Yves Jégo ministre de l'Outre-Mer entre mars 2008 et juin 2009 livre sa version des faits. C'est très très intéressant.
À son entrée en poste, il n'a ni feuille de route ni lettre de mission. Il va donc baser son action sur le rapport de Bercy sur les Révisions Générales des Politiques Publiques (RGPP) et sur le programme de campagne de
Nicolas Sarkozy. Il se heurte à ce qu'il appelle la "technostructure". Les fonctionnaires d'État ont vu passer 25 ministres en 50 ans...
Il explique que personne à Paris, n'a vu venir le LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyion - Collectif contre l'exploitation outrancière). La crise a été largement sous-estimée, mais contrairement à ses prédécesseurs il souhaite régler les problèmes. Il craint un mai 1968 2.0 qui pourrait contaminer le reste du pays. Il rencontre les acteurs économiques et politiques de l'île : les élus socialistes qui échouent à régler eux-mêmes le conflit ; le patronat complètement désorganisé qui ne souhaite pas négocier (les plus puissants, influents à Paris, demandent un règlement à la matraque "comme d'habitude") ; le LKP qui se révèle être différent de ce qu'il prétend être.
Lors d'un tête à tête avec Elie Domota, leader du mouvement, il apprend par exemple que la fixation du prix du carburant par l'État est issu d'un accord tacite, aucun texte ne l'encadre ou encore que la dilatation de l'essence sous l'effet de la chaleur, génère des milliers puis des millions d'euros de profite pour l'unique raffinerie de l'île, ou encore que l'importation des produits de consommation de base permet la multiplication des intermédiaires et explique les prix exorbitants à l'arrivée - versus une production locale à moindre coût. Il déplore une économie de transfert, un modèle social dépassé, le manque de transparence de l'État sur certains sujets et la déconnexion des békés vis à vis de la société actuelle. En effet, les antillais ont accès aux informations et constatent les abus dont ils sont sujets. Il déplore également l'absence de démocratie sociale et le manque de réalisme de la politique nationale vis à vis de l'Outre-Mer, compte tenu de ses spécificités territoriales et historiques. Avec pas mal de sarcasmes et d'ironie, il résume les 23h de négociations qui ont abouti au règlement de 164 points sur 165, le malentendu qui a provoqué son rappel à Paris par François Fillon et sa sortie du Gouvernement le 23 juin 2009 à 19h41. Objectivement je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'il pense. Mais les faits qu'il relate n'ont rien de fantasques et c'est ce qui à la fois très troublant, révoltant et très très triste.
Lien :
https://www.instagram.com/p/..