J’ai commencé à tuer à l’âge de quinze ans, et j’ai continué jusqu’à l’âge de quarante-quatre ans.
Il arrive que les membres d'une famille, mécontents de leur héritage, complotent pour faire mettre le patriarche en état d'ivresse à l'asile de fous et pouvoir ainsi se partager ses biens à leur convenance.
Les spécialistes, quels qu'ils soient, ne me paraissent crédibles que lorsqu'ils parlent d'un sujet qui m'est inconnu.
La honte et la culpabilité. On peut avoir honte de soi. Mais c'est le regard des autres qui nous rend coupable, le critère c'est donc les autres, pas soi-même. Se sentir coupable, c'est avoir honte devant les autres. Il existe sans doute des gens qui se sentent coupables sans pour autant avoir honte d'eux-mêmes. Ces gens-là redoutent la sanction des autres. Moi, c'est le contraire. Je n'ai jamais eu peur du regard ou du jugement des autres, mais j'éprouve une honte profonde envers moi-même. J'ai même tué certaines personnes uniquement à cause de ça.
Les jeunes ne savent pas ce qu'ils disent. C'est pour ça que je les aime bien.
Chaque individu possède sa propre image du paradis. Cela peut être un jardin avec une pelouse à l'anglaise baignée de doux rayons de soleil, ou une maison traditionnelle en Suisse dont la véranda déborde de pots de fleurs. Moi j'imagine toujours la prison. Je vois des hommes brutaux dont les moindres pores de la peau, les aisselles et les cuisses dégagent une forte odeur de transpiration. Ces prisonniers me familiariseraient avec les règles strictes de la prison et, à l'intérieur de ce cadre, je pourrais m'oublier complètement, laisser s'endormir mon moi constamment en effervescence.
Après tout, entre le sentiment que j'éprouve en écrivant des poèmes que personne ne lit et ce que je ressens en commettant des meurtres dont je ne peux parler à personne, il n'y a pas grande différence.
Oui, c’est dangereux la passion. C’est aussi pour cette raison qu’on en tire du plaisir.
Mon histoire ressemble un peu à celle d'Ulysse dans l'Odyssée. Après son départ de Troie, il arrive sur une île dont les habitants se nourrissent de lotus, et une fois qu'il a goûté à cette plante qu'ils lui ont offerte, il oublie qu'il doit rentrer dans son pays natal. Ses compagnons de voyage oublient eux aussi le but de leur voyage. Leur pays natal appartient au passé, mais leur projet d'y retourner appartient au futur. Dans la suite de son aventure, Ulysse fuit le chant des sirènes et la nymphe Calypso qui veut le garder près d'elle, pour toujours. Ce que souhaitent les sirènes et Calypso, c'est qu'il oublie l'avenir et demeure prisonnier du présent. Mais Ulysse ne renonce pas et n'a de cesse de combattre l'oubli pour pouvoir retourner chez lui, car rester muré dans le présent revient à réduire son existence à celle d'un animal. En perdant la mémoire, on perd aussi son humanité. Le présent n'est qu'un point virtuel reliant le passé et le futur, en lui-même il n'est rien. Quelle différence y a-t-il entre un malade d'Alzheimer gravement atteint et un animal? Aucune. Tous deux mangent, évacuent, rient, pleurent, et enfin meurent. C'est justement ça qu'Ulysse refuse. Comment? En n'abandonnant jamais son projet d'avancer vers le passé tout en essayant de se souvenir du futur.
Le fait que je souffre de la maladie d’Alzheimer est comme une mauvaise plaisanterie que le destin m’aurait réservée, à moi, le vieux tueur en série.
Quand je perds la mémoire du passé, je ne sais plus qui je suis, tandis que si je perds la mémoire du futur, je suis coincé dans le présent pour toujours. Quel sens a le présent, s’il n’y a plus ni passé ni futur ?