Je vois venir avec angoisse le moment où je n'aurais plus aucun roman de
Marie-Hélène Lafon à découvrir.
Cet instant où je ne voudrais rien d'autre que ses
histoires, si simples en apparences, souvent tristes et toujours belles et son style à nul autre pareil, clair et limpide comme ces eaux de source qui courent les contes, les légendes ou le Cantal et où je n'aurai rien pour étancher ma soif. Bien sûr, je relirai encore et encore, et l'enchantement sera le même, mais il ne vaudra pas cet ineffable plaisir d'ouvrir un livre dont on sait avec certitude qu'on l'aimera pour la toute première fois.
Heureusement, il m'en reste encore deux ou trois qui m'attendent et je retarde l'inéluctable. Ce n'est pas si difficile, en réalité, quand l'appartement déborde de romans qui n'attendent que moi et l'intérêt que je daignerai leur accorder.
Il n'empêche... J'ai relu "
Les Pays" et je me suis sentie obligée de me jeter sur le tout premier roman de la dame d'Aurillac.
Je viens donc de finir "
Le Soir du Chien" et je crois bien que je vais pleurer. Encore. Toujours avec
Marie-Hélène Lafon.
C'était beau, tellement beau. Beau et triste, comme Laurent qui regarde Marlène s'en aller, comme Laurent quand il a compris, le fameux soir du chien, ce soir qu'il n'oubliera pas.
C'est une
histoire simple, un peu comme dans les films de
Claude Sautet. Une histoire d'amour qui naît puis qui meurt.
L'histoire aussi d'un village du Cantal et de ceux qui l'habitent, avec leurs murmures et leurs fêlures, leurs espoirs et leurs regrets.
Cela pourrait être banal, mais ça ne l'est pas, ça ne l'est jamais. Surtout pas avec
Marie-Hélène Lafon, dont la langue faussement épurée et économe raconte si bien la beauté, la solitude et l'âpreté, la rudesse des paysages et celles de ses personnages.
Laurent a trente ans, il rencontre Marlène, belle et cabossée, qui en a dix-huit. Entre eux, c'est une évidence, de celle qui ne se présente pas deux fois. Ce n'est jamais pareil la deuxième fois... le temps des rose, l'apothéose ne renaissent jamais de le même couleur.
Les deux amants s'installent dans le village de Laurent, dans la maison d'en haut, une maison de famille qui laisse entrer la lumière à flots. Leur histoire fait bien grincer quelques dents, elle fait parler. Ils sont comme ça les gens ici, ils racontent, ils commentent, surtout si la femme n'est pas d'ici, surtout si elle ne veut pas d'enfant. Laurent et Marlène, eux, s'en fichent. Ils sont heureux.
Jusqu'au soir du chien.
Il y a la beauté et la tristesse de cette histoire.
Il y a sa narration aussi: c'est Laurent qui nous fait le récit de ce que fut cet amour là, poignant, déchirant, simple. Toutefois, d'autres voix parfois se mêlent à son récit et tout en parlant des amoureux de la "maison du haut", ils nous parlent d'eux aussi. de ce qui leur fait du bien ou de ce qui leur fait mal.
A travers cette narration plurielle, l'auteure, non contente de nous offrir comme un cadeau le récit d'une douloureuse histoire d'amour fait aussi la part belle au Cantal, à ce monde rural qu'elle semble porter en elle, ce monde âpre où
les paysages étreignent de désarmantes solitudes. Roland, l'ami de Laurent est de celles-ci et ça fait un mal de chien.
Un roman beau comme une chanson un peu folk, un peu triste qu'on réécoute à l'infini, comme la voix de Kate Rusby sur "The farmer's toast" et celle de Bibio qui berce mes nuits d'hiver quand il chante "Curls".
Et si c'était ça finalement la grâce?