Lorsque l'on rencontre une écriture, que cette écriture croise votre regard, c'est le monde qui vous entre par la fenêtre de l'âme et qui vous traverse l'esprit . C'est le miracle des livres. C'est leur voyage. C'est le signe de leur destination.
Tangente vers l'est, ma première lecture d'un livre de Maylis de Karangel. Lecture toujours et trop longtemps remise..Enfin voilà, il suffisait de sauter dans le wagon du tran
sibérien.
Olivier Rolin a raison, quand on écrit Russie, il s'agit toujours de dire train. "Voir la
Sibérie et ne plus craindre de mourir", écrivait
Tchekhov. C'est l'histoire d'une rébellion, d'une désertion, histoire subite de courage, fenêtre ouverte à la folie, folie d'un désespoir, folie qui pousse et qui entraîne un dépassement , histoire de liberté, un geste d'amour, un signe d'amitié.
C'est l'écriture de Maylis de Karangel que je souligne. Son rythme qui épouse si parfaitement la construction de son récit. Une manière singulière de dessiner les âmes , les corps. le mouvement des corps, leur tension, leur relâchement, leur rudesse, leurs gestes, leur lumière. Étroitesse du lieu, étroitesse du temps, et des destins qui engendrent l'urgence d'une désincarcération.
Lieu clos, vies recluses, condamnées, déportées toujours sur ordre, ..Et puis tout bascule, se précipite, se projette. J'ai vu s'ouvrir les cercueils de zinc, j'ai vu trembler l'Idiot, j'ai entendu le Déserteur, j'ai vu renaître un condamné à mort. C'est ça le miracle de la littérature. La grande alchimie du Verbe. Tout est là, dans un train d'enfer.
« Le vent qui roule un coeur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglotte accroché dans un arbre,
La colonne d'azur qu'entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.
Un pauvre oiseau qui tombe et le goût de la cendre,
Le souvenir d'un oeil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l'azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.
Ce visage plus dur et plus léger qu'un masque,
Et plus lourd à ma main qu'aux doigts du réceleur
Le joyau qu'il convoite; il est noyé de pleurs.
Il est sombre et féroce, un bouquet vert le casque.
Ton visage est sévère: il est d'un pâtre grec.
Il reste frémissant aux creux de mes mains closes.
Ta bouche est d'une morte et tes yeux sont des roses,
Et ton nez d'un archange est peut-être le bec.
Le gel étincelant de ta pudeur méchante
Qui poudrait tes cheveux de clairs astres d'acier,
Qui couronnait ton front des pines du rosier
Quel haut-mal l'a fondu si ton visage chante?
Dis-moi quel malheur fou fait éclater ton oeil
D'un désespoir si haut que la douleur farouche,
Affolée, en personne, orne ta ronde bouche
Malgré tes pleurs glacés, d'un sourire de deuil? »..
Le condamné à mort,
Jean Genet…
Astrid Shriqui Garain