Citations sur Chourmo (29)
La saloperie du monde courait plus vite que nous. On pouvait l'oublier, la nier, elle nous rattrapait toujours au coin d'une rue.
Les quartiers nord, avec leurs milliers de fenêtres éclairées, ressemblaient à des bateaux. Des navires perdus. Des vaisseaux fantômes. C'était l'heure la pire. Celle où l'on rentre. Celle où, dans les blocs de béton, on sait que l'on est vraiment loin de tout. Et oubliés.
Moi, je n'en attendais plus rien de la vie. Je l'avais juste envisagée pour elle-même un jour. Et j'avais fini par l'aimer. Sans culpabilité, sans remords, sans crainte. Simplement. La vie, c'est comme la vérité. On prend ce qu'on y trouve. On trouve souvent ce qu'on a donné.
Collectivement, la mort n'existe pas. Plus il y en a, moins ça compte. Trop de morts, c'est comme l'ailleurs. C'est trop loin. Ça n'a pas de réalité. N'a de réalité que la mort individuelle. Celle qui touche personnellement. Directement. Celle que l'on voit de nos yeux, ou dans les yeux d'un autre.
Mais, plus encore que sa beauté, le charme de cette femme opérait sur moi. Je le sentis dans mon corps. Comme un courant électrique qui se propage. Cela arrive parfois dans la rue. On croise le regard d'une femme et l'on se retourne avec l'espoir de recroiser ce regard une nouvelle fois. Sans même se demander si cette femme est belle, comment est son corps, quel est son âge. Juste pour ce qui se passe dans les yeux, à cet instant : un rêve, une attente, un désir. Toute une vie, possible.
Le pastis et la kémia - olives noires et vertes, cornichons et toutes sortes de légumes cuits au vinaigre - faisaient partie de l'art de vivre marseillais. Une époque où les gens savaient encore se parler, où ils avaient encore des choses à se dire. Bien sûr, ça donnait soif. Et ça prenait du temps. Mais le temps ne comptait pas. Rien ne pressait. Tout pouvait attendre cinq minutes de plus. Une époque ni pire ni meilleure que la nôtre. Mais, simplement, joies et chagrins se partageaient, sans fausse pudeur. La misère même se racontait. On n'était jamais seul. Il suffisait de venir jusque chez Félix. Ou Marius. Ou Lucien. Et les drames nés dans les sommeils agités venaient mourir dans les vapeurs d'anis.
J’avais l’impression de zapper dans la vie des autres. De prendre les feuilletons en cours de route. Gélou et Gino. Guitou et Naïma. Serge et Redouane. Cûc et Fabre. Pavie et Saadna. J’arrivais toujours à la fin. Là où ça tue. Là où l’on meurt. Toujours en retard d’une vie. D’un bonheur. C’est comme ça que j’avais dû vieillir. À trop hésiter, et à ne pas sauter sur le bonheur en marche, quand il passait sous mon nez. Je n’avais jamais su. Ni prendre de décision. Ni de responsabilité. Rien de ce qui pouvait m’engager dans l’avenir. Par peur de perdre. Et je perdais. Perdant.
Place de Lenche, je me garai à la mode de chez nous, où c'est interdit, devant l'entrée d'un petit immeuble,ma roue droite tout contre la marche d'entrée. Il y avait bien une place de l'autre côté, mais je voulais que mon suiveur ait le sentiment que si je ne faisais pas de créneau, c'est parce que je n'allais pas m'absenter longtemps. On est comme ça ici. Parfois, même pour un petit quart d'heure, la double file, avec les warnings, c'était ce qui se faisait de mieux. (pages 109 et 110)
Ce n'était sans doute jamais facile d'élever un enfant. Cela n'allait pas sans douleur. Mais ça valait la peine. S'il y avait un avenir à l'amour.
La saloperie du monde courrait plus vite que nous. On pouvait l'oublier, la nier, elle nous rattrapait toujours au coin d'une rue.