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EAN : 9782379120473
232 pages
Et le bruit de ses talons (07/03/2023)
4.06/5   8 notes
Résumé :

Edmée, jeune femme étrangère à sa propre vie, transparente, piétinée par ses proches, s’invente un double et fuit près de Naples. Sur la plage brûlante, elle rencontre Minos et sa sœur Ada. Le soir même, elle s’installe dans la demeure d’été de leur tante Vicky, personnage volubile et menaçant. A leurs côtés, Edmée se sent enfin exister et bascule peu à peu dans un cauchemar idyllique.
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Etrange, baroque, gothique, envoutant tout autant que déroutant !

Raconter ce livre serait l'amoindrir tant son essence est ailleurs que dans son histoire étrange proprement dite. Il s'agit de le parcourir tel un long poème dans lequel les fêlures d'une jeune femme prénommée Edmée, ses désirs, ses sentiments indicibles, le poids des souffrances familiales et de leur transmission, les obsessions liées à ses vies passées, obsessions connues et inconnues, ataviques pourrait-on dire, ses parts sombres se muant en crise psychologiques, sont mis en lumière.
Une femme « faite de mélancolie, de glace et de vent » auréolée d'une lumière sépia, gothique, lumière avivée ici par son irruption, durant un été, dans un mystérieux décorum de tapisseries chargées, de lustres majestueux, de kimonos en soie, de serres, de haut plafond, de bassin trouble, d'herbes hautes, de chambre rouge, de lac sombre, qui l'extirpe en une parenthèse hors du temps d'un quotidien gris dans lequel elle est invisibilisée et maltraitée par sa mère, ignorée en tant que personne, pour lui permettre d'approcher ses véritables racines, racines ô combien délictueuses, incestuelles, voire incestueuses, monstrueuses…

« Ma mère est une belle femme aux lèvres trompeuses toujours imbibées de rose. Elle n'a pas eu d'enfance, pas que je sache. Et je dois le payer. Je dois payer l'hémorragie, l'éclatement des racines, les amants de ma grand-mère, le communisme, les suicides et la fuite. Je dois payer le prix de quelques mots puisque nous ignorons l'histoire. Entre spectres qui se réinventent. Cette famille ne succombe pas à la folie des détails, aux récits encombrants. Les morts meurent plusieurs fois de nombreuses maladies – le coeur, les poumons – de multiples accidents – la pluie, le verglas malgré les veines vides, les incendies malgré le contenu déversé des armoires. L'arbre généalogique est un chêne d'hiver, un mystère inviolable. J'ai toujours admiré la moindre précision qui éclate comme un rubis chez les autres. Je glisse alors toute entière, dans un rêve rouge et flamboyant ».

Confusément, je pense aux questions sous-jacentes au livre de Pierre Cendors, L'homme-nuit, que j'avais mises en exergue dans mon retour. « Qui sommes-nous vraiment lorsque, en pleine nuit, dans la plus extrême solitude, nous perdons notre identité sociale pour revêtir notre part essentielle, primale, primordiale, primitive ? Nos racines ataviques ? En chacun est toujours autre chose, quelqu'un d'autre, qui le précède ou le dépasse. de cette facette obscure, la lumière peut-elle jaillir ? ». Ou cette face obscure nous prédestine-t-elle, quoi que nous fassions ?
Cette présence en nous d'éclats du passé, ce vent glacé héréditaire, ce qui nous a construit et ce que nous portons malgré nous, telles sont les racines lancinantes de ce roman.

Il me semble que c'est un livre qui exige une lecture en continu afin d'en ressentir tout le charme. le poser à maintes reprises, puis le reprendre ultérieurement, rompt indéniablement l'ambiance singulière provenant de sa singularité. J'ai profité d'un long trajet de plusieurs heures pour véritablement me plonger dedans, sans interruption, et j'ai été envoutée par la poésie incandescente de ce livre. Il m'a fait l'effet d'un miroir fracassé dont les tessons laissent des traces rouges vives, persistance rétinienne, une fois le livre refermé.

« Je voudrais vivre dans cette pièce, de dos à la fenêtre, parmi ces bouquets de violettes suspendues, cette petite nappe de dentelle parme flottant comme ce léger parfum de fleur d'oranger. Les vases ont quelque chose de tragique. J'ignore l'origine de cette étrange compassion que je ressens face à quelques objets vides, fissurés, à la renverse, si ce n'est la matérialisation, l'esquisse de mon propre reflet ».

Cette histoire d'une jeune femme en quête d'identité, écorchée, qui se construit un autre personnage et en proie à certaines crises (de schizophrénie ?), toujours spectatrice d'elle-même et de sa vie, jamais à sa place, étrangère à ses propres traits, pourrait être abordée d'un point de vue clinique, d'un point de vue romanesque ou d'un point de vue intime. L'angle d'analyse de Laura Karrer est autre, étonnant pas de côté, il se veut gothique et poétique et j'ai aimé cette façon inhabituelle d'aborder la souffrance psychologique. On ne comprend pas toujours tout en terme narratif, par exemple j'ai eu du mal à comprendre cette haine prononcée pour une des protagonistes, Véra, j'ai parfois aussi perdu un peu le fil, surtout dans la deuxième partie du livre, je sens que ce texte ne vient pas seulement de l'imagination de Laura Kerrer (dont il s'agit du premier roman) mais d'un vécu, d'une douleur profonde, j'ai donc accueilli avec tendresse et bienveillance cette non linéarité et surtout, selon moi, là n'est pas l'essentiel.

Tout ne niche dans l'ambiance, le malaise, l'étrange, la lumière derrière le noir, et le rouge, ce rouge qui éclate souvent dans le récit, bousculant les blancs et gris, les contours, le rouge des fleurs comparées à des plaies vives, le rouge du désir telle une robe provocante, le rouge sombre des veines dans lequel nous charrions des gênes héréditaires parfois remontant loin, le rouge bleuté des ecchymoses et des corps en souffrance faits de cratères, magma de bleus, de tourments qui s'entremêlent et ravivent les braises d'une blessure originelle, le rouge du sang versé des femmes, délivrance ou défloration, « anémone outrageuse dans le gris brut »…

Par le prisme de la quête d'identité d'une femme aux identités précisément multiples, à la lisière de la folie, qui admire cette Ada, autre double de la jeune femme, à la chevelure aux mille serpents, à la peau blanche et aux cheveux si longs et si noirs, telle une pythie, un personnage mythologique, l'auteure nous offre un miroir fracassé des identités. La plume, d'inspiration baudelairienne, nervalienne, a des accents gothiques pour conter les rêves, les obsessions d'Edmée, née « dans les blattes du lit conjugal » et l'ouvrage inéluctable du temps, tableaux hypnotiques qui parfois reviennent en boucle.

« Je n'ai pas d'histoire mais j'ai ce rêve qui cogne en boucle, plusieurs nuits par semaine. Mes yeux affolés plongent dans une eau lourde et stagnante. L'eau suffocante d'un été interminable. Les algues noires recouvrent mon visage placide, dissimulent une chevelure incroyable, presque infinie. Une mèche s'enroule autour de ma gorge, de mes chevilles. La pâleur d'une jeune fille s'abat comme une météorite puis s'éloigne, dévoilant une multitude de corps béants, pourris. Je n'ai pas d'histoire mais j'ai ce rêve ».

« Elle mélange les alcools, les fruits, dans de luxueuses mixtures qu'elle sirote langoureusement avant de les délaisser. Je retrouve ses verres à pied à demi vides comme les pièces d'un puzzle et je les laisse, cadavres des journées qui passent. Je les imagine, en hiver, emplis de poussières et de moisissures. Cette orange dévorée par les asticots, ce parasol de papier picoré. Il nous arrive la même chose. le froid s'installe dans nos âmes, le passage des saisons sur nos visages ».


Ce livre est difficilement racontable. Histoire d'une jeune femme dont l'enfance a été saccagée par des adultes irresponsables et obsédés, histoire des conséquences d'actes monstrueux endurés durant l'enfance, puis enfouis, oubliés, des difficultés à mener ensuite une vie adulte équilibrée. Juste une certitude, celle d'avoir été sous le charme de ce texte poétique et baroque, parfois flou et complexe il est vrai, véritable tragédie en velours râpé. Je ressens confusément que sa beauté singulière saura attirer à lui tous les maudits, maudits dont je fais manifestement partie…

« On traine dans les parages, des fissures d'enfants au plafond
Comme des entailles.
Nous sommes ici un instant, ailleurs pour l'éternité ».




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Ouvrage reçu dans le cadre de la dernière opération Masse Critique, je commence tout simplement par remercier babelio et les éditions et le bruit de ses talons pour l'envoi de cet ouvrage.

Une maison d'édition que je ne connaissais pas, une auteure non plus (normal me direz-vous puisqu'il s'agit de son premier roman mais cela n'est pas une raison), une couverture alléchante et une quatrième de couv' tout autant. Pourtant, même si les mots m'ont parlé, je suis restée à côté de cette histoire, n'ayant pas réussie à y rentrer complètement. Pourtant, cette jeune femme Edmée, cela aurait pu être moi, une carapace qui dissimule un grand vide. Besoin de s'inventer un double pour exister. Elle, ce sera Victoria mais n'est-ce pas ce que je fais moi ici, dissimulée derrière mon écran, alias cicou45 ? Bref, l'on n'est pas ici pour faire un cours de psychologie pourtant ce livre recèle en lui toutes les clés pour en faire un ! Voilà la raison pour laquelle je me suis accrochée, ai voulu absolument aller jusqu'au bout de cette lecture car si au début, j'avais l'impression de ne plus savoir qui était qui, avais l'impression trop souvent d'être perdue avec les remontées incessantes dans le temps de la part de l'auteure mais les masques se lèvent à la toute fin et j'ai enfin compris !

Une lecture pas forcément évidente dans laquelle le lecteur doit accepter de ne capter que des fragments de vie, des instants, puis de reconstituer le puzzle une fois sa lecture achevée ! Oui, cet ouvrage aurait ou faire un bon polar mais, ici, c'est bien plus que cela : c'est la psychose, lé dédoublement de personnalité et tout ce que l'on est prêt ou pas à accomplir pour se sentir enfin exister ! A découvrir car au final, même si je n'ai pas adoré cette lecture, cette dernière m'a intriguée et je n'ai pas détesté, bien au contraire : je reste cependant prudente avec un avis mitigé mais ne peux que vous inciter à pousser votre curiosité un peu plus loin en le découvrant par vous-mêmes ! Je serai curieuse de savoir ce que voue en avez pensé car peut-être est-ce moi qui suis passée à côté comme Edmée-Victoria passe à côté de sa vie, qui sait ?
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La couverture est superbe et la 4ème de couverture appelle à la lecture, à une intrigante lecture.
Malheureusement pour moi, le style d'écriture poétique et un peu trop littéraire mais complètement laissé à côté.
Pourtant le début m'a captivé, Edmee subissant une effacement de sa personnalité par une mère trop imbu de sa personne, trouve le courage de partir pour se découvrir. Sous une autre identité.
Mais la suite et la plume de l'autrice m'ont noyé dans un flot de mots et c'est extrêmement dommage.
Une histoire pleine d'émotions et de sentiments, je n'en doute pas mais elle n'est pas faite pour moi.
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Ce roman m'a intriguée dès le résumé et j'étais loin de ce que j'allais découvrir.
J'ai eu la chance de le découvrir dans la #massecritiquebabelio d'octobre et je suis bien contente, car c'est une chouette découverte, j'avoue en magasin je ne me serais pas arrêté devant.

Ce roman est un ovni, même en regardant les étiquettes sur babelio, c'est flou, certes, ce n'est pas pour tout le monde, ce n'est pas une enquête, c'est une quête, très poétique, très beau, mais très déroutant, assez oppressant aussi.
Je ne comprenais rien, je vous ai fait beaucoup de retour en story pendant ma lecture, mais même en étant dans le brouillard, je n'avais pas envie d'abandonner !
Psychologiquement, c'était quand même assez fatigant pour moi, je lisais 10 pages par 10 pages pour essayer d'assimiler l'écriture, l'histoire.

Ce n'est pas une histoire que je peux résumer, car c'est une histoire un peu propre à chacun, on peut un peu l'interpréter différemment je trouve même si l'histoire est là.

J'ai vraiment envie de vous dire de le découvrir, car j'en ressors totalement subjuguée par le talent de l'écriture, la construction de l'histoire est totalement barrée, mais j'ai adoré. 

N'oubliez pas que c'est mon avis et je vous invite à vous faire le votre, restez curieux(ses). 🌸

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Je me suis laissée plonger dans ce livre sans savoir quel univers j'allais vraiment découvrir. Aimant la lecture pour les mots et leurs associations, le style de Laura Karrer est une délectation. Quant à l'univers d'Ada, à la fois poétique, sombre et sensuel, il en fait pour moi un livre marquant, laissant un sentiment tant de torpeur que de douceur. Merci.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Ce corps n'est rien, il faudrait qu'il soit tout. Elles ignorent, encore sereines, que peu à peu l'enveloppe charnelle se dégrade comme le crépi. Qu'il ne restera que des lambeaux de tissu, entre les cils , entre les nuits.
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"Rien d'autre ne m'attire, pas même la matière accessoire. Le reste est pesant, absurde. Qu'il soit beau, ignoble, le chemin nous mène à la mort. Une allée de tilleuls, plutôt que mille autres entiers. Alors j'évoque, sans mentir, la silhouette embellie de la future épouse mais cette place n'est pas la mienne. Je voudrais n'être qu'une image, des photographies d'été et tout le reste du temps une brume sans contours, sans fardeau, sans cuisses. Pas de corps nécessaire à ce surplus de vide."
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"J'ai envie de faire demi-tour, de revenir sur mes pas pesants, d'atterrir chez l'homme-mouche. Qu'il me fasse oublier l'ombre flasque sui d'accroche, persiste. Mais j'ai appris tardivement qu'il ne fallait pas revenir en arrière ou alors...accepter les coups, les revers cinglants."
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"Nous ne pouvons haïr ceux que nous avons toujours côtoyés. Nous ne les aimons qu'en leur absence."
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"Je n'ai jamais été d'humeur à participer. Celle qui ne veut pas exister n'a pas d'ambition."
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