique
De BALZAC.
Sur le port, les dockers voient d'un sale oeil l'arrivée prochaine d'élévatrices qui entraîneront un moindre travail pour la main d'oeuvre. Mise en place d'une lutte ouvrière, tracts (rédigés par Adrien), puis grève.
Dans un monde dominé par la violence et l'alcool, les ouvriers se politisent et se mettent à combattre pour leurs acquis, se solidarisent jusqu'à ce que naisse un mouvement cohérent et revendicatif.
Dans ce tome, il est beaucoup question du mouvement socialiste (on pense à
Jack LONDON, à
Upton SINCLAIR), de la lutte sous une bannière ou non, de l'appartenance ou non à une doctrine (si vous connaissez un peu le personnage d'Adrien, vous vous doutez sans doute de quel côté il va se placer c'est-à-dire aucun). Et le lectorat se régale du retour de Mikhaïl, vieil ami d'Adrien formidablement peint par l'auteur.
Adrien rédige les premiers articles de sa vie pour un journal, qu'il finit par quitter car d'après ses amis de lutte, contraire aux idéaux défendus par les ouvriers. Dans la vraie vie,
ISTRATI a lui-même participé à un journal plutôt réactionnaire, certains de ses anciens amis ne le lui pardonneront jamais. « Je ne crois pas aux « classes » ni à la « lutte des classes », je crois à la lutte des hommes, quoi qu'en dise
Karl Marx ». Adrien, comme celui qui l'a enfanté, apprend la signification du mot Désillusion.
Dans ce roman, Adrien nous est présenté comme un homme individualiste, prenant plaisir certes au combat, qu'il a érigé en mission, mais sans jamais s'engager sous un drapeau ou un slogan. Il garde sa liberté, porté par un pacifisme réfléchi, une révolte entière et un humanisme généreux. Adrien est un homme juste, loin des masses. Il veut rester lui-même, n'adhère à rien, quitte à s'isoler. La dernière réplique d'Adrien est tout à fait énigmatique : « Oui, la bourgeoisie est ce que tu dis, mais elle peut être encore quelque chose que tu ignores ».
ISTRATI, artisan conteur trop libre, a peu été épargné par la critique. Ici, elle lui reprocha d'avoir fait pénétrer Adrien dans le monde de l'aristocratie.
ISTRATI, désenchanté, diminué par la tuberculose et l'isolement, écoeuré par la traîtrise de ses proches, règle ses comptes dans une préface éblouissante, toute de souffrance, et «
La maison Thüringer » ne peut à mon sens pas être lue sans celle-ci. Cette préface est une sorte d'acte de vie, de biographie désespérée, peut-être ce que
ISTRATI a écrit de plus fort.
https://deslivresrances.blogspot.com
Lien :
https://deslivresrances.blog..