2008 : le monde découvre, effaré, l'affaire Fritzl. Un homme a séquestré pendant 24 ans une de ses filles dans la cave de sa maison, l'a violée pendant 24 ans et lui a fait 7 enfants, l'a rouée de coups pendant 24 ans. 24 ans !
Et
Régis Jauffret décide de s'emparer de cet horrible crime pour en faire un « roman »( à la TV on le qualifierait plutôt de « docu-fiction »). Evidemment le choix d'un tel sujet est largement discutable et je me demande quelles ont été ses motivations : attirance malsaine pour une histoire glauque ? Envie de mettre en évidence les mystères non résolus de cette affaire (la mère d'Angelika forcément au courant, tout comme les voisins et les locataires ???) ? Nouvelle écriture du mythe de la caverne ? Admiration pour cette « héroïne » bien malgré elle, dont Jauffret aurait voulu faire un improbable personnage de roman ? Fascination pour les mensonges ?
Sur 540 pages, seules les 200 dernières pages m'ont semblé relever du genre « roman ». Ce dernier tiers raconte les derniers mois de liberté d'Angelika puis son quotidien dans la cave, ses horribles misères physiques et mentales, la survie incroyable de la jeune femme, la folie qui la guette à chaque seconde, la tenue de son journal intime, les visites du père odieux et pervers, les naissances, les disettes régulièrement infligées …Le style de l'écrivain est là, bien présent et s'amplifie dans le récit des souffrances comme dans celui de l'amour qu'Angelika voue à chacun de ses 7 enfants.
Pour nous faire mieux croire à l'intitulé « roman », tout au début, Jauffret invente un avenir –sombre- à tous « ses » personnages (dont il a changé les prénoms) et nous projette plusieurs décennies en avant. Mais, personnellement, je trouve que cela ne fonctionne pas. La réalité l'emporte sur la fiction.
Les 350 premières pages relatent, sans aucun respect pour la chronologie, la découverte de cette affaire odieusement invraisemblable, l'enfance du père monstrueux, son mariage, sa perversité quotidienne, l'enquête journalistique que l'auteur aurait menée 6 mois après la remontée de ce peuple de l'ombre et les témoignages qu'il aurait collectés…Avec un style journalistique et oral, une prose un peu saccadée, pas vraiment soignée.
Difficile d'exprimer mon avis après une telle lecture…J'ai lu ce livre en entier, pourtant tentée à de nombreuses reprises de l'abandonner en cours de route, le coeur trop serré des horreurs lues. J'étais évidemment en empathie totale avec cette victime et j'ai détesté les partis pris délibérément scandaleux de l'auteur qui bizarrement s'effacent dans le dernier tiers du livre, la partie « romanesque ».
La fin est vraiment effroyable et pitoyable : Angelika, enfermée dans des conditions inouïes depuis 24 ans, ne ressent même plus le besoin de revoir le monde : elle est devenue une ombre apeurée, un objet (sexuel) sans âme.