Étrange album teinté d'absurdité, beau et sombre autant que déroutant ; 120 pages quasi muettes à l'exception d'un dialogue placé en préambule. le livre est composé d'une succession de dessins à l'encre, aux formats portrait et paysage, dont le style évoque la gravure – ils sont densément hachurés, striés – et où aucun espace n'est laissé en réserve, pas même une surface noire qui ne soit a minima piquetée des points blancs des étoiles. le résultat est dense au point de paraître oppressant.
Il y a infiniment plus à voir ici que ne peut le laisser supposer le premier feuilletage rapide du livre. La première lecture ne permettra pas de saisir ce récit opaque, clos sur lui-même plutôt que simplement linéaire, uniquement de s'imprégner de son atmosphère, de suivre sa logique onirique à distance, de façon détachée. Les lectures suivantes seront plus lentes, chacune permettant d'en creuser un peu plus l'interprétation. Je doute que l'on puisse épuiser aisément le sens d'une histoire de ce type, il demeurera toujours quelque chose de nouveau à y déceler, et de nouvelles manières de s'y projeter.
Bien que meurtres et mutilations soient évoqués sans détours, le sang est quasiment absent, ce qui contribue dès les premières pages à une impression d'irréalité – les morceaux de corps, trop lisses, aux coupes trop nettes, pourraient être de cire ; la maison est trop propre pour être le lieu d'un perpétuel massacre – et à cette idée que le récit que l'on a sous les yeux est avant tout métaphorique. La suite bascule plus nettement dans l'onirisme. Les scènes de violence sont en majorité rejetées dans des ellipses et laissées à l'imagination du lecteur, leur brutalité suggérée par la juxtaposition habile de l'instant qui les précède et de la vue, ensuite, de leur conséquences. Les dessins sont composés chacun d'assez peu d'éléments, mais la récurrence de certains d'entre eux et le fait que plusieurs images soient presque similaires obligent le lecteur à s'interroger sur leur sens, quitte à interrompre sa lecture pour revenir quelques pages en arrière.
La chemise de nuit que revêt le loup, en plus de constituer un décalage comique, associée à la tête de fillette fixée au mur, inscrit dès les premières pages le récit dans la temporalité du conte, et le place après la fin du « Chaperon rouge » de Perrault dans lequel l'héroïne est dévorée – par sa faute, à en croire la morale – et le prédateur demeure impuni. La routine macabre du loup, tueur en série dont les goûts en matière de décoration ne sont pas sans rappeler ceux d'Ed Gein, pourrait être sans fin, n'était cette ombre inquiétante dans la forêt, apparue à la suite de la constellation Orion (aussi appelée le Chasseur), et renvoyant à la fin du texte, non plus de
Charles Perrault, mais des frères Grimm… de là, le récit dévie franchement de la tradition pour se poursuivre en un voyage initiatique surréaliste qui devient le moyen pour le protagoniste d'une métamorphose violente et radicale.
Si le récit est sombre, ce n'est pas uniquement en raison de la violence physique qu'il dépeint, il y a aussi quelque chose de profondément désespéré dans les actes autodestructeurs du protagoniste dont l'identité est au coeur de ce récit. Plus que comme un espace concret, la maison m'est apparue comme un espace intérieur, où se terre dans une forêt obscure symbolique la part la plus sombre du personnage, un lieu d'ailleurs assimilé à une prison et d'où il semble impossible de tout à fait s'échapper.
La chemise de nuit du loup, en plus de renvoyer au temps du conte, constitue un vernis trompeur d'humanité, et le premier masque de la longue série apparaissant dans le texte sous des formes diverses. le visage du protagoniste se voit ainsi bandé, casqué, masqué et même couvert par une méduse. L'image que lui renvoient les miroirs est changeante : son identité est incertaine, et l'objet de son périple et des transformations qu'il va subir semble être de se la réapproprier. le loup, le voyageur en costume puis la silhouette fantomatique incarneraient-ils chacun son ça, son moi et son surmoi ? Peut-être est-ce trop réducteur ou simpliste de considérer les choses ainsi. Dans une histoire dont le déroulement paraît obéir à la logique du rêve, l'ensemble des personnages (le loup, le chasseur, le voyageur, le bon samaritain, le chaman, le spectre) pourraient être perçus comme autant de facettes d'un même individu en quête de lui-même.
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