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EAN : 9782378561260
128 pages
Verdier (06/01/2022)
2.91/5   11 notes
Résumé :
Quelque part en Amérique du Sud, un pèlerinage en terrain équatorial. Chacun a son vœu, griffonné sur un bout de papier, et va cheminer sur des kilomètres jusqu’au terme de la procession où se campe une madone miraculeuse. Ils sont des milliers. La longue route de dévotion est parcourue d’une corde que l’on doit tenir d’une main sans jamais lâcher. Tomber, perdre la corde, s’en dessaisir ne serait-ce qu’une fraction de seconde, c’est voir son vœu brisé, remis d’un a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
La réjouissante plongée au coeur de la foule extravagante et ordinaire d'un pèlerinage religieux où il s'agit avant tout, pendant plusieurs jours, de ne pas lâcher LA CORDE. Une réjouissante et malicieuse fête du langage.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/01/24/note-de-lecture-andrea-de-dos-michel-jullien/

Dans un pays sud-américain qui ne sera pas nommé mais où l'on parle portugais se déroule chaque année un immense pèlerinage un peu particulier, puisqu'il s'agit de rejoindre le village où se situe une certaine statue de la Vierge Marie en remontant, à pied, le chemin qui y mène sans jamais lâcher la corde reliée in fine au sanctuaire – sous peine de voir réduire à néant l'espoir d'y exprimer ses voeux de miracle, petit ou grand, avec quelque chance de succès. Gigantesque cohue catholique, organisée avec un sens très pragmatique de la logistique des foules croyantes ou superstitieuses, le pèlerinage de Nossa Senhora Aparecida do Jabuti Queimado est une épopée annuelle à l'échelle de toute une province, voire de tout un pays.

Cette année-là, deux soeurs, une lanceuse de poids et une apprentie ethnographe, porteuses des espoirs de toute leur famille insuffisamment outillée pour prendre part à l'aventure, se lancent dans ce défi qui, sans être le moins du monde surhumain, demande une réelle endurance, une attention de tous les instants, et un sens aigu des pièges du terrain, de la météorologie et de la foule, en plus d'une bonne capacité à faire plusieurs choses à la fois.

Il existe bien un authentique et monstrueux pèlerinage de masse, mettant en jeu une (très) longue corde réputée sacrée, à Bélem, dans l'état brésilien du Para : chaque année, le Cirio de Nazaré rassemble des centaines de milliers de fidèles, dévots et superstitieux étroitement mêlés, parfois ou souvent au sein de la même personne. Dans cet « Andrea de dos », publié chez Verdier en janvier 2022, Michel Jullien s'en empare avec une fougue réjouissante pour le travestir, le condenser, le multiplier et le gauchir en une extrapolation épique et quasiment fantastique, pour notre plus grande joie de lectrice ou de lecteur. le miracle, ici, n'est bien entendu pas celui de cette statue de la Vierge à l'histoire magnifique et abracadabrante (l'auteur nous offre quelques tissages hagiographiques particulièrement savoureux pour établir les fondations historiques de son étonnante folie collective, jouant de registres allant du Rodrigo Fresán de « Vies de saints » à la Perrine le Querrec de « L'apparition », en les fusionnant dans sa pétillante et bien personnelle ironie rentrée permanente), mais bien celui, toujours renouvelé, de l'invention d'une écriture ad hoc, toujours reconnaissable et chaque fois différente. Ayant su trouver auparavant les mots, les phrases et les rythmes pour accompagner un entrepreneur d'imprimerie bon vivant dans un Paris villonesque hésitant encore entre Moyen-Âge et Renaissance (« Esquisse d'un pendu », 2013), un pêcheur crétois mécanicien poids lourd et sourd-muet entre mère et rocher étrange (« Yparkho », 2014), un bouvier bernois femelle surgissant entre bout de trottoir parisien et moyenne montagne provençale (« Denise au Ventoux », 2017), deux Soviétiques mutilés de la deuxième guerre mondiale confrontés à la misère et rêvant pourtant de Sorcières de la nuit (« L'île aux troncs », 2018), et même dernièrement trois cinquantenaires en barque au fil de l'eau (« Intervalles de Loire », 2020), Michel Jullien nous a peu à peu habitués à sa virtuosité joueuse, extrayant de l'épopée à partir d'infra-ordinaire, de la farce joyeuse à partir de tragédie, ou de la métaphore extrêmement rusée à partir d'improbables tableaux de départ. Là où Pierre Senges et Sergio Aquindo développaient leur propre nef des fous à partir d'un tableau de Bruegel (« Cendres – Des hommes et des bulletins », 2016), « Andrea de dos » porte à son sommet la magie d'une écriture et d'une musique virevoltantes, sachant à la perfection instiller en nous, en tout humour matois, le rire, l'émerveillement, le songe et le doute.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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un postulat de départ qui m'intéressait. J'ai trouvé ça très original de partir d'une légende religieuse dans un pays qu'on ne nomme pas mais que l'on devine avec toute son exubérance, sa violence. une écriture très riche mais trop roborative. J'ai lâché la corde avant la fin.
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critiques presse (1)
LeMonde
14 septembre 2022
L’écrivain amoureux des amochés embarque son lecteur dans une grande bousculade dévote, à la suite des deux jeunes héroïnes d’« Andrea de dos ».
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Il est des foules qu’on a choisies, d’autres non. Les premières sont heureuses, de communion bruyante. On y est entre soi, le voisin est un prochain, comme une vieille fréquentation, les attentions vont au même point – une estrade, un orateur, une équipe sportive, une liesse. Les secondes sont des foules malgré nous, pétilleuses et mouvantes ; chacun surveille une même chose : soi, un soi chancelant avec la hantise d’être l’autre. Les visages aperçus, les expressions mitoyennes, les traits d’autrui se substituent à ma personne. D’ailleurs mes pieds, je ne les distingue plus, il y a tous ceux des autres plutôt que les miens. La foule de Macoder était de celles-là, épaisse, de drainage contrarié, avec des airs d’émeute. Elle comptait des pèlerins de tout bord au départ d’une procession longue de trente-trois kilomètres, de Macoder jusqu’au hameau de Jabuti, vers le nord. Une foule d’autant plus critique que sur le nombre, tous ne parviendraient pas aux pieds de la bienheureuse, beaucoup de postulants échoueraient avant le terme, soi-même ou le voisin à qui l’on sourit de travers. Une foule d’autant plus irritable qu’en piétinant dans la gare, avant la ligne de départ, chacun avait l’impression d’effectuer des pas préliminaires, des pas pour rien, hors décompte, supplémentaires aux foulées solennelles menant au bourg adulé, Jabuti Queimado, au jardin de la béate, des pas communs, païens, profanes plus que dévots.
Ezia accomplissait les siens, se défendant des dynamiques, à l’étau. Andrea suivait. Sa sœur eût préféré qu’elle la précède, que la lanceuse de poids fende l’affluence, elle en retrait. De moment en moment la poitrine d’Andrea venait s’écraser sur son dos tandis qu’à son tour l’ethnologue se rattrapait de bonne foi aux épaules d’un pèlerin, à pleine main, en promiscuité des palpers. On l’entendait, un orchestre lancinant au débouché de la gare, une musique vautrée. On l’entendait de loin, l’harmonique donnait la mesure du pas, de la masse, elle grossissait à l’oreille, des notes grasses, une mélodie de goudron frais, espèce d’estomac musical dissimulé par la cohue. La fanfare enchaînait la même partition, potelée, des notes au cholestérol. Debout à l’estrade, une trentaine de musiciens jouaient un rythme digestif, avec des instruments à gros pavillon, beaucoup de laiton et de cames nickelées, d’énormes touches en boutonnière lustrées par les doigts, du trémolo de basse-contre, des flonflons de trombones, deux trompettistes scaphandriers de leurs propres salives, une clique de cuivres, des bassons adipeux, tubas replets, caisses sourdes, chaque instrument déroulant l’édredon d’une cadence pâteuse, sans fin ni début, l’un de ces hymnes chaloupés qui va si bien aux processions lorsque les saintes vacillent en brancard, passent une fois l’an le porche des églises baroques à leur nom, des saintes aux yeux de verre, icônes en droit de sortie. Ezia allait là-dedans, en sandwich, se défendant des impudences venues de tous côtés. Elle ramenait son bagage partout où les pressions se faisaient trop vives, elle le montait, le descendait, colmatant les touchers, corrigeant sans cesse, son sac comme un petit ascenseur enrayé. Parmi tant d’attouchements elle essuyait des gestes singuliers, intimes, délibérés, sous la taille et ailleurs, des récidives intentionnelles à hauteur de poitrine, subreptices, tandis qu’à chaque nouvelle ruée les faces hilares noyaient les tacts indécents dans l’humeur collective. Les foules ont cette ambiguïté : leur densité garantit l’aplomb et, dans le même temps, elles promettent l’affalement, le vôtre. C’est leur avertissement. On tomberait dans les foules, à chaque instant, on est debout par le rachat des autres quand ceux-ci poussent à la culbute. Le pas est contrarié, d’ailleurs ce n’en est pas. Plutôt que marcher on se rattrape sans cesse ; on tomberait sans tous ces corps étayant l’avancée, alors une bonne chose est de rire ensemble, comme si l’euphorie de la peur prévenait la chute.
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C’est un pays démonstratif. La contrée raffole des frasques, des exotismes enragés, un pays aux furieux enjouements, péniblement chauvin, plein de goût pour le tapage sans frein. Il faut du bruit, le raffut impérieux, des couleurs par-dessus les autres, des mouvements saturés et le grand rire national. En plus des saveurs exotiques, des variétés juteuses, des musiques empilées, en plus de l’inflation, des mysticismes, des stupéfiants, des cultes animistes, des églises évangélistes, en plus des armes illicites, des trafics charnels, des viols, des pots-de-vin et des réseaux frauduleux jusque dans les arcanes du Congrès (surtout là), il faut au pays une touche perpétuelle d’excès festif. C’est ainsi qu’en gare de Macoder une dizaine d’échassiers déambulaient par-dessus le grouillis, en pleines nuées de dévots, de diables marionnettes hissées à quatre mètres, accoutrées d’horrifiants mascarons, capuchonnées, agitant des bannières au-dessus de l’affluence afin de compléter la bonne humeur. Le propre des échassiers est d’aller sans cesse, de rattraper l’immobilisme quitte à faire du surplace. Ça les rend atroces, l’arrêt leur est interdit, ils ont des pas névrotiques, assez chiches pour leur taille, des écarts imprévisibles. Très voltigeurs, ils rappelaient la foule à sa patience mais surtout, avec leur train de métronome, ces échalas singeaient l’hystérie des moindres pas, ce que serait la marche des processionnaires, comme si l’ampleur de leurs foulées excitait au départ.
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L’autobus avala la via dos Anjos en se raillant des freins, léonin d’acabit, s’appropriant les carrefours ; il suffit de se faire entendre. Les coups de klaxon ensemble tissent l’inépuisable bavardage de la ville. Ils sont le remplissage des jours, un dédoublement du temps, une espèce de bagou dénué de teneur ; chacun d’eux compose « l’ode à la minute » car l’essentiel ici, à Macoder, est de farcir l’instant avec du bruit, quel qu’il soit, comme s’il ne fallait surtout pas oublier d’en produire, de remercier la vie, ce qu’elle nous a concédé. Ils n’avertissent pas, ils sont plutôt l’affirmation prioritaire de chaque individu et l’expression innée d’une joie aux contrevenances : bien placé, bien corné, un moindre coup de klaxon est capable d’en redire à un feu rouge. Via dos Anjos, rua Barbosa, praça do Progresso, puis la ligne 127 remonte l’avenue Matafé. Les bus en ce pays sont des vivariums ambulants, des bains-marie cubiques brassant une moiteur urbaine qui se referme sur leur passage. Ils vont vitres closes sinon celle du chauffeur, une mince ouverture pour se défendre des fournaises épanouies dès les premières séquences de l’aube, alors ils roulent porte ouverte, sous l’équateur, de quoi remplir l’habitacle d’âcres mélanges. Moitié dedans, une grappe d’usagers tient au vide, sur le marchepied. Ils prétendent entrer, s’en prennent aux passagers tassés dans la travée, au-delà des portes accordéon, eux-mêmes invectivent leurs voisins, lesquels harpaillent les voyageurs assis, tout le monde se honnit, beaucoup fument, les insultes valent des bonjours, le conducteur conduit. Comme tous il crache mais ses déjets vont à l’enclos de sa cabine, sans partage. Sa musique est pour tous, poussée au comble, une radio ligotée au levier de vitesses, comme si l’amas des décibels était capable de tenir tête à l’étuvée tropicale.
Les bus ne marquent pas toujours les stations, que l’on veuille descendre ou monter. Si le chauffeur estime un retard (l’horaire, une des notions les moins recevables en cette contrée), s’il est pressé de rejoindre ses collègues au dépôt ou qu’à pleins gaz il dépasse un véhicule, il saute les arrêts, à discrétion. Les usagers ont pour lui des jurons à trois mots, « filho da puta », « puta da mãe », « mãe da puta », une vraie généalogie, une filiation dans l’insanité. Hargnes heureuses, puis de s’égayer, de reprendre l’entrain là où il en était, renouer avec l’impayable humeur vissée aux jours. Pays déconcertant où le positivisme emporte tout d’abord. Ainsi, pour demander votre chemin, il ne faut surtout pas se montrer trop affirmatif, dire par exemple « la poste est bien par là ? » car il vous sera répondu oui alors qu’elle est dans votre dos. On rechigne à dire non. Et de toute façon, même à demander où elle se trouve au juste, la poste, il est possible qu’on vous rétorque d’aller droit à seule fin de ne pas décourager l’orientation dans laquelle vous vous trouvez.
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Les foules ont cette ambiguïté : leur densité garantit l'aplomb, et, dans le même temps, elles promettent l'affalement, le vôtre. C'est leur avertissement. On tomberait dans les foules, à chaque instant, on est debout par le rachat des autres quand ceux-ci poussent à la culbuter. Le pas est contrarié, d'ailleurs ce n'en est pas. Plutôt que marcher on se rattrape sans cesse ; on tomberait sous tous ces corps étayant l'avancée, alors une bonne chose est de rire ensemble, comme si l'euphorie de la peur prévenait la chute. (page 31)
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Quelque deux mille personnes trépignaient au départ d'octobre, impatients de saisir la corde pour ne plus la lâcher, tous frères d'âme : mais qui pousse comme exprès ? ce type à gauche, resquilleur de mystique, on lui en veut tandis qu'on lui sourit, on s'en veut, et lui aussi, il sourit en poussant, on se maudit de joie. (page 34)
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Michel Jullien, « Andrea de dos » (éditions Verdier, 2022)
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