— Vous allez progressivement perdre la mémoire, continue le médecin. Dans un premier temps, ce sont votre mémoire à court terme et vos souvenirs les plus récents qui vont disparaître. On peut ralentir l’évolution de la maladie, mais on ne peut pas la stopper. Vous devez prendre consciencieusement le traitement que je vais vous prescrire, et je vous conseille d’avoir toujours sur vous un calepin et un stylo, pour tout noter. Il se peut que dans quelque temps, vous ne puissiez même plus vous souvenir de l’endroit où vous habitez.
Les hommes sont tous prisonniers du temps. Et ceux qui sont atteints d'Alzheimer sont enfermés dans une prison dont les cellules rétrécissent de plus en plus vite. J'étouffe.
A chaque réunion de ce genre, des gros bras montaient sur scène et se coupaient un doigt en criant : « Éradiquons les communistes ! ». La séance ne prenait fin qu'une fois que le sang avait coulé devant la foule. D'après la rumeur, la police faisait appel à une bande de malfrats dont le chef désignait un de ses hommes pour que celui-ci se mutile devant la foule.
Je découvre un poème intéressant sur une étagère de ma bibliothèque. Il me plait tellement que je le lis et le relis, j’aimerais l’apprendre par cœur, mais au final, je réalise que c’est moi qui l’ai écrit.
Si vous saviez combien j’ai été accaparé autrefois par le meurtre et quel grand bonheur cela m’a apporté, mais aussi combien c’était risqué de se consacrer à cette seule activité, vous la fermeriez.
Un des inconvénients de la vie de tueur en série, c'est que je n'ai aucun ami à qui je puisse parler à cœur ouvert. Mais après tout, les autres ont-ils vraiment ce genre d'ami?
Un habitant du village que je connaissais avait tendance à oublier tout ce qui s’était passé quand il avait trop bu. La mort est peut-être comme un verre d’alcool fort qu’on boit pour oublier cette banale beuverie qu’est la vie.
Je repense souvent à la mémoire du futur. Pourquoi? Parce que tous les efforts que je fais, c'est pour ne pas oublier le futur. Ce n'est pas grave si mon passé, et mes dizaines de meurtres, disparaissent de ma mémoire. Pendant longtemps, j'ai mené une vie qui n'avait rien à voir avec ces meurtres, ce serait donc une bonne chose si tout ça s'effaçait de mes souvenirs. Mais il ne faut surtout pas que j'oublie le futur, et mon plan: tuer Pak Ju-tae. Si j'oublie ça, Eun-hee risque de se faire cruellement assassiner. Or, mon cerveau atteint d'Alzheimer contrarie mes projets. Il conserve avec précision mon lointain passé mais refuse d'enregistrer le futur. J'ai l'impression qu'il passe son temps à me dire que le futur n'existe pas pour moi. A force de réfléchir en continu, je finis par penser que, sans avenir, mon passé n'aura pas de sens.
En réprimant mon désir, j’ai laissé plus de gens en vie que je n’en ai tué. « Personne dans ce monde ne vit en faisant tout ce dont il a envie », c’est une phrase que mon père répétait tout le temps, et je suis d’accord avec lui.
Après tout, entre le sentiment que j’éprouve en écrivant des poèmes que personne ne lit et ce que je ressens en commettant des meurtres dont je ne peux parler à personne, il n’y a pas grande différence.