Décidément la Normandie peut, à juste titre, s'enorgueillir de ses écrivains.
Et Jean de la Varende en est une des figures les plus brillantes et prestigieuses.
Ce joli petit ouvrage, édité à Rouen chez Defontaine, en apporte, s'il en était encore besoin, la preuve éclatante.
Ces sept nouvelles, qui n'ont de contes que le nom, sont magnifiques.
Elles sont ciselées de mots et racontées de belle manière.
L'amour, l'amitié, la pitié et le courage y décrivent une tendre et dérisoire humanité.
Ces quelques textes, parfois froids comme la mort, sont à glacer le sang.
Ce beau livre est, de plus, enrichi par quelques illustrations que l'on doit au talent de Pierre le Trividic. Certaines sont très réussies.
"Le roi Gradlon"
Vous pensez connaître, avoir déjà entendu ou lu, à maintes reprises, la terrible histoire d'Ys la voluptueuse et de son roi Gradlon.
Mais dans ce premier texte, sous la plume de Jean de la Varende, le récit s'éclaire.
Il semble neuf.
La grande ville étincelle à nouveau, au pied du Menez-Hom où reposent les dieux...
"Je vous le donne"
Cette nouvelle est le récit d'un instant, rare, puissant et fugitif, durant lequel un enfant blond au doux visage de fille va se transformer en roi.
Le jeune Léopard a du sang.
Il saura se montrer, à la fois, magnanime et implacable, courageux et sage...
"La déesse Raison"
C'est un drame de l'amour, un drame de sang où la guillotine dresse son ombre terrifiante.
Mme de Falleville est prête à tous les reniements pour sauver l'homme qu'elle aime. Mais le peut-elle encore ?...
"Le dîner de la Fosse"
C'est le texte le plus long du recueil. Il en est le centre. Il en redéfinit le rythme.
C'est une magnifique histoire d'amitié et de trahison.
Monsieur de Saint-Jacques Ligeard et Anthelme Lardusson sont deux amis de trente ans.
L'un, devenu gentilhomme de grand' route, est chouan.
L'autre, promu par la toute nouvelle république, est administrateur du département.
C'est la troisième fois qu'ils s'attablent ensemble depuis la "guerre".
Saint Jacques rapporte les 200 pistoles que lui a prêtés son ami.
Soupçonné par son camp d'avoir trahi, il est chargé d'une mission.
Lorsque l'ivresse vient, qui ne peut réchauffer ni la froideur du bleu, ni la violence du blanc, une dernière partie de carte est proposée : la tête de Saint-Jacques est jouée ! sur le valet de coeur, ou su' le pique !...
"La pleureuse"
Jean de la Varende fait le portrait d'une femme, d'une paysanne, de la "pleureuse".
Cette femme, noble et altière, toujours vêtue de noir, emboîtant le pas de la faucheuse, va "prier".
C'est à dire qu'elle porte dans les maisons du pays les invitations aux funérailles.
Pourtant autrefois lors des bals champêtres, en compagnie du fils aîné de la grande ferme, elle attirait tous les regards...
"Epiphanie"
Ce morceau de bravoure, qui fait immanquablement penser à "
Crainquebille" d'
Anatole France, s'ouvre sur la description époustouflante d'un chemineau, d'un "tracheux" qui va de par les routes normandes, mendiant un morceau de pain, un verre de vin, une pièce de vingt sous et le droit pour un soir de se "musser" entre les bottes de paille de la grange...
"Noël de guerre"
C'est le dernier texte, peut-être le plus personnel.
Jean de la Varende y évoque son père, officier de marine qu'il n'a pas connu.
Il ne faut pas, la veille de Noël, prier pour les morts, parce qu'alors, ils reviennent.
Dans son château qui n'est plus que ruines, écrasé par la solitude, il jeta une grosse bûche noueuse dans la cheminée.
Et disposa les sièges.
Pour l'arrière grand-père c'était facile, son fauteuil, après 80 ans, était encore à l'honneur.
Pour la grand' tante, il sortit la bergère qu'elle avait brodée.
Pour son père, il rendit la "fumeuse", une chaise qu'on chevauchait en croisant ses bras sur le dossier.
La nuit s'annonçant redoutable, il sentit qu'il les ramenait....