Après un exil volontaire au Namdaï, qu'il s'est imposé pour ne pas trahir «
le meilleur des amis », le narrateur est de retour en France. Vingt ans ont passé. Comme il traverse la région bordelaise, berceau des de G. , le narrateur propose à Thibaut de le revoir. Rendez-vous est pris. Ils se retrouveront à la propriété. Mais Thibaut tarde. On n'arrive pas à le joindre. C'est l'occasion pour son ami de replonger dans ses souvenirs.
Chaque mois, la librairie Chapitre.be, à Louvain-la-Neuve invite ses lecteurs à des "apéros coups de coeur". Un moment de partage où les libraires et quelquefois aussi les clients présentent leurs dernières découvertes. Parmi celles-ci, «
Le meilleur des amis ». Un roman court (150 pages), mais qui ne se lit pas d'une traite pour autant. Il mérite d'être savouré.
Le thème ? Il peut sembler banal, éculé : celui d'un triangle amoureux. Deux amis peuvent-ils sereinement aimer la même femme ? Cette femme peut-elle aimer les deux hommes ? Trahison, souffrance, mensonges ne sont-ils pas omniprésents ?
Le narrateur (il n'a pas de nom) est le meilleur ami de Thibaut. Ils échangent des idées, ont des discussions passionnées, critiquent férocement la société qui les entoure. Ils ont un point de chute, « le coude à coude », un bistrot où ils passent des heures à refaire le monde. Et pourtant, qu'ont-ils réellement en commun ? Certes, tous deux sont orphelins de père depuis leur tendre enfance. Mais le narrateur est né en Asie, dans un pays qui n'est désigné que par une lettre, le K. Ses parents forment un couple mixte : mère asiatique, père français. Et puis, la guerre a pointé le bout de son nez. L'enfant est venu en France, chez ses grands-parents paternels. Ils ne sont pas riches. Pour payer ses études, le jeune homme travaille dans le restaurant de sa tante. Il a connu quelques filles qui n'ont pas beaucoup compté.
Thibaut, lui, est originaire d'une famille aristocratique, propriétaire de vignobles prestigieux du Bordelais. Il est amoureux de Camille, qui appartient à la même classe sociale que lui. C'est évident : elle est la femme de sa vie. Et pourtant, Thibaut n'est pas tellement attentionné envers elle. La jeune fille suit, sans passion, des études de droit, imposées par les siens, qui ont décrété que l'art, c'est très bien, mais enfin, mieux vaut s'assurer un « vrai métier ». Quand elle aura terminé cette filière sérieuse, libre à elle d'entreprendre l'école du Louvre, si cela l'amuse. Apparemment, les envolées lyriques de sa fiancée à propos des peintres de la Renaissance italienne sont loin de passionner Thibaut. Fréquenter les musées, visiter les expositions, cela l'ennuie plutôt. Lui, ce qui l'attire, c'est le sport. « Outre le jogging, squash, piscine, foot remplissaient son emploi du temps. » Il est donc soulagé de voir son ami accepter d'accompagner Camille et de disserter avec elle. Une telle complicité n'est pas sans danger. Où est la frontière entre « l'ami et l'amant » ? Mais Camille et le narrateur ne sont pas les personnages de « Jules et Jim ». Ils se sentent mal à l'aise, coupables. Ni l'un ni l'autre ne veut causer de chagrin à Thibaut. Ni l'un ni l'autre ne veut le trahir. Aucun des deux n'est capable de renoncer à l'autre. Voilà le drame. Une seule solution s'impose : trancher dans le vif. le narrateur accepte l'offre d'une ONG. Il part à l'autre bout du monde, au Namdaï. Pendant vingt ans, il n'aura plus aucune nouvelle d'elle, d'eux. Ou si peu. Pendant vingt ans, il ne cessera de penser à elle, à eux.
Le roman commence près de Bordeaux, dans la propriété des de G. dont Thibaut a hérité. Après cette éternité d'éloignement et de silence, les deux amis vont se revoir. Pourront-ils renouer comme si de rien n'était ? En attendant l'arrivée de Thibaut, le narrateur replonge dans le passé, en revit tel ou tel épisode. Et le lecteur pourra ainsi découvrir son enfance, sa famille, les débuts de son amitié avec Thibaut, sa vie au Namdaï et surtout, la passion dévorante qu'il a connue. Les dernières pages nous ramènent au présent. le revoilà sur un banc au château de G. Comme au début. Comme si, pendant la lecture, le temps s'était figé. Et maintenant, soudain, il se remet à couler, inexorable, laissant un goût d'amertume et de mélancolie.
J'ai beaucoup aimé ce récit à la fois fort et tendre, lumineux et pourtant tellement triste.
Mon seul reproche : je n'aime pas qu'on désigne des lieux ou des personnages par une initiale. Cela me frustre. Mais ce n'est qu'un détail comparé à l'écriture chatoyante, précise, poétique qui emporte dans un tourbillon d'émotions.
Un roman que je recommande certainement.