AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,18

sur 3928 notes
Un livre magnifique, une écriture poétique, un sujet brûlant traité avec nostalgie, et de l'amour, beaucoup d'amour. Voilà qui résume ce qui m'a touchée dans cette lecture. J'ai fermé le livre avec les larmes aux yeux.
Yasmina Khadra nous révèle un pan de l'histoire d'un pays, son pays, l'Algérie. le roman débute dans les années 1930 alors que Younes n'est qu'un tout jeune garçon. L'histoire commence par un exil : celui d'une famille qui perd ses terres et doit se rendre en ville, où seul le bidonville l'attend. Et d'exil on parlera dans ce roman. Au travers de l'histoire de Younes, c'est l'histoire d'un peuple. Un peuple diversifié, où mulsumans, catholiques et juifs ont cohabités sans haine jusqu'à la guerre d'Algérie (1954-1962). Cette diversité est rendue dans le groupe d'amis de Younes. Finalement, chacun sa place, sauf peut-être lui, le musulman vivant comme un européen, si bien que son prénom est devenu Jonas.

Avec ses yeux bleus, Jonas va faire trembler nombre de demoiselles. le roman nous conte avec merveille les déboires de l'amour, la force de l'amitié, de la religion et des traditions aussi. J'ai également trouvé intéressant la façon dont Khadra met en avant un acte de son protagoniste qui va avoir une incidence décisive sur sa vie. Est-ce une façon de mettre en avant le mektoub, ou destin ?
Younes est un personnage très beau et bien construit. Khadra semble avoir mis en lui et en son histoire tous les déboires et les merveilles de l'Algérie : la beauté, le charme, l'envie de s'en sortir mais aussi la détresse, l'angoisse, la tradition.

C'est un livre absolument magnifique et un auteur qui nous embarque dans ses histoires d'une manière très poétique. A découvrir.
Commenter  J’apprécie          210
D'origine algérienne, Mohammed Moulessehoul, mieux connu sous le pseudonyme de Yasmina Khadra, est reconnu mondialement. Il aurait emprunté ce nom pour des raisons de clandestinité, mais aussi pour rendre hommage aux femmes algériennes, en particulier la sienne. Ayant servi dans l'armée algérienne durant 36 ans, c'est en connaissance de cause qu'il nous parle de son pays déchiré par la guerre. Ce que le jour doit à la nuit se situe dans l'Algérie coloniale des années 1930 à 1962, durant la guerre pour l'indépendance. Et c'est à travers le regard de « Younes » (pour les Arabes), ou « Jonas » (pour les Français), regard d'un petit algérien de 9 ans, que nous parcourons d'un bout à l'autre ce roman nostalgique.

Younes est issu d'une famille de paysans. Alors qu'il est encore enfant, il est confié à son oncle, pharmacien dans un village Oranais, où il intégrera une communauté pieds-noirs. Irrésolu et passif, il n'arrivera jamais à se positionner entre les deux camps qui déchirent son pays. Partagé entre deux cultures, il refusera d'entendre les questions qui se posent à lui. Questions sur les souffrances de son peuple, ses drames et sa fierté, ses valeurs et ses espoirs ... Et de cet aveuglement, manifestation d'un esprit indécis, mais aussi et surtout par fidélité à ses valeurs et au nom de l'amitié, il passera à côté du grand amour. À cet effet, l'auteur dresse un remarquable parallèle (et de très belles réflexions) entre les conséquences émotionnelles de tels « choix » sur le destin d'un jeune homme et celles de la survie dans un pays en guerre.

Si j'ai l'habitude en abordant un livre de souligner les passages qui se sont à mes yeux démarqués, il m'a été impossible de le faire avec ce roman. Chaque page, chaque phrase est une note de musique, une image de beauté qui transportent l'âme du lecteur vers un voyage qui, malgré le côté tragique de l'histoire, nous berce et nous fait s'arrêter, le temps de bien contempler l'instant. Yasmina Khadra est un virtuose du récit poétique. Il arrive à traduire les émotions avec aisance, les idées avec justesse, les paysages dans toute leur beauté et leur agonie. L'élégance de son style se démarque de tout ce que j'ai pu lire auparavant.

Ce roman, c'est le cri d'un pays par la voix d'un grand homme ...

Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
Commenter  J’apprécie          204
Dans une Algérie en route vers son indépendance, Younes, jeune musulman, éduqué au milieu de riches européens n'a pas facile trouver sa place.

J'ai apprécié la découverte de votre beau pays avec ses contrastes, la description sans lourdeur du quasi esclavage imposé par les blancs. J'ai aussi beaucoup apprécié cette belle histoire d'amitié.

Petit bémol avec l'épisode 'Emilie' que j'ai trouvé peu crédible! Faire serment à la mère qui vient de le larguer, le tenir et n'en rien dire à Emilie? bof bof!
Et là, monsieur Yasmina, je trouve un peu facile, un Jonas qui ,devant toutes les relances d'Emilie, ne sait que se taire! Jonas, jaunasse, trop fadasse! Emilie, tu n'as rien à regretter!

Bon je ferme la parenthèse parce que, monsieur Yasmina, j'aime la fluidité de votre style avec de temps en temps une superbe phrase qui vous scotche, par exemple: 'L'hiver se retira un soir sur la pointe des pieds pour faire place nette au printemps. Au matin, les hirondelles dentelèrent les fils électriques et les rues de Rio Salado fleurèrent de mille senteurs. '
Et l'importance des yeux! 'Elle sourit, les yeux plus vastes que l'horizon'
Trop beau! et j'en ai mis quelques autres au lien ci dessous:
Lien : http://www.babelio.com/auteu..
Commenter  J’apprécie          200
Quel bijou… La plume de Yasmina Khadra est empreinte de tant de poésie. C'est ma première rencontre avec cet auteur et ce fût un véritable délice que de couler mes yeux sur ses mots, ses tournures de phrases et d'esprit. Tant de sagesse et de leçons de vie qui se glissent entre les lignes, prennent forment au sein de ce récit. Je ne sais trop qu'écrire de plus, j'ai été charmée et conserverai le souvenir de ce roman pour longtemps. Un coup de coeur.

On suit Younes, alias Jonas, de la misère de Jenane Jato à la quiétude de Rio Salado ; de son enfance frappée de malchance, de pauvreté et de solitude à son adolescence paisible et bienveillante auprès d'un oncle érudit et d'une tante aimante. Younes est un personnage ô combien attachant, d'une pudeur et d'une sensibilité touchante. Pourtant, sous son calme apparent, Jonas/Younes est tel un volcan endormi. Les meurtrissures de son passé ne font que somnoler. Il oscille entre ses amis européens et ses origines arabes, peine à trouver sa place et à se construire sur cette dualité. Qui est-il ? Younes ou Jonas ? Les deux ou aucun ? L'âge adulte le plonge en pleine tourmente. Son groupe d'amis qui s'éloigne, ses amours impossibles et puis la guerre d'indépendance qui s'immisce dans son pays et s'insurge, réveille en lui ses vieux démons. Pourquoi choisir ? Que choisir ? D'un côté il voit ses voisins et amis périr et de l'autre son peuple se meurtrir. L'Algérie est divisée, et notre protagoniste aussi.

Je reconnais qu'arriver à un peu plus de la moitié du roman, j'ai cru stagner dans ma lecture, j'avais peur que le récit ne s'essouffle… Puis, j'ai été de nouveau happée. Les sentiments de Younes/Jonas se réveillent, se déchaînent et nous entraînent avec lui. J'ai eu le coeur serré, palpitant, les larmes aux yeux et les poings crispés. Tant d'émotions jusqu'alors niées, refoulées… le sentiment d'étouffer et de se démener en vain contre l'injustice, la frustration, les remords et les regrets, qui le prennent en étau et ne le lâchent plus. La fatalité n'est pourtant pas une évidence, si ?

En tournant la dernière page, une grande mélancolie me submerge. Mes yeux troubles ne peuvent retenir des larmes muettes. Ce récit est marqué par la nostalgie d'amitiés et d'amours déçus, perdus, d'une époque révolue, d'un pays aimé, d'une vie tourmentée. Peuplé de souvenirs, d'ombres et de fantômes. Ses personnages, tous si riches, profonds, humains, dansent encore tels des feux follets derrière mes paupières closes.

Et je suis “incapable de me résoudre à l'idée que ce qui n'avait pas vraiment commencé était bel et bien fini.”

Challenge Multi-Défis 2021
Challenge Monopoly
Challenge du Livre au Film
Challenge Les Globe-Trotteurs
Commenter  J’apprécie          193
Cinquième livre de Khadra pour moi, un des plus connus. L'adaptation télé qu'en a fait Arcady y est vraisemblablement pour quelque chose.

Quand on commence à connaître Kadra, son style et sa manière de raconter les histoires, on se retrouve en terrain connu, confortablement installé dans le récit. On s'attend aux jolies phrases avec des mots choisis et des tournures recherchées mais on sait aussi que l'auteur saura aussi ne pas en surcharger son roman, qu'il en fera avant tout une histoire cohérente plutôt qu'un exercice de style. On sait qu'il nous exposera les positions de chaque protagoniste en essayant d'être le plus sincère à chaque fois pour ne pas orienter trop les sympathies de son lecteur. le contexte est ici éminemment propice à ce choix de narration : l'Algerie de 1930 à l'indépendance avec un clin d'oeil à notre époque pour finir. Quel plus beau terrain que cette Algérie française qui redécouvre petit à petit qu'elle pourrait être juste algérienne pour voir s'affronter des positions aussi tranchées que seul un général de grande stature pouvait affirmer avoir toutes comprises...

Et comme souvent chez Khadra, l'angle du narrateur choisi est essentiel. Ici un Arabe à qui les drames familiaux finiront par offrir une vie parmi les colons, jamais totalement rejeté, jamais totalement accepté. Une histoire personnelle au premier plan dans laquelle la Grande Histoire n'est le plus souvent qu'un décor de fond. Mais une histoire symbolique qui permet de rejouer L Histoire à un niveau plus intimiste, nous la rendant ainsi plus concrète.

J'ai parfois été lassé, presque énervé des atermoiements et des silences de ce Jonas Younes, que plusieurs de ses relations finissent par accuser de lâcheté. Mais c'est bien cette indécision qui aura caractérisé ce coin du monde pendant toute cette période, un bout de terre personnifié qui ne sait plus à qui ou à quoi elle doit être fidèle. L'échange entre le héros et le colon Pepe Rucillo au coeur de l'ouvrage est sans doute le moment le plus poignant et le plus représentatif du ton du livre.

On ressort comme souvent d'un roman de Khadra avec moins de certitudes dans nos opinions qu'au départ mais riche de bien plus de connaissances de l'époque qu'il décrit, enrichi des points de vue de tous ses personnages qu'il se refuse à juger, comme un père qui ne peut renier aucun de ses enfants et cherche avant tout à les comprendre.
Commenter  J’apprécie          193
Dans une interview à "On n'est pas couché" en novembre 2015, Yasmina Khadra explique qu'il a voulu montrer, dans ce roman longuement mûri, comment Arabes et Pieds-noirs d'Algérie (horribles mots - comment les appelle-t-il, dans cet interview ?) pouvaient s'entendre et auraient sans doute pu continuer de vivre côte à côte. Il explique qu'il avait aussi voulu écrire une bouleversante histoire d'amour.

J'avais déjà lu le livre avant de lire l'interview.
Elle a confirmé le sentiment qui m'a parcourue tout au long : le malaise.

Et j'aurais préféré entendre qu'il avait voulu se mettre dans la peau de personnages desquels il se serait plutôt senti éloigné, qu'il n'aurait pas voulu exemplaires.

Car si je suis convaincue que pieds noirs et arabes auraient pu s'entendre dans une société débarrassée de l'oppression, Khadra nous présente des personnages qui s'entendent, certes, mais plutôt dans l'indifférence à l'égard de l'oppression.

Malaise d'assister aux états d'âmes de l'oncle, descendant d'une lignée arabe prestigieuse, dont il est le dernier représentant ayant réussi à garder la tête hors de l'eau, le colonialisme étant passé par là. Il est pharmacien aisé tandis que tous ses frères ont sombré, soit en mourant prématurément dans d'obscures circonstances, soit, comme le père du narrateur, en ayant été conduit à la ruine et à la déchéance par la malveillance, en dépit d'un travail acharné et d'un courage surhumain.
J'aurais d'ailleurs voulu en savoir plus sur la malveillance dont il a été l'objet, par exemple : jalousie d'un colonisé ou leçon de la part d'un colon ?

Malaise de voir ce lettré se recroqueviller sur lui-même à moitié fou, traumatisé et brisé par son arrestation par la police coloniale. La violence policière n'est pas même suggérée comme cause - sinon la violence psychologique ; voire la naïveté ("quoi, a-t-il pensé, en substance, lire et avoir des idées, gentiment, chez soi, comme on vous l'a appris à l'école, cela peut conduire en prison et vous en sortir couvert des soupçons les plus odieux ? Quoi, on peut vous enseigner le devoir d'être homme digne et libre (Voltaire et Rousseau) et en même temps vous réprimer d'avoir seulement l'idée de l'être ?"). L'oncle ne se relève pas d'avoir été ainsi dégrisé.

Malaise d'assister aux états d'âme du narrateur, Younes, allias Jonas, incapable d'assumer les sentiments qu'il porte à Emilie, coincé entre une loyauté à ses amis (qu'aucun d'entre eux ne se sent, de son côté, obligé de respecter), et à une marâtre engoncée dans des préjugés religieux qu'il n'est même pas censé partager.

Malaise de le voir s'entêter à se faire du mal et à faire du mal à son aimée dans cet affreux mutisme (typiquement masculin - pardon pour ma mysandrie). Même si on sait ce que cache ce mutisme (merci de nous faire entrer dans une tête masculine dans un moment pareil), on est exaspéré, avec Emilie, de le voir s'y tenir : elle n'est donc pas capable de comprendre quoi que ce soit ? il a peur des conséquences de ses aveux ? Dans tous les cas, Younes ne brille pas par le courage de ses sentiments.

Malaise d'assister aux états d'âme sur l'amour et l'amitié de cette jeunesse de la petite société coloniale dorée (le narrateur compris), pendant qu'on sait se débattre et sombrer dans la plus noire, désespérante et sordide misère (malgré les rires des femmes), les hommes, les femmes et les enfants du bidonville d'à côté, du hameau pouilleux sur la colline d'à côté, dans l'indifférence la plus générale.

La description des premières années de Younes et du bidonville sont les passages qui m'ont le plus passionnée, d'ailleurs - on aimerait vraiment savoir ce que deviennent le père, la mère et la soeur de Younès. Mais ainsi va la vie : elle peut vous ravir définitivement des êtres chers - et vous devez continuer et vous débrouiller avec cela.

Malaise de ne voir le narrateur que fâché intérieurement devant le spectacle du factotum tyrannisé de la façon la plus humiliante et brutale par son ami-car-ami-d-enfance, patron du factotum, surtout lorsque ce dernier (l'ami patron colon) aggrave le geste tyranique en l'accompagnant de l'énoncé du principe dont il découle : il faut
sans cesse rappeler aux employés arabes, par la terreur, que leur place est seulement d'être soumis. Mais l'indignation intérieure était déjà quelque chose à côté de l'insensibilité qui devait gangréner les colons (comme "L'étranger" de Camus en témoigne). Et faut-il en vouloir plus à l'arabe "doré" qu'à un autre, de son insensibilité face à la façon dont est traité un employé arabe ? "Race" commune n'a jamais signifié communauté d'intérêts.

L'oncle comme le neveu (le narrateur) semblent englués dans l'entre-deux où ils se trouvent : arabes musulmans aisés, "intégrés" à la société coloniale - mais arabes tout de même et, concernant le neveu, issu en outre d'une prime enfance affreusement misérable. Et la façon dont ce milieu colonial les renvoie à leur origine (sous entendu inférieure) sans même y prendre garde, est d'autant plus cuisante qu'elle est plus discrète ("tu te fais des idées", proteste l'ami colon à qui il se confie).

Avec l'arrivée de la guerre (d'Algérie), la "différence" entre les colons et l'arabe assimilé devient de plus en plus palpable, le rejet de part et d'autre de plus en plus concret. Mais tout au long des trois premières parties, ce sont bien les liens d'amitié tissés pendant l'enfance qui inspirent le plus le narrateur et le sentiment de son devoir.

Impasse ou capacité de s'entendre malgré tout ?

La guerre d'Algérie arrivant à Rio Salado (la petite ville où trouve cette petite société - on n'y apprend jamais qu'il s'agit d'El Malah), de quel côté s'est retrouvé Younes ?
Comme il faut s'y attendre, comme il n'est pas préparé, c'est le rapport de force qui tranche. Je n'en dis pas plus. Il a été en tous les cas pour bien peu de choses dans ce qui lui est arrivé et même dans ce qu'il a été amené à faire. On a l'impression que chacun des camps se sentait simplement intéressé à l'avoir avec lui - une chance qui lui a sauvé la vie - bien qu'inconfortablement.

On peut également faire une lecture "féministe" de ce livre, même si l'auteur ne la suggère pas du tout. C'est seulement une lecture "entre les lignes" qui la permet.

On découvre ainsi une petite société coloniale où les jeunes garçons se croient avoir des droits sur une jeune fille et en être excusés par tous, du moment qu'ils sont amoureux d'elle, du moment qu'elle les laisse la fréquenter - même "en tout bien tout honneur". Ses sentiments à elle ne comptent pas le moins du monde. La concurrence entre mâles a aussi ses lois : c'est celui qui a le plus de culot qui l'emporte. De son côté, la jeune fille ne peut s'en sortir que coupable, coupable de s'être laissé fréquenter par l'un après l'autre. Mais aurait-elle pu les rejeter ? L'auteur ne se pose pas la question. Et elle se retrouve à devoir "choisir" celui qui l'a choisie du moment qu'il a l'autorisation de sa mère.

Amour, loyauté, respect des traditions... mais aucun respect de la femme.

Germaine, mère adoptive du narrateur : Yasmina Khadra n'accorde pas la moindre épaisseur à ce personnage que, de mon côté, j'ai trouvé central et héroïque. Epouse catholique de l'oncle arabe et musulman, mère adoptive du neveu arabe et musulman, Germaine se consacre entièrement au rôle d'épouse et de mère qu'elle-même s'assigne (mais la société le lui assigne aussi) : elle porte ainsi à bout de bras, sans jamais se plaindre, dans l'effacement total d'elle-même, tout ce petit monde consumé dans sa peur, son manque de perspective, son auto-flagellation et sa déprime.

L'oncle, qui avait une pharmacie à faire tourner, devenu dépressif, passe ses journées dans sa chambre, n'interrompant ses lectures, méditations, notes de lectures et mémoires, que pour se mettre les pieds sous la table le temps du repas et se faire servir par son épouse. le neveu, le narrateur, que l'on voit de temps en temps derrière le comptoir de la pharmacie, dépressif lui aussi, s'autorise également de longues heures, voire de longues journées en dehors de son poste de travail. Il cuve jusqu'au milieu de la nuit son vague à l'âme devant la mer ou sillonne durant des jours la grande ville à la recherche de son amour fantasmé. de quoi vit-il pendant ce temps là ?

Ces hommes, que Germaine, en femme se croyant insignifiante, avait dû rêver comme des êtres qui l'épauleraient, c'est elle qui les fait vivre, qui fait tourner la boutique, tient le ménage, etc. A part un coursier à qui elle peut demander d'emporter des messages, il n'est en effet nulle part question d'employés ni de domestiques. Alors, n'est-ce pas elle qui fait tout le travail ? tout en s'inquiétant sans cesse pour son mari, son fils adoptif ?

Rôle héroïque, mais non admirable car nuisible aux femmes. Un grand classique.

Elle semble heureuse ainsi, se "payant" de sa peine par ces moments où elle peut se promener au bras de son homme et donner publiquement l'image d'un couple uni, amoureux, idéal... tel que le narrateur les décrit avec admiration. Si sûr que si beau ?

C'est la tête encore occupée à imaginer ainsi la vie et les pensées de cette femme, que je trouvais donc négligée par l'auteur, que j'ai reçu la très longue ode à l'amour, ode à la femme, récitée par l'oncle au milieu du livre : "Si une femme t'aimait, Younes, si une femme t'aimait profondément et si tu avais la présence d'esprit de mesurer l'étendue de ce privilège, aucune divinité ne t'arriverait à la cheville."

"Evidemment, me suis-je dit, effectivement, tu peux te sentir un privilégié, un Dieu dans ces conditions : c'est elle qui s'occcupe de tout pour toi !"

L'amour et la femme portés aux nues par tous ces hommes... parce qu'ils servent leurs intérêts ! Et j'ai pensé à ce phénomène qui a fait que la "vierge Marie" n'a jamais été autant vénérée, "sollicitée" dans les prières, qu'à cette époque, au 19è siècle, où la femme réelle, la fille, l'épouse, n'a peut-être jamais été autant méprisée, humiliée, opprimée, exploitée (où l'on laissait volontiers mourir la mère en couche du moment qu'on récupérait vivant l'héritier mâle). Belles paroles, "paroles, paroles...".

Je me suis dit que Djeloul, l' "homme à tout faire" d'André, avait échappé de peu au même sort, de la part de l'auteur, à savoir l'indifférence ou, au mieux, une admiration interessée (du type : héroïque soumission du serviteur). Je me suis dit que ce qui a forcé l'auteur à s'intéresser au personnage, c'est le soulèvement de ces "damnés" de la colonisation. Plus question de les voir comme de braves bébêtes bêtes de somme. On apprend ainsi que l'ultra soumis Djeloul est aussi un surhomme, car seul soutien de plus de 10 personnes, parmi lesquelles des estropiés, malades, etc. (l'inverse des personnages principaux). En substance, "je ne peux me payer le luxe de me révolter". Puis l'auteur nous fait assister à la transformation du personnage lorsque l'heure de la guerre d'indépendance vient. L'auteur en fait un personnage ambigu : fier combattant peut-être, mais arrogant... mais aussi capable de retenue voire de magnanimité. Oppresseur après avoir été opprimé ou digne combattant ? Khadra laisse la parole aux deux façons de voir et laisse ouverte la question, me semble-t-il.

L'auteur a dit vouloir écrire une histoire d'amour et d'amitié, après l'avoir longuement mûrie (j'espère ne pas trahir son propos). Mais quoi ? Même en comptant la fin, ne nous a-t-il pas plutôt concocté une histoire où l'amour et l'amitié sont piétinés tout au long, des principes plutôt sordides - quand ce ne sont pas des intérêts individuels - ayant guidé finalement les protagonistes ?

Je reconnaîs à l'auteur de nous les avoir montré dans leur humanité, même si ces humains-là ne m'inspirent guère. Et c'est le talent d'un écrivain de n'avoir pu s'empêcher de montrer ce qu'il avait observé même si ce n'est peut-être pas ce qu'il avait voulu montrer. Je perséverais donc probablement dans la lecture de cet auteur - avec "L'Attentat", dans la liste de mes envies.

J'avoue que j'aurais préféré parler en détail des raisons de mon enthousiasme que des raisons de mon malaise. Mais tellement il fallait que cela "sorte", ce n'est pas, je l'espère, un partage totalement vain.
Commenter  J’apprécie          190
Le titre contient la démarche et l'éclairage de ce roman !
La nuit et le jour : c'est à dire l'obscurité et la lumière, en bref un "clair-obscur " ( cher aux grands peintres ! ) à savoir ce qui se vit : le confort, l'insouciance des roumis et l'obscur : la vie miséreuse des "arabes", les injustices, les méfaits de la colonisation...c'est dans ce "clair-obscur" que vit Younes qui, bien qu'accepté par le milieu multiculturel et multi-communautaire d'Oran, insouciant, confortable, traditionnel des français d'Algérie, vit en même temps son autre identité ancestrale soit celle d'un garçon qui a été confié à son oncle par un père ruiné suite à un incendie criminel.
La vie d'un jeune homme qui se lie d'amitié avec les copains de sa "bande"..mais qui garde de la distance par rapport à ce milieu ou il grandit , il manque de confiance, il est secret et ne peut même pas assumer l'amour qu'il porte à Emilie...
Il parle de son pays, de la misère, des injustices, des méfaits de la colonisation qu'il est obligé de vivre secrètement ...puis peu à peu, il va voir son Algérie se libérer du joug français, vivre les prémices puis l'évolution de cette rébellion qui va se transformer au fil des jours en prise d'indépendance et conduire au départ forcé des "pieds noirs"...
Sous la belle plume de Yasmina Khadra, ce roman nous raconte l'amitié, la beauté des paysages, l'amour mais aussi les violences, les attentats, les soulèvements d'un peuple qui se cherche , s'affirme en rejetant l'occupant !
En fin du récit, Younes reprend contact avec ses anciens potes et, surtout il veut renouer avec l'amour de sa jeunesse !
Commenter  J’apprécie          190
C'est un livre magnifique plein de couleurs, d'odeurs, d'émotions, de senteurs...

Une écriture qui évoque une symphonie ou une ode à l'amour et à la vie.
J'ai adoré cet ouvrage de la première à la dernière ligne où tout n'est que magie de l'instant. le vocabulaire est riche, le choix des mots un vrai régal.

Un livre parfois dur, aussi, qui nous dépeint une Algérie en souffrance où des hommes et des femmes survivent dans une misère difficile à supporter...mais où la dignité de l'homme le surpasse.
Une bonne analyse de cette culture et de cette époque que de l'autre coté de la méditerranée nous avons souvent préféré ignorer.
Commenter  J’apprécie          190
Les histoires d'amour en suspens sont celles qui touchent le plus au coeur. Leur intensité ne se mesure qu'à l'aube d'une autre vie car sans pour autant oublier la profondeur de la nuit, nous ne sommes éveillés que par les plus lumineux souvenirs. Nulle guerre, nul drame, nulle déclaration ne peuvent alors tarir les sentiments exacerbés, intemporels d'un homme et d'une femme, de l'Algérie et de la France.

Au coeur de l'Algérie coloniale, le récit de vie de Younès, nous submerge parce qu'il vrai, poétique empreint de philosophie. Yasmina Khadra tout en ne cachant ni la misère, ni la crise identitaire d'un peuple, ni la révolte qui gronde, nous berce de nostalgie auprès d'une jeunesse qui veut rompre avec le sentiment de fatalité de ses aînés. Ces amis, ivres de vivre dans un pays en profonde mutation, seront bientôt confrontés à des tensions qu'ils ne saisissent pas toujours, eux qui sont issus de plusieurs communautés et n'ont connu que l'Algérie. L'insouciance peut-elle survivre à tout même à la nuit?

Un roman sur fond d'histoire d'une grande sagesse, véritable hymne à l'Algérie, aux femmes et à l'amitié. Un merveilleux moment de lecture finalement plein d'espoir.
Commenter  J’apprécie          186
"Nous sommes les otages de nos souvenirs""

Je ne suis pas une grande admiratrice de Yasmina Khadra, cependant, je ne peux que m'incliner lorsque je lis un tel livre.
Délicatesse, poésie, un style propre à l'auteur qui m'auront embarquée comme quelques unes de ses autres oeuvres.
Une fois de plus, Khadra s'empare d'un sujet grave évoquant la guerre d'Algérie et les âmes meurtries. Les résurgences d'une enfance heureuse et unie dérivent progressivement vers un chaos tant politique que personnel.
Il distille dans ses phrases une mélancolie enveloppante nous mènant au coeur même des cicatrices et des entailles d'un amour qui saigne. D'une brèche ouverte sur des blessures sédentaires suinte un destin imposé par le colonialisme , brisant des rêves à l'aube des réalisations. D'une main de fer , l'entreprise guerrière éveille la colère et attise les haines des vies fauchées ; des amitiés complices naissent les animosités, les affections se figent et explosent de ce trop plein de ressentiments.
Yasmina Khadra nous incite à monter dans sa barque littéraire qui vogue sur des eaux troubles, nous invite à considérer son pays estropié via la seule arme qu'il détient pour dénoncer les souffrances, il y arrive d'ailleurs si bien que si nous y regardons de plus près , on peut encore voir aux fenêtres des oubliés ces âmes déchirées.

Un très beau livre.
Commenter  J’apprécie          180





Lecteurs (10147) Voir plus



Quiz Voir plus

Livres de Yasmina Khadra

Comment s'appelle le personnage principal de "Ce que le jour doit à la nuit" ?

Malik
Yousef
Younes
Mehdi

5 questions
229 lecteurs ont répondu
Thème : Yasmina KhadraCréer un quiz sur ce livre

{* *}