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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Vous souvenez-vous des films d'espionnage des années 1960-70 ? Souvent il y avait soit un flic, soit un voyou qui collait un mouchard sous une voiture, dans une valise, etc. afin de pister son adversaire… Ça vous rappelle quelque chose, n'est-ce pas ? Vous vous disiez alors que vous n'aimeriez certainement pas qu'on vous colle ainsi ce genre de mouchard dans l'arrière-train afin de pouvoir pister tous vos déplacements, savoir ce que vous faites à chaque moment, etc. N'est-ce pas ? Vous vous souvenez ?

Et puis, lorsque les technologies numériques sont arrivées, celles qui sont des ultra-mouchards, celles vis-à-vis desquelles les mouchards des films des années 1960-70 font figure de joujoux risibles, celles que vous vous êtes tous rapidement empressés d'acheter à grands frais, afin qu'on puisse mieux vous pister, espionner, contrôler, diriger, arnaquer… La définition même de la servitude volontaire.

Et ce n'est rien ! On nous annonce les miracles de la 5G, la fabuleuse 5G, celle qui permettra la reconnaissance faciale en temps réel et à grande échelle, celle qui couplera votre bracelet connecté, avec votre frigo connecté, celle qui avertira vos toilettes que vous n'êtes toujours pas allés faire pipi depuis bientôt 43 minutes, ce qui est mauvais pour votre concentration au travail, etc. Ah ! Magie de la servitude volontaire !

Tout petits, nous l'avions appris dans la fable De La Fontaine intitulée le Loup et le Chien : on trouvait le loup sublime et le chien veule, et… les années ont passé… et on a acheté des portables ! Nous sommes tous les braves toutous d'un système qui se fout bien de notre gueule, et que pourtant nous alimentons. Contraints et forcés ? Non, messieurs, dames, volontairement ! Nous pleurerions, même, de ne plus pouvoir nous vautrer ainsi dans la servitude numérique, consumérique, sécuritaire. (Ah ! magie du principe de précaution, par quel trou de souris nous conduis-tu !)

Étienne de la Boétie (et non Béotie, ne confondons pas !) nous le crie, nous le hurle, nous le scande : si nous le voulions, collectivement, nous pourrions retrouver notre liberté, notre vraie liberté, mais nous l'avons vendue notre liberté, pour le prix de deux ou trois colifichets, nous l'avons vendue, et nous avec. Tel est le prix de notre confort et de notre sécurité… (soi-disant confort et soi-disant sécurité, mais c'est un autre débat)

Il faut être poli, civilisé (les racines étymologiques parlent d'elles-mêmes, polis, c'est la ville, civis, civitas, c'est le citoyen, la cité, c'est-à-dire là où la concentration humaine est forte) et le contraire de ces notions, le contraire de quelqu'un de " bien " élevé (entendre, bien soumis), c'est un sauvage. Pas d'erreur possible, on retrouve bien la fable du loup et du chien. L'école, cette formidable machine à standardiser et à soumettre (ça me fait mal de le reconnaître car j'en fais partie, mais je crois qu'il faut dire la vérité une fois dans sa vie) prépare le terrain, génération après génération.

En effet, l'école permet-elle aux individus de cultiver ce qu'ils ont d'original en eux, de les émanciper, de véritablement repérer les talents ? Non, elle récompense l'aptitude à la soumission, à poser son cul exactement à la place qu'on lui indique. J'ai eu plein de ces petits élèves brillants, super malins, super sauvages, et je sais que jamais l'école ne les mettra en avant, jamais, car ils refusent tout net le pacte tacite : sois soumis, obéis. Ils finiront dealers, chefs de bande, à la tête d'un réseau, une activité qui demande des qualités incroyables de courage, d'organisation, de flair et de charisme, tout simplement parce que l'école a boudé leur talent, n'a tenu compte que de leur absence de servilité et les a rayés de ses tablettes.

Or, l'humanité tend à toujours plus de densité de population, toujours plus de villes, toujours plus d'influence des villes sur les campagnes, c'est-à-dire toujours plus de " civilisation " (entendez, soumission). Regardez comme nos gouvernements nous tiennent en laisse avec leurs obligations de ceci, puis de cela, passe sanitaire machin, attestation truc, etc. et la liste est sans fin. Et toujours nous marchons bien gentiment à la corde, en braves animaux domestiques que nous sommes et que nous redouterions de ne plus être.

J'imagine que la situation est encore bien pire aujourd'hui qu'à l'époque où La Boétie écrivait son constat de notre incroyable passivité collective à endurer la servitude. (Souvenez-vous la toute première scène du film de Chaplin, Les Temps modernes, ce troupeau de moutons, puis la même image avec des humains à l'entrée d'une usine. On pourrait de nos jours décliner l'image à l'entrée de n'importe quel métro ou de n'importe quelle institution où la queue est de règle. La vie IKEA en somme, suivre bien gentiment le petit train et payer à la fin, voilà, c'est ça la servitude volontaire.)

Un des aspects les plus intéressants soulevé par La Boétie, je trouve, concerne le profil courtisan. En effet, tant que l'on n'est pas à l'échelon du tyran, il faut faire de la lèche à grands coups de langue et à toute heure du jour ou de la nuit, il faut être ultra, méga, giga asservi, sous peine de perdre le minuscule privilège que le souverain vous octroie. (Voyez comme les ministres se contorsionnent auprès d'un président…)

D'ailleurs, nos souverains actuels font aussi régulièrement acte de soumission, lorsqu'ils passent des heures à serrer des louches de gens qu'ils méprisent singulièrement, mais sans le suffrage desquels, ils ne pourraient prétendre à leurs privilèges.

En somme, c'est un écrit très petit, très univoque, que nous sert l'auteur, mais la question soulevée est si puissante, si présente, si prégnante qu'elle appelle à se situer, se considérer soi-même dans ce vaste ensemble de servitudes qu'est une société humaine. C'est toujours une expérience intéressante, que je vous conseille bien volontiers : vous asservir quelques minutes à cette lecture. Souvenez-vous seulement que ceci n'est que mon avis, servile à sa façon, aujourd'hui plus que jamais, pas grand-chose.
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« En 1548, sous le règne d'Henri II, éclate à Bordeaux une révolte populaire contre l'impôt sur le sel, qui fait l'objet d'une sanglante répression par le connétable de Montmorency ; c'est à cette date, selon Montaigne, que la Boétie commence à écrire le Discours de la servitude volontaire ou Contr'un. »

Voilà donc, selon la courte biographie intégrée au livre, l'origine de cet essai qui a traversé les siècles, le plus souvent en classe économique, pour arriver jusqu'à nous. Ce texte que je découvre est impressionnant de force et de conviction ; une réaction pamphlétaire aussi violente que l'acte odieux qui l'a provoquée. La charge est lancée contre l'absolutisme bien avant que ce terme ne soit effectif. C'est le gouvernement d'un seul qui est honni : la tyrannie.
Étienne de la Boétie s'étonne et s'offusque qu'il soit possible à un seul homme de priver de liberté une foule, une nation. Il suffirait que la foule dise « non », et s'en serait fini. Pourtant ce type de gouvernement d'un seul existe largement. Pourquoi ? Essentiellement parce que le peuple se laisse faire, est trop paresseux, trop mouton, accepte l'inacceptable avec philosophie. C'est le peuple lui-même qui s'enchaine.
Plus loin, il convient que le seul tyran n'est jamais si seul ; il attire à lui d'autres hommes qui trouvent un profit à exploiter ceux plus bas qu'eux dans la structure pyramidale du joug. Mais il ne remet pas en cause son idée première malgré cela.

On ne peut qu'apprécier (j'espère) ce coup de semonce contre les régimes tyranniques abusant de leur autorité. Les exemples continuent d'empuantir le monde. Mais j'ai eu l'impression qu'on pouvait interpréter ce texte comme l'affirmation que la liberté individuelle est naturelle et suprême, dans le sens où on ne doit jamais obéir à personne. Un discours d'anarchie absolue où la notion de loi même ne devait pas exister car elle limite forcément les mouvements de la liberté absolue. C'est la notion transportée par le diction « la liberté s'arrête là où commence celle des autres » qui m'a semblé battue en brèche.
Après réflexion, je ne pense pas que La Boétie souhaitait aller jusque là.

J'ai parfois tiqué sur l'argumentation. J'ai repéré des sophismes. J'ai trouvé certaines interprétations de l'Histoire antique un peu trop restreintes. Je comprends par exemple que l'auteur applaudisse l'union des Grecs affrontant la Perse, mais il ne dit rien de l'impérialisme d'Athènes – une démocratie – sur la ligue de Délos. Faut-il considérer que, selon lui, les cités grecques libres passant des siècles à se battre en elles représente une situation enviable ? Lorsque Étienne de la Boétie dit qu'il hait Jules César et adore ses assassins qui défendaient la République, considère-t-il que la République aristocratique qui se moquait probablement du peuple était un meilleur modèle ? Cela peut se discuter.

Vu la violence de l'assaut sur la royauté, je me suis demandé quelle avait été la réception du texte par les Valois. C'est la mini biographie qui m'a éclairé : il n'y a pas eu réception. le texte n'a pas été publié. Après la mort de la Boétie, son grand ami Montaigne ne le publie pas de crainte qu'on en fasse un usage subversif. Il n'est publié dans son intégralité qu'au XIXe siècle. de fait, la vie de la Boétie est tout à fait intégrée au système. Elle n'a rien d'anarchiste. Cela plaide pour une interprétation de ce texte comme un « coup de sang » généré par l'événement décrit au début de ce billet, et par extension comme un appel au peuple pour qu'il reste en alerte, qu'il ne se laisse pas endormir et surveille ses dirigeants.
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En 41 pages, tout est dit sur les tyrans qui gouvernent. La Boétie avait 18 ans, ou même 16, à sa rédaction. Écrit en 1576 avec peu de rides. Une colère qui, même si ça ne va pas changer grand chose, au moins ça soulage.
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Ce texte de la Boétie est étonnant. Au coeur d'un 16ème siècle où la royauté est omnipotente, cet auteur proclame en gros, libérez-vous du joug du tyran. Si une, 100 ou mille personnes cèdent au pouvoir d'un, voire de plusieurs dictateurs, un million de citoyens peuvent faire tomber ce pouvoir omnipotent.

Aujourd'hui, quelques personnes, possédant la presque totalité des richesses, font la loi sur toutes les autres, minoritaires en matière de biens mais largement majoritaires en nombre de citoyens. Ces conquérants des biens matériels, donc politiques, ne s'intéressent ni aux gens, ni au réchauffement climatique, ni à la perte de la diversité. Qu'attendons-nous pour appliquer les préceptes de la Boétie ? Comme Stéphane HESSEL auquel j'assimile ce jeune homme du 16ème siècle, "Indignons-nous !"
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Discours de la servitude volontaire est mon essai préféré, tout simplement parce qu'il est limpide, concis et d'une portée imparable pour les esprits qui l'ont lu. Ce petit manuel relativement court devrait être obligatoire au programme des collégiens ou des lycéens, tellement il éclaire sur les mécanismes de servitude des citoyens au pouvoir en place qui nous dirige.
C'est d'ailleurs sûrement, une des raisons, pour laquelle les politiques n'en parlent jamais, trop dangereux, le peuple pourrait décider de ne plus obéir servilement.
Le génie de ce texte est d'expliquer avec clarté les différents types de dirigeants auxquels nous pouvons être soumis et les conséquences qui en découlent :
- Les tyrans qui s'emparent du pouvoir par la violence,
_Ceux qui dirigent par succession héréditaire
- Et enfin les derniers, élus par le peuple.
Mais là ou résonne le mieux ses propos, c'est dans la croyance bête des citoyens de penser qu'une fois leurs représentants élus, ils seront bien gouvernés dans le sens de leurs intérêts. En fait l'auteur nous démontre le contraire, une fois élus, les dirigeants commandent souvent selon ce qu'ils croient bon pour nous et vont donc dans une direction néfaste pour le peuple. C'est là, que La Boétie nous tance, en arguant du simple fait, citoyens ne vous soumettez plus, ne servez plus votre chef présumé, créant la première désobéissance civile officielle de l'histoire tout en insistant bien sur la nécessité de ne pas recourir à la violence contre des dirigeants élus.
Son mot d'ordre est simple : brisons pacifiquement les chaînes que tous nous nous sommes données !
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Petit brûlot contre la tyrannie.
La Boétie montre que celle-ci ne peut s'établir que parce que les peuples volontairement se soumettent au tyran, qui n'a pas les moyens de faire respecter sa volonté par lui-même - par paresse, par habitude, parce qu'ils n'ont jamais connu que la servitude. Il montre aussi comment le tyran corrompt et attire tous les hommes qui lui ressemblent et ainsi peut établir son pouvoir et le maintenir grâce à la collaboration de milliers de "petits tyranneaux" qui tentent de tirer leur épingle du jeu.
C'est une vision assez pessimiste quant au jeu politique car la tyrannie paraît inéluctable. Ceci dit, je le trouve un peu optimiste sur la nature humaine quand il pense que, libres, les hommes seraient capables de vivre en harmonie mais passons…
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Écrit lors de sa prime jeunesse, ce discours sous forme de dissertation de la Boétie n'en est que plus authentique. C'est entre 16 et 18 ans que lui prend la rédaction de cet ouvrage destiné à rentrer dans le patrimoine littéraire et philosophique de son pays dont il estimait les habitants trop serviles.
L'histoire du texte est déjà intéressante, car s'il est aujourd'hui aussi reconnu, c'est également en partie grâce à Montaigne, qui sera le compagnon de l'une des amitiés les plus pures de l'histoire de l'humanité.


"Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres", cette phrase à elle seule résume admirablement la pensée de ce livre. La Boétie nous fait relativiser notre position de dominé face au pouvoir, car ce pouvoir -royal à l'époque-, c'est bien nous qui l'asseyons sur son trône. S'il s'en empare sans notre consentement, il peut se targuer de posséder ce dernier en ce qui concerne sa conservation.
Fidèle à son éducation très tournée vers l'antiquité gréco-romaine, La Boétie nous illustre son chant pour la liberté de nombreux exemples de tyrannie qui n'ont été que renforcée par des peuples pourtant plaintifs. Une liberté accessible à qui veut bien la prendre, voilà ce qui nous est proposé, et pourtant, seuls quelques uns osent s'en emparer, les autres en auraient la paresse.
Une lecture indispensable à tous, d'abord pour sa renommée et la pensée qu'elle véhicule, mais également pour son esthétique, car bien que certaines tournures de phrases soient évidemment dépassées aujourd'hui, il est impossible de nier l'éloquence évidente qui se dégage et qui permet une meilleure assimilation des idées exposées, en plus de placer la liberté sur le trône qu'elle mérite -infiniment plus que les tyrans dont le fessier trop imposant ne lui permet pas de l'occuper suffisamment. le texte ne présente aucune difficulté d'interprétation malgré la forme de l'essai, il est clair et agréable.
Cela étant, il est vrai que si la lecture de ce type d'ouvrage argumentatif est une habitude, l'on peut regretter que, face à cette érudition évidente de son auteur, ce dernier n'ait pas poussé davantage son analyse.

Pour ce qui est de l'édition, c'est avec celle qui illustre le livre dans la base de données que j'ai découvert le texte (GF). Intéressante car en plus du texte intégrale, son histoire -et quelle histoire !- y est détaillée en préface, rajoutez à cela le fait que Simone Goyard-Fabre, qui présente l'ouvrage, arrive très bien à nous communiquer son enthousiasme quant à celui-ci et vous comprendrez que ce soit cette édition que je vous recommande.


Un très beau livre "à l'honneur de la liberté contre les tyrans".
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Etienne de la Boétie, passé à la postérité pour sa célèbre amitié avec Montaigne, que l'on a bien évidemment tous en tête, est devenu un peu moins célèbre que son grand ami car mort trop jeune, à 33 ans, mais il fut tout de même dans ce cours laps de temps sur terre, magistrat et homme de droit. Toutefois ce texte, qui est son unique et lui a valu sa renommée posthume, fut écrit bien avant à seulement 18 ans !
Car selon Montaigne, c'est en 1548 lorsqu'une révolte populaire contre la gabelle éclate et qu'elle se trouve réprimé dans le sang, que La Boétie aurait commencé à écrire son discours.
Dans ce texte, somme toute très court, une quarantaine de pages à peine, ce qu'il cherche à comprendre et à expliquer c'est pourquoi nous, les Hommes, acceptons-nous l'asservissement. Oui, pourquoi ? Vaste question qui pourrait remplir une bibliothèque entière, mais à laquelle La Boétie tente d'apporter quelques réponses. Il va le faire en puisant ses source de réflexion principales dans l'Antiquité. D'ailleurs ce texte aurait pu s'intituler « Discours de la servitude volontaire dans l'Antiquité » tant elle est omniprésente ! Si c'est un procédé qui a l'avantage de fournir un grand nombre d'exemples et de conférer à ses observations une aura intemporelle, il a en revanche l'inconvénient de devenir rapidement obscure pour quiconque n'aurait pas, comme lui, une vaste culture antique. Ce qui fut en l'occurrence mon cas, et bien que La Boétie explicite plutôt clairement ces anecdotes, j'ai déploré qu'il n'ait pas utilisé plus d'exemples contemporain pour étayer ses propos (car ce n'est pas les tyrans qui doivent manquer en ce milieu de XVIe siècle dans le monde !).
Quoi qu'il en soit de tous ces exemples greco-latins, il en tire un certain nombre de pistes : tout d'abord — et c'est ce que j'ai trouvé le plus intéressant —, il y a selon lui trois types de tyrans. Celui parvenu par les armes, celui parvenu par l'hérédité et enfin celui parvenu par élection. Encore une fois j'ai eu l'impression qu'il parlait davantage les deux premiers cas que du dernier, j'ai trouvé ça dommage car en tant que lecteur d'aujourd'hui c'est ce dernier qui nous parle le plus.
Quoi qu'il en soit, dans le fond, les conclusions qu'il en tire s'appliquent aux trois formes.
Et quelles sont donc ces conclusions ?
La Boétie estime que si les tyrannies perdurent et prospèrent c'est principalement du à l'habitude qui se forment chez les populations asservis. Autrement dit une forme d'accoutumance qui endort et ramollit toute velléité de résistance ou de réveil. Et pour peu que le régime tyrannique dure sur plusieurs générations, voilà toute notion de liberté réelle perdue, oublié dans le fond des âges, et la servitude transmise, collectivement et volontairement acceptée. Dans un phénomène paradoxale la masse en théorie plus forte que quelques uns, voit sa volonté faiblir et annihilée. Et effectivement, c'est à la fois très juste et très vraie, l'habitude chez l'homme, qu'elle soit collective ou individuelle, est la source de bien des maux et ce qu'il y a de plus difficile à corriger. L'aborder ici du point de vue de la société est original pour le siècle je trouve, en plus d'être extrêmement pertinent.
Cela dit, La Boétie nous montre que le pouvoir des tyrans repose sur de fragiles fondations ; l'adhésion par la peur (ou le mensonge), la longévité par l'habitude, l'abrutissement par les jeux et les plaisirs, des êtres pas ou peu aimé, toujours craint et bien moins protégé qu'on le croit. Finalement ce que l'on comprend entre les lignes et qui passe quasiment pour évident c'est qu'il suffirait de se soulever.
La Boétie ne le dit pas vraiment pas plus qu'il ne propose d'alternative, car ce texte est effectivement comme son titre l'indique, un discours, un plaidoyer plus qu'autre chose, l'amorce à une réflexion et à un recul sur notre propre condition.
La Boétie estime, tout comme Rousseau, que la liberté est l'état naturel des hommes, alors forcément toute entrave y serait par définition contre nature et effectivement on peut se demander si le fait même d'avoir des dirigeants, aussi lointains soient-ils de nos vies quotidiennes, n'est-ce pas une forme d'asservissement ? Je dis volontairement dirigeants et non tyran comme La Boétie car beaucoup de ce qu'il décrit et dénonce s'applique aisément de nos jours à ceux que l'on appelle simplement « dirigeants » ou « présidents ».
C'est pourquoi c'est un texte dont la résonance est intemporelle, hormis les références antiques, sa substance et les des idées qui y sont développées sont terriblement actuelles, et le seront, je pense, tant que les hommes vivront sur terre.
On lit et l'on ne peut s'empêcher de penser, pourquoi acceptons par simple habitude, par résignation, par passivité, le pouvoir de ceux qui ne nous font aucun bien ? Et combien de dictateurs dans le monde pourraient être renversés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire si seulement leurs peuples se rendaient compte qu'ils leur sont supérieurs en force et en nombre ? C'est vertigineux.
Bref, c'est un texte qui ouvre une quantité de réflexion sur la nature de l'homme et sur nos sociétés, un texte passionnant, fondateur et que tout citoyen éclairé, ou qui veut l'être, devrait lire !
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Je n'avais jamais lu ce classique de l'histoire des idées, c'est chose faite. Ce petit livre est très marqué par son époque dans son style d'écriture, mais le propos n'a pas pris une ride. Concernant le style, Étienne de la Boétie s'adresse à son lecteur presque comme au cours d'une conversation : il multiplie les exemples, digresse, revient à un argument déjà évoqué, au point que ces détours rendent la structure de l'ouvrage difficile à appréhender. Non que cela rende la lecture déplaisante ou le propos obscur, mais on est loin d'une démonstration au sens propre du terme. Une autre marque de l'époque, propre à sa culture dominante, est le recours systématique à des exemples tirés de l'Antiquité. de nombreux commentateurs ont remarqué que cela permettait également à l'auteur de s'éviter les foudres de ceux de ses contemporains qu'il visait plus ou moins directement.

Le Discours de la serviture volontaire est un grand texte, écrit par un tout jeune homme qui y fait preuve d'une étonnante maturité. Si je peux me permettre un conseil (de lecture), il sera utilement complété par Lune noire, petit livre de John Steinbeck qui me semble illustrer parfaitement le propos de la Boétie, quelques quatre cents ans plus tard.
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La Boétie nous renvoie à la figure la responsabilité de la propagation de la tyrannie, par degrés, de la participation au premier cercle autour du tyran jusqu'à la banale servitude volontaire.
Enfin s'il n'est pas recommandé de fomenter la mort du tyran, le simple acte de désobéissance civile n'est pas sans conséquences. La longue introduction de la présente édition du Discours de la Boétie rappelle le contexte de la révolte des paysans contre la perception de la gabelle et la terrible répression qui s'en est suivie.
Mais l'idée est là, c'est la révolution non violente. Elle est déjà assez audacieuse pour que son ami Montaigne craigne et s'abstienne de publier le manuscrit à la mort de la Boétie. Heureusement d'autres s'en chargeront.
La désobéissance, dans le contexte qui nous intéresse, est une question de dignité. Un autre texte prolonge le Discours de la Boétie en soulignant ce moment particulier où quiconque ressent nécessairement l'humiliation. Mais passé ce cap, on peut s'attendre au pire de celui ou celle qui en prendra le parti.
L'actualité de tel personnage de l'extrême droite qui arrive ou approche du pouvoir, montre qu'il y a un problème de discernement. Je suis toujours frappé par cette phrase complice, à la clé de la propagation de la peste brune : « j'ai des amis qui ont des bonnes raisons pour voter pour un tel personnage ».
Alors, à ceux qui ne voient pas le rapport entre les menaces actuelles des nouvelles formes de fascisme et l'histoire récente, à quoi bon citer La Boétie avec ses histoires de tyrans sortis de l'antiquité ?
Il reste que le courage des héros des Lumières est aussi capable d'enclencher l'enthousiasme de proche en proche, pour remonter la pente et sortir des nouvelles formes de servitude volontaire.
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