"Les contes du soleil et de la brume" ne sont pas de simples anecdotes, de courtes historiettes comme on en trouve, trop souvent, dans nombre de recueils de légendes.
Ce serait réduire l'oeuvre d'Anatole Le Braz de la considérer comme "folkloriste".
L'auteur de ce livre fait oeuvre de la littérature la plus fine, la plus élégante qui soit.
Et le costume d'écrivain régionaliste lui semble bien étriqué.
Fils d'une race superstitieuse, peut-être superstitieux lui-même, c'est le Parnasse de la Bretagne.
Il parcourt le "Pays" et, la transcrivant de sa magnifique plume, recueille la voix de ses enfants.
Ce recueil est articulé autour de trois grandes parties dont les titres sont évocateurs : "Paysages de légende", "Nuits d'apparitions" et "Equipées de printemps".
C'est, à Kernitron de Lanmeur, un soir d'août, par la voix de la vieille Jacquette Craz, filandière de son métier qu'Anatole Le Braz nous fait découvrir l'histoire de la reine Tryphine ...
Le deuxième interlocuteur est un marin paysan, Job Kervégan.
Il vient prendre l'écrivain, à la gare d'Audierne, avec sa carriole, par un petit matin gris de la Toussaint et lui conte l'histoire de ces marins de Laoual, étant une nuit à pêcher le congre, qui remontèrent dans leurs filets la croix de pierre du calvaire de Penn-an-Néac'h.
N'avez-vous jamais entendu dire que la baie des trépassés fut, aux temps anciens, la grande rue de Ker-Is ? ...
Les "Contes du soleil et de la brume" est un ouvrage passionnant, foisonnant de rencontres dont la plus étonnante est sûrement celle avec le propre fils de Yann-he-Grok qui, ayant eu enfant le poignet droit coupé par le sabre d'un gabelou, devint l'esprit même de la contrebande bretonne ...
Anatole Le Braz nous offre des descriptions belles à couper le souffle.
Le récit vient parfois de la nuit des temps, souvent de la vie quotidienne.
Empreint, comme l'âme bretonne de merveiIleux, de religieux et de fantastique, il est toujours rehaussé par l'accent du conteur et par la plume de l'écrivain.
Ce vénérable volume, paru en 1922 aux éditions de la librairie Delagrave à Paris, enserre, dans chacune de ses pages, au détour de chacune de ses lignes, tout l'imaginaire du peuple breton.
Anatole Le Braz, de son propre aveu, est le dernier songeur que hante encore le spectre mélancolique du passé ...
Ce livre est magnifique, précieux et indispensable.
Commenter  J’apprécie         400
C'est un livre sur une Bretagne oubliée : celle des superstitions, des croyances religieuses et des histoires extraordinaires. L'auteur est connu pour ses recueils de légendes (Légende de la Mort en Bretagne, que je n'ai pas lu). Il offre dans ce recueil neuf histoires singulières de son pays. J'ai particulièrement aimé celle intitulée "La Foire grasse" qui est aussi la seule qui ne soit pas fantastique. La pérégrination de trois Bretons sans le sou à la foire de Tréguier est charmante et pleine de folie.
Commenter  J’apprécie         00
"L'enfer, le trou des damnés," murmura Gaïd Alain.
Au centre de la baie, vers le large, se dresse l'îlot abrupt de Tovinok, que couronne un phare, seul point occupé de cette côte sinistre.
Les deux gardiens qui y vivent emmurés dans leur tour de pierre assistent fréquemment, s'il faut en croire la légende, à des scènes fantastiques dont ils aimeraient autant n'être pas les témoins.
Ils partagent, en effet, cet écueil avec le muet "batelier des âmes".
Les nuits de tourmente, quand souffle le "Kornog", ils le voient dans sa barque en forme de cercueil, empiler les uns sur les autres les cadavres errants des noyés que poussent vers lui les vagues et qu'il recueille à mesure tout ruisselants ...
Plogoff. Il est près de onze heures et demie. Le Sanctus tinte, la grand'messe va finir. Assis sur la margelle de l'échalier qui donne accès dans le cimetière, j'achève de noter la physionomie du bourg.
Une dizaine de maisons tout au plus, pêle-mêle et comme en tas, basses, trapues, solidement enracinées dans le sol, tournant uniformément le dos à la mer.
Une branche d'ajonc desséché sert d'enseigne à une auberge.
C'est ici un des derniers villages de France, du côté de l'Atlantique ; au delà, il n'y a plus rien que deux ou trois kilomètres de terres pauvres plongeant à pic dans l'immensité ...
Tréguier a versé dans la dévotion et s'est en quelque sorte faite nonne dans ses innombrables couvents. C'est du reste le destin des vieilles villes, comme des vieilles femmes, de se retirer du monde et de s'embéguiner. (La foire grasse)