Cette modeste critique concerne la totalité de cette bande dessinée, même si elle suit la lecture de « Pourvu que les Bouddhistes se trompent », dernier opus et tome 4 de la série Blast.
On espère qu'ils se trompent, en effet car comme l'enseigne Maître
Thich Nhat Hanh :
« La notion de réincarnation est populaire pour plusieurs raisons : d'abord il semble que certains individus qui nuisent aux autres par leur comportement ne souffrent pas du tout ; c'est une forme d'injustice, il faudrait donc qu'il y ait une vie future pour que ces gens puissent en quelque sorte payer en échange du mal qu'ils ont commis. »
Le mal commis par Polza Mancini ?
Cette bande dessinée est une descente aux enfers qui ne rentre dans aucune case connue.
Manu Larcenet est assez génial, on le savait avec « retour à la terre » et là il s'est livré à l'écriture d'une impressionnante histoire fleuve, torrentielle, charriant son lot de limon et de déchets.
Mancini expérimente la drogue, la violence, le sexe, navigue entre raison et folie, entre humanité et bestialité, monstruosité même.
Sommes-nous en présence d'une séance de psychanalyse menée par deux flics ? D'un récit halluciné ?
Noir tout est noir dans ce récit, jusqu'aux planches mâtinées de touches de gris.
Et au milieu de tout cela, les couleurs affreuses des moment de « Blast » qui signifie selon les Nord-américains : « a destructive wave of highly compressed air spreading outwards from an explosion ».
A moins que l'on ne préfère la définition médicale :
« Ensemble des lésions organiques provoquées par l'onde de choc d'une explosion »
C'est un peu des deux pour ces moments qui rythment les pérégrinations de ce marginal monstrueux à travers champs . . . cherchant la liberté dans la solitude et ... le Blast.
L'auteur se livre à une habile démonstration picturale et narrative, une espèce de leçon graphique sur un thème imposé : la folie. Ces sombres personnages aux traits vraiment bizarres, entrent dans l'imaginaire du lecteur avec force et y restent pour un moment, dans toute leur laideur, avec tous les détails les plus repoussants de leurs corps souvent difformes, reflet de leurs âmes torturées. En cela, cette BD est remarquable car si on extrait une planche isolée et qu'on demande à un quidam (comme moi) qu'en penses-tu ? il y a de fortes chances qu'il réponde : « c'est moche ». Simplement.
Et pourtant, cela finit par fonctionner. Pourquoi ? Parce que c'est comme un roman dont il faut accepter l'immersion préalable avant d'en apprécier le déroulement.
Manu Larcenet s'autorise même, en contrepoint à la noirceur de l'histoire racontée, à croquer avec une finesse et un réalisme sidérant la nature, les bois, les animaux. Il nous balade en nous faisant savoir qu'il le fait sciemment. C'est étonnant, détonnant.
Cette série se lit
presque en apnée. le lecteur, pris dans ce maelstrom malsain, ne cesse de se demander où se situe la vérité, du côté de Polza ou de ses interrogateurs ?
Il faudra attendre la fin de cette fable dérangeante et déroutante pour avoir le droit de continuer à s'interroger sur la nature et les critères de jugement de la santé mentale de certains habitants de ce monde . . . tous ?