SUPERSTAR
On aurait attendu la suite du Sablier Vert, mais non, c'est d'un autre monde qu'il s'agit, celui de la planète Lignus, vaste excroissance d'écorce où poussent des fleurs incroyables, des fruits merveilleux et des champignons de rêve. Mais qui se dégrade en désert, sans que les divers groupes ethniques dont les guerres, les razzias et les récoltes constituent l'histoire quotidienne s'en rendent très bien compte. Pour saisir le problème, pour envisager une solution il est nécessaire de venir d'« ailleurs ». Et toute la première partie nous narre cette venue :
Jeury accumule les allusions aux grands Space-opera d'antan : des Extraterrestres qui manient le temps et l'espace, des vaisseaux de 80 km de diamètre, des forces psychiques, des aventures etc. Et puis c'est la prise de contact avec le monde de Lignus, les ruses pour se faire reconnaître, pour se faire aider, la découverte de la mission et, pour terminer, la solution « il serait le premier paysan de ce monde ». Comme le Strougatzky de Il est difficile d'être un Dieu (Denoël),
Jeury utilise à des fins de rénovation, le cadre du S.O. tout en le subvertissant : ici rien ne sert plus de tremplin à une idéologie impérialiste, liée à un refus de l'histoire et à la seule présence du « chef » : le tout pour se présenter une hagiographie de la colonisation. Ici, c'est un néo-S.O., avec les prestiges de l'ancien (le sens de l'épique, de l'énorme, du spontané) ce qu'on nommait le « sense of wonder », mais il n'en est pas l'esclave idéologique. le héros reste un homme, il fait partie d'un groupe et ses rapports ne sont pas de domination : tout un arrière fond démystificateur, tout autant que le fait que le héros mange, boit et va aux toilettes — comme vous et moi. Par malice,
Jeury nous laisse patauger dans de fausses pistes qui sont celles d'une mémoire de lecteur : il existe des esclaves ? On s'attend évidemment à un remake de Spartacus. Rien à faire ! Des races différentes sur une planète ? Lutte pour la suprématie, voir
Ce monde est Notre de
Carsac par exemple. Vous n'y êtes pas. Arène de F. Brown ? Encore moins. Et de leurre en leurre, le récit propose son originalité, et sa morale, ambiguë mais présente. Je sais bien que c'est très mal vu de parler de morale : on est tout de suite suspect. Comme seront suspectes les allusions à
Wul (
Noo), à Vance, à
Le Guin dont la présence est soulignée. Livre plein d'inventions et de trouvailles, parfois un peu embourbé, qui n'est pas un «
Jeury mineur » mais bien une veine spécifique, où il se montre capable de rivaliser avec les meilleurs, sur leur propre terrain, tout en gardant un sourire et une couleur très personnelle. Pour lecteurs de 15 à 95 ans.
Roger BOZZETTO
dans Fiction 295