Ernst JÜNGER, jeune universitaire, n'a pas vingt ans quand il part, simple soldat, pour les tranchées du nord de la France. Il suivra une formation d'officier, puis prendra plusieurs commandements d'infanterie, toujours en première ligne. Il sera blessé quatorze fois et décoré de l'Ordre du Mérite. "Orage d'acier" est la transcription du journal qu'il tint durant cette guerre, de janvier 1915 à septembre 1918.
Le style du livre est d'une maîtrise parfaite, et la traduction est impeccable (
Henri PLARD, Universitaire belge, félicité par l'auteur, qui parlait français couramment).
On trouve dans ce livre le même fond que dans "
La peur" de
Gabriel CHEVALLIER ou "
Les croix de bois" de
Roland DORGELÈS, les combats violents, les pluies d'obus, la mort, la putréfaction, l'ennui, la boue, les camarades, les poux, etc. JÜNGER n'épargne rien au lecteur, les morts laissés à l'abandon sur le champ de bataille, les cadavres décomposés dans lesquels on s'enfonce en traversant les terres-sans-hommes, la boue fétide des tranchées, le staccato des mitrailleuses, les crânes de camarades qui explosent sous la mitraille des shrapnells, etc.
Tim WILLOCKS peut toujours se rhabiller avec les descriptions de batailles dans son roman "
La Religion".
Mais contrairement à CHEVALLIER ou
DORGELÈS chez qui l'humanité,
la peur, la compassion, sont omniprésentes, JÜNGER prend une grande distance, et son récit paraît froid, chirurgical. L'auteur prend dans sa description des combats et des champs de bataille le même recul qu'un médecin-légiste devant les odeurs de putréfaction ou les affres des morts violentes. Pourtant, il n'est pas inhumain, aimant ses hommes, aimé d'eux, admiratif du courage et des exploits de l'ennemi, inquiet pour la population civile restée dans les villages voisins des combats, etc. Mais son ton purement descriptif, loin de toute émotivité, laisse le lecteur en proie d'un malaise d'une profonde tristesse.
Étonnamment, le récit s'achève fin septembre 1918, sans aucun commentaire sur l'issue de la guerre.
Cent ans après ces événements, ce témoignage, tout comme ceux de CHEVALLIER,
DORGELÈS, REMARQUE, CELINE, etc. est de très grandes valeurs historique et littéraire.