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sur 810 notes
L'histoire est simple, elle nous plonge comme souvent avec Maylis de Kerangal dans un univers inhabituel, à la fois clos sur lui-même et connecté au reste. Paula, Jonas et Kate se sont rencontrés dans une école de peinture bruxelloise où l'on y apprend la reproduction, le trompe-l'oeil ou le fac-similé, une école comme une porte fermée et ouverte sur l'art. (Est-on artiste quand on est faussaire de la réalité ? Une question comme un écho sur le rapport de la romancière à la fiction ) *.
Les histoires des trois vont se lier et s'entremêler pendant, et après. Mais c'est Paula Karst que la narration nous invite à suivre en prime, au gré d'une écriture virtuose, au vocabulaire musclé, à la fois générale et précise, aux détails fulgurants comme des coups de pinceaux dans le tableau d'une vie. J'ai été happé, bringuebalé, fasciné. Surtout dans la partie bruxelloise, et à la fin, au moment de Lascaux. Un monde à portée de main, celle des coups de pinceaux certes, mais aussi celle d'une écriture intense, vive, aux accents de balade un peu rock, et surtout très classe.

* édit suite à l'écoute tardive de cette vidéo de l'auteure : https://youtu.be/XLPV2V5G9ec
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Mon embarras est grand ! Maylis de Kerangal est une femme de lettres brillante. Je reconnais objectivement que l'écriture d'Un monde à portée de main est une performance littéraire, peut-être même une prouesse. A sa lecture, je suis pourtant resté… de marbre, sans émotion. Aussi froid que tous ces marbres dont les personnages du livre savent si bien reproduire l'apparence.

L'auteure s'est immergée dans le monde de la peinture en décor, du trompe-l'oeil, de la fabrication de l'illusion. Un monde professionnel où l'on reproduit à la main, en deux dimensions, ce que l'oeil perçoit en trois dimensions, et même plus, car il s'agit aussi de prendre en compte les patines du temps, du vieillissement, ainsi que les marques d'agression ou d'usure par les éléments, l'eau, le feu, les intempéries, les chocs, les frottements... Un métier d'art qui exige des savoir-faire multiples, transmis par apprentissage et assimilés par l'expérience. Celles et ceux qui les ont acquis peuvent imiter l'aspect d'un matériau et d'un végétal, donner l'illusion d'un relief et d'une perspective, redonner sa jeunesse à une fresque et à une oeuvre d'art ancienne. Des faussaires de génie !

Le travail ne supporte pas l'imperfection et nécessite une minutie infinie. Ce n'est pas sans répercussion sur le mental de femmes et d'hommes, qui utilisent autant leur cerveau que leur main. Paula, Jonas et Kate sont enterrés vivants dans un métier dont leurs proches ne saisissent pas la noblesse, ni même la portée ou la complexité. Ils passent d'un chantier à l'autre et semblent perdus dès lors qu'ils ont des moments de liberté.

Le travail littéraire effectué par Maylis de Kerangal se compare à celui de ces façonniers de l'impossible, de ces besogneux sublimes noyés dans le détail d'exécution. Elle travaille avec la même implication, mais son domaine, ce sont les textes, les phrases et les mots. Elle analyse tout, répertorie tout, dans les moindres détails, sans rien laisser de côté.

Le résultat est un documentaire intéressant. Mon activité professionnelle m'a parfois amené à côtoyer ces artisans, ces artistes – je ne sais comment les dénommer –, sur un chantier de monument historique, de résidence ou d'hôtel de luxe, dans un studio de cinéma ou dans un parc d'attraction. Leur approche diffère suivant les lieux. Leur démarche intellectuelle et manuelle est toujours impressionnante. Leur solitude est souvent à la mesure de leur concentration mentale.

Dans son précédent roman, l'excellent Réparer les vivants, le style de Maylis de Kerangal était aiguisé comme un bistouri, sec comme un geste chirurgical. Une écriture qui s'accommodait bien d'une histoire de greffe d'organe, course contre la montre depuis la mort cérébrale d'un donneur jusqu'au réveil du greffé. Un parcours aussi délicat humainement que techniquement, où toutes les tâches devaient être effectuées très rapidement et sans erreur, ce qui donnait au livre le caractère dramatique et émotionnel d'un thriller.

Dans Un monde à portée de main, les énumérations sans fin et répétées d'outils, de couleurs, de pâtes, de bois, de marbres, et j'en passe, m'ont assommé… Elles relèguent au second plan la pâle intrigue amoureuse censée donner un caractère romanesque au livre.

A Lascaux, où elle oeuvre à un « fac-similé ultime », Paula s'est demandé « si les peintures continuaient d'exister quand il n'y avait plus personne pour les regarder ». J'ai pensé à Michel Legrand et aux « chansons qui meurent aussitôt qu'on les oublie ». Parallèle entre peinture et musique. Les peintres en décor sont-ils des créateurs ? Sont-ils des interprètes ?

Dans la grotte de Lascaux IV, Paula préfère oublier le présent. Son esprit se fond dans la grotte de Lascaux tout court, parmi d'autres peintres en décor, dont juste vingt mille ans la séparent…

Moi aussi, je préfère oublier.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Pendant deux ans après un bac terne, Paula a trainassé, d'une année de latence en droit à une prépa aux écoles d'art. Puis déterminée, elle a annoncé à ses parents : « Je vais apprendre les techniques du trompe-l'oeil, l'art de l'illusion » à l'Institut de la rue du Métal à Bruxelles - parcours chaotique de nombreux jeunes qui cherchent parfois longuement leur voie avant de parvenir à « secouer leur vie ».

Pour une fois, Maylis de Kerangal centre son roman autour d'une jeune femme, Paula, qui partage amitié avec Kate et colocation avec Jonas.
De leurs années d'école à leurs premiers apprentissages puis jobs, le récit dépeint avec justesse et émotion le quotidien, les doutes et les joies de jeunes étudiants artistes d'aujourd'hui. De Paris, Moscou, au fac similé de la grotte de Lascaux, en passant par les studios de Cinecitta, la variété de leurs expériences cadence le roman, évite toute chute de rythme, tout en instruisant le lecteur sur l’art subtil du trompe-l’œil.

Voilà pour le décor. La réalisation du tableau étant confiée à Maylis de Kerangal, le résultat au terme de 285 pages est époustouflant. Qu'il s'agisse du style, du choix extrêmement précis des mots, de leurs associations souvent si originales, de la qualité de la documentation, jusqu'au nom de l'héroïne Paula Karst dont je vous laisse découvrir la signification au terme du roman si vous ne la connaissez pas, tout semble ici magistralement maitrisé.
J'ai retrouvé avec jubilation le talent intact de l'auteur de Réparer les vivants : une intrigue resserrée autour d'un thème, une écriture précise et cadencée qui énonce autant qu'elle suggère. En résumé : une oeuvre de fiction originale et très réussie !

« Le trompe-l'oeil est la rencontre d'une peinture et d'un regard, il est conçu pour un point de vue particulier et se définit par l'effet qu'il est sensé produire. »
Remplacer le mot trompe-l'oeil par le mot roman et laisser agir l'effet de l'illusion...un monde est à portée de main.
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Paula, Jonas et Kate ont gardé contact depuis l'Institut de peinture de la rue du Métal à Bruxelles. Depuis cette année de 2007. Une année charnière pour Paula Karst qui, après un bac terne, une inscription en droit et deux ans à glander et chercher sa voie, s'inscrit à l'Institut de peinture. Elle en est certaine, elle veut apprendre à peindre les décors. Maîtriser l'art de l'illusion, du trompe-l'oeil. Rapidement, elle trouve un appartement dans Bruxelles, quitte Paris et ses parents et s'installe avec son nouveau co-locataire, Jonas. Quelques mois ô combien riches mais aussi éprouvants attendent la jeune femme...

De Paris aux grottes de Lascaux, en passant par une Bruxelles grise et pluvieuse, une Rome étouffante et ensoleillée ou encore une Moscou froide, Maylis de Kerangal nous entraine sur les pas de Paula Karst, une jeune femme devenue, au prix d'efforts, une créatrice de décors en trompe-l'oeil. de par son écriture très visuelle et précise, au plus près de la matière et de la technicité, l'auteure nous plonge parfaitement dans ce monde d'illusion, s'attachant au moindre détail. Ce roman se révèle très intéressant, extrêmement riche et pointilleux et nous fait découvrir, justement, l'envers du décor, nous montre ce que notre regard ne voit plus. L'art, un monde complexe, qui prend toutes ses formes au coeur de ce roman d'apprentissage...
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Bienvenue dans le monde du trompe-l'oeil !
En tout cas, j'espère que vous vous plairez autant que moi dans ce temple de l'illusion qui malgré tout trouve toujours des raccords avec la réalité, actuelle ou d'un autre âge.

Quel plaisir de suivre ces étudiants en « peinture en décor » dans l'école de la rue du Métal, à Bruxelles, « une maison de conte, cramoisie, vénérable, à la fois fantastique et repliée » !
Quelle jouissance de suivre mot à mot la description des tons qu'ils vont utiliser, de leurs mélanges, de leurs coups de pinceau, et au-delà, de leurs rêves.
Vraiment, chaque phrase pour moi a été un régal, et je pèse mes mots : j'ai apprécié par tous les pores ce roman sensuel par excellence, visuel, tactile, onctueux.
Roman plein d'imagination aussi, d'envol vers d'autres contrées, d'autres temps. Car lorsque Paula Karst, la jeune peintre faussaire, peint des marbres ou des bois, elle rejoint la matière et les conditions de leur création.
« Les faussaires travaillent à creuser des trous dans la réalité, des passages, des tunnels, des galeries »
Que ce soit sous le ciel gris de la Belgique ou dans les brumes de chaleur de Rome et sa Cinnecita, que ce soit dans les tentures cramoisies du salon d'Anna Karénine à Moscou ou à Lascaux lors de l'édification de « Lascaux IV », Paula s'investit tout entière, se fond, s'annihile dans l'instant créateur et par là rejoint l'éternité.

N'oublions pas qu'il faut vivre, il faut manger, il faut gagner sa croûte, comme on dit prosaïquement.
Après ce temps béni des quelques mois d'études à l'école de peinture de Bruxelles (et là, Maylis de Kérangal nous relate des faits réels, l'école van der Kelen – Logelain est une institution réputée), Paula et ses deux amis, Jonas et Kate, se lancent à l'assaut des chantiers dans toute l'Europe. La complicité créée lors de l'apprentissage se recompose à des moments précis où chacun raconte son corps-à-corps avec la matière.

C'est un roman gourmand, qui s'enracine dans la matière pour mieux s'en détacher. Difficile de me faire comprendre autrement que par ces mots...J'ai vécu, littéralement, ma lecture ; je m'en suis repue, j'ai absorbé toutes ses strates.
Art, psychologie, profondeur, couleurs, senteurs : ce roman est un coup de pinceau magistral et m'a présenté le monde à portée de main.

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Ralalaa ça va être compliqué...
Suis-je la seule à trouver plus laborieux de chroniquer une merveille, que de descendre une daube, je vous le demande ?

Car ici, oui oui, c'est de merveille dont il s'agit, et si Maylis de Kerangal renouvelle invariablement l'univers de ses romans, ce n'est visiblement pas au détriment de leur qualité.

Politique et génie civil dans "Naissance d'un pont", médecine de pointe chez "Réparer les vivants", cette fois voilà-t-y pas qu'elle nous initie à la peinture, à la technique du trompe-l'oeil plus précisément, dans une originale et sensuelle incursion chez « les copistes, les braqueurs de réel, les trafiquants de fiction ».

Et de cet art complexe que l'on pourrait croire mineur, l'auteure exprime une captivante théorie de l'illusion. « Copier c'est apprendre à voir ». Cette réflexion révèle son ampleur au fil du parcours initiatique de la jeune Paula qui, de Bruxelles à Lascaux en passant par Cinecittà, tentera d'affirmer son art en s'appropriant la mémoire du monde et la vérité de sa propre histoire.

L'imaginaire et l'écriture exceptionnelle de Maylis de Kerangal partent toujours loin mais ne me perdent jamais, et sa manière singulière et virtuose d'allier détails techniques et poésie pure m'a de nouveau enchantée, fascinée par ce roman éblouissant tant par le fond que par la forme.

Mais en parler, décidément… c'est compliqué !!


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Nous suivons les pas de Paula, jeune étudiante, qui s'apprête à suivre une année de formation dans un atelier Bruxellois, spécialisé dans le trompe l'oeil . On assiste très vite à la formation d'un trio amical avec Jonas le colocataire et Kate , une autre étudiante . C'est une histoire d'apprentissage, de passion pour des études difficiles et un métier original que nous fait découvrir l'auteur .
C'est ma première incursion dans l'oeuvre de Maylis de Kerangal, et si je me suis laissée tenter, c'est uniquement pour le sujet (les études d'art) .
La première chose qui frappe dans son univers , c'est l'écriture .
Une écriture qui claque par sa précision , sa richesse de vocabulaire et sa poésie. On sent qu'elle prend plaisir à énumérer les noms des couleurs, la matière des pinceaux, tout cela nous charme et nous transporte, Maylis de Kerangal se documente énormément .
Mais peut-être aussi que c'est cela qui pêche et qui maintient le lecteur à distance, à moins qu'elle se soit perdue dans la montagne des informations qu'elle souhaite partager avec nous.
Si j'ai aimé le début de l'histoire, très vite , je me suis ennuyée lors des descriptions de Cinecittà ou Lascaux car elle prennent le pas sur l'histoire à proprement dit. Elle la vampirise, l'absorbe, la laisse sur le pavé. Impression de lire une page Wiki…
Il ne se passe pas grand- chose dans ce roman : tout juste le début d'une histoire d'amour (?) dont on se dit qu'elle aurait dû ( ou pu ) , arriver bien plus tôt, ( à moins qu'ils soient tous très mal dans leur peau…). Les caractères des uns et des autres, sont à peine esquissés , Kate quasi inexistante .
Et si j'ai pris plaisir à découvrir au début le parcours professionnel de Paula, ses chantiers loin de ses proches, le statut précaire de free-lance , très vite Maylis de Kerangal oublie cet aspect , oublie ses personnages , se perd dans les mots, les descriptions , les informations, et son roman devient éthéré , abstrait . Frustration...
Je lui sait gré tout de même de montrer qu'ils n'y a pas que les étudiants en médecine qui en "chient ", qui font des nuits blanches et qui bossent !
Tous les apprentissages qui visent l'excellence, sont exigeants…
J'ai aimé la fièvre , la passion dévorante , l'obsession qu'a ce trio pour apprendre à maitriser les techniques picturales. Peut-être que c'est ça le problème, en dehors de cette apprentissage, rien ne compte, rien n'est ressenti .
J'ai aimé la poésie des couleurs et la beauté de l'écriture .
J'ai trouvé amusant que Paula ( dont l'oeil est le principal outil de travail avec la main) , souffre de strabisme et ait un oeil vairon et que cela ne soit en rien un frein pour savoir dessiner et mettre le monde à portée de sa main ...
Toutes ces pages m'ont portée , mais pas transportée hors de mon monde , je m'attendais à plus d'intensité...
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Un petit coup d'éponge végétale et, sur un fond bien préparé - un enlevé blanc de zinc et noir de vigne-  , un glacis gris de Payne , une estompe légère des contours avec un petit gris gorgé de bleu ceruléen, un coup de spalter pour unifier la touche, un trait , fin, ferme et sensible,  au fileur, pour faire naître la forme : c'est  un oiseau qui trace son vol aigu dans le ciel changeant de Bruxelles-la-Belle.

Un oiseau qui prend son vol pour sillonner le monde...

C'est un étudiant de l' Institut de Peinture, rue du Métal,  à  Saint-Gilles, qui part , fort de son diplôme tout neuf de peintre en décor,  comme Paula aux yeux vairons, avec une coquetterie dans le gauche,  comme Kate la nageuse aux épaules tatouées de poissons, comme  Jonas aux mains d'or, Jonas le "faussaire" surdoué, le roi du trompe-l'oeil. ..

Oh, comme j'ai rêvé avec Paula, Kate et Jonas... Des odeurs de térébenthine plein le nez, à en éternuer, les doigts poisseux de peinture fraîche, je m'y croyais,  dans cette école fameuse dont m'ont parlé tant de peintres français- toi, Gratienne, toi, Sylvie...- avec des étoiles dans les yeux...

Je me suis laissée porter par leurs rêves, enlever par l'euphorie de leurs premiers chantiers- un ciel de chambre d'enfant, un décor de péplum à Cinecitta, une fresque du XVII à restaurer dans l'île Saint-Louis- , je me suis laissée emporter par la libre itinérance de leur parcours, tantôt ici tantôt ailleurs, jamais attachés, toujours flottants, dans la bulle close et magique de leur savoir-faire...

Et surtout je me suis laissée rouler , enrouler, dérouler, par la vaste houle de la phrase de Kerangal, une phrase sans galets, soyeuse, ample, majestueuse -  périodique comme celle De Chateaubriand, retenant infiniment ses mystères comme celle de Proust, rythmée comme une  tirade racinienne....ou, si vous préférez, une phrase ensorcelante comme la chanson de Kâa dans le livre de la Jungle: "Trust in me"...avec les yeux du vilain reptile qui dessinent des spirales et Mowgli qui s'abandonne..

Tout à fait moi pendant cette lecture!

Peu m' importe un sujet finalement un peu mince, un propos un peu épars,  un trio un peu disjoint : j'ai senti, j'ai vu, j'ai imaginé,  j'ai voyagé,  et mes pinceaux m'ont furieusement démangé la main!

La conclusion en point d'orgue, dans le quatrième fac-similé de Lascaux, à l'heure sanglante de Charlie Hebdo m'a achevée.

De beauté et de force.

Ces heures-là,  je ne me rappelle que trop comment je les ai vécues, elles me poursuivent encore, elles m'obsèderont toujours.

Alors les vivre avec Paula, à genoux dans la glaise périgourdine, en communion avec le berceau artistique de l'humanité,  ça vous  redonne confiance en l'homme. Et il y a des jours où on en a tellement besoin!
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le vent fait-il du bruit dans les arbres
quand il n'y a personne pour l'entendre ?

C'est donc par ce classique kôan zen que commence « un monde à portée de main », une respiration s'impose, sentir ce vent s'engouffrer à travers mes crins durs. Laisser couler les pensées, regarder, observer, copier, reproduire. Paula, Kate et Jonas, trois jeunes qui se destinent à la carrière d'artistes. Une vie qui ne laisse pas de marbre surtout dans les carrières. Ont-ils rêver un jour d'embrasser l'idée de devenir peintre ou sculpteur ? Alors que Paula embrasse Jonas, que Jonas caresse Paula, que Kate caresse son bois, Jonas sa toile, Paula ses écailles de tortue. L'art est sensuel, coloré, charnel tout comme l'amour d'ailleurs. J'aime te regarder, t'embrasser, te caresser, dans une chambre pénombrée, store à demi-fermé, après le salon porte de gauche.

Le roman se compose de trois parties, toutes centrées sur Paula, l'objet de toute mon attention, attention qu'elle ne manque pas puisqu'elle a l'intention de me faire pénétrer le monde de l'art, par le truchement de la copie, du trompe-l'oeil, de la découverte sensorielle par des phrases à rallonge qui n'en finissent pas, comme si je manquais de souffle, la lecture essouffle, mais j'aime cette plume sans point, je m'y suis habitué, troisième roman de Maylis de Kerangal, j'aime son rythme, effréné sans frénésie, j'aime cette fulgurance des mots, des images, des idées qui s'enchaînent, se déchaînent parfois, comme deux corps dans une chambre d'hôtel au bord de l'autoroute. Paula Kate et Jonas se croisent rue de Parme, ce ne serait pas une couleur, il est beaucoup question de couleurs, pour faire cette formation dans le monde de l'art. Une première partie où ils apprennent leur métier, apprennent à se découvrir, se dénuder aussi, et puis comprennent leur métier : la copie, le faux semblant, le trompe-l'oeil, le fac-similé... Apprendre à regarder pour reproduire. Apprendre à observer pour trouver la bonne nuance, non la même nuance, des nuances de couleurs, de gris, de vert, de bleu. Caresser le support, le bois, le marbre, l'écaille de tortue, oui il sera beaucoup question d'écailles de tortue, comme de bisons morts vers la fin, parce que le rôle d'un bison n'est-il pas d'être mort.

Le diplôme en poche, chacun part aux quatre coins de la planète, pour de riches investisseurs, bourgeois ou autres oligarques ou émirs, la richesse a sa noblesse, celle de posséder des palais sertis d'émeraudes et de marbre. Quand à Paula, elle m'embarque pour l'Italie, découvrir, faire revivre Cinecittà, le monde du faux réel, le souvenir de ces vieux films avec Elizabeth Taylor, maquillée comme une peinture d'un autre temps, ou une icône orthodoxe qu'il faut vénérer. L'âge d'or du cinéma qui n'a qu'un temps, celui d'un film, ou d'une série télévisée. Retour à la case départ, sans se reposer, la plume de Maylis ne pardonne pas le repos, elle enchaîne, se déchaîne, comme deux corps nus sous les draps embrumés de souffles chauds et humides post-coïtaux. Les valises ne sont pas défaites qu'elle se retrouve sur un quai de gare, gare d'Austerlitz, une vieille locomotive dans le genre inter-cité, pour descendre bien plus bas, dans la Dordogne Rouge, celle des grottes, à la découverte de Lascaux, celle des bisons morts peints sur les murs, couleur ocre, et des chasseurs, couleur noire sombre, dans une caverne où il est interdit de respirer, le projet d'une vie, respirer l'air de la préhistoire, peindre Lascaux IV et sentir ce monde à portée de main, de pinceaux, de marteaux ou de truelles.

J'apporte à la fin de ce chapitre ma faible voix, ou mon petit bémol, l'écriture de l'auteure me fascine toujours autant, l'histoire, cette fois-ci m'a moins passionnée, sa « Tangente vers l'est » m'avait apporté un vent supplémentaire de fraîcheur, de blizzard, de passion, de chair que je n'ai pas retrouvé ici mais je ne lui en veux guère, j'ai appris tout un nouveau monde de couleurs, de teintes, de nuances que je ne soupçonnais même pas, et comme je sais que je serais fidèle à ses prochains écrits, même ses antérieurs puisque deux autres romans m'attendent encore, quand on aime on ne compte pas, c'est comme le nombre de verres de bières.
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Je ne rentre pas dans l'histoire. Je me perds, je m'évade mais pas dans l'histoire, ailleurs... J'ai presque l'impression d'entendre le monologue d'une personne qui s'écoute parler... mais que je n'écoute pas !
Je peux comprendre que certains lecteurs soient happés par l'écriture de Maylis de Kerangal, mais ce n'est pas mon cas avec ce roman.
Je ne le finirai pas... J'abandonne vers la page 60.
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