Tanith Lee a été pour moi bien plus qu'une simple découverte, ça a été une véritable rencontre ; et les prémices de mon voyage à travers son oeuvre, une singulière et salutaire révélation.
Peu enclin à lire de la fantasy, je me suis toujours cantonné à mon genre de prédilection : la science-fiction - la SF, comme on dit -, sous toutes ses coutures.
Quelquefois, j'ai dérogé à la règle, à de rares exceptions près. Ainsi, Conan de
Robert E. Howard et plus tard Bilbo le Hobbit de
Tolkien ont eu mes faveurs. Et bien que ce fût à chaque fois une expérience heureuse, jamais je ne suis allé au-delà, pas même vers les grands classiques. Il y a bien eu l'univers colossale de
Jack Vance mais ici on effleure davantage la fantasy qu'on ne l'explore réellement, en dépit du nom de science-fantasy qu'on attribu à son oeuvre...
Tanith Lee, j'ai fait sa connaissance avec le génialissime La Saga d'Uasti, une trilogie qui a marqué ma conscience - durablement - et qui est à l'origine de cette fameuse révélation.
L'ennui est que l'auteure étant décédée et, de surcroît, peu traduite à l'époque et donc peu connue en France, les rares titres parus ne sont pas réédités du tout. Aussi est-il difficile voire impossible de s'atteler à la lecture de son oeuvre plus que riche puisque trouver ses livres en occasion relève de la gageure.
Mais venons-en à Cyrion.
Nous suivons Roilant, un jeune seigneur parcourant les terres d'Héruzala à la recherche d'un dénommé Cyrion. Au cours d'une halte dans une auberge, le brave homme fait la connaissance de personnages pour le moins extravagants, lesquels le rejoignent successivement à sa table où le vin coule à flot et profitent de sa générosité en échange d'informations précieuses permettant de localiser le dit Cyrion, éternel voyageur.
Chaque invité s'improvise alors conteur et se lance dans un récit retraçant une aventure rocambolesque du mystérieux nomade. Au fil des histoires, est brossé le portrait d'un héros charismatique possédant un don exceptionnel pour se tirer de situations inextricables, un don tel qu'il dépasse l'entendement. Mais comme les coupes de vin se vident, les renseignements finissent par se tarir. Et Roilant de commencer à douter : ce héros après lequel il court est-il un mythe ou une réalité.
Au moment où le doute achève de convaincre le pauvre bougre de la vacuité de ses efforts, voilà que la légende en personne pointe le bout de son nez. C'est l'occasion enfin pour Roilant de confier au fameux Cyrion sa propre histoire et les raisons pour lesquelles il était à sa recherche. Et le héros blond - sa senestre chargée de bagues - d'apprendre que le jeune seigneur requiert ses services pour une affaire ô combien délicate...
Le résumé augure une aventure pleine de péripéties, de voyages remuants, et c'est le cas. le roman se divise en deux parties, bien distinctes, à ce point distinctes, qu'il existe deux prologues. Une première dans un livre, en tout cas pour moi, en tant que lecteur.
La première partie, comme on peut s'en douter, se compose de courtes histoires narrant les exploits de l'intrigant et nonchalant Cyrion, un aventurier aux allures de nomade qui parcourt les terres d'Héruzala après Dieu seul sait quoi, profitant au passage de la force de son esprit indomptable et de la furtivité de sa lame pour jouer au redresseur de torts et secourir la veuve et l'orphelin... sans omettre de faire chavirer le coeur de la première.
Cyrion, c'est un peu Robin des bois mais au lieu de redistribuer les gains issus de forfaitures, il redonne liberté et dignité aux opprimés faisant appel à ses services. Et j'ai bien dit : "jouer au redresseur de torts", car à en juger par son attitude débonnaire et cette nonchalance presque provoquante tant ses motivations comme ses actions, si elles sont nobles et efficaces, ne souffrent d'aucun zèle, d'aucune prétention ; à en juger tout cela, on se demande bien ce qui motive le bonhomme. Ce Cyrion, c'est la coolitude incarnée qui, brusquement, bourgeonne en une espèce d'impétuosité, de fougue combative ; un berserker la rage en moins mais cependant invincible. de même, il porte sa beauté avec une grâce féline - de lynx dixit l'auteur -, d'un air si détaché que ça frise l'arrogance. Et c'est ce qui fait sa force, que dis-je ! sa puissance.
Par moment, il m'a fait penser à des héros célèbres de l'animation japonaise : à un Cobra de "Space Adventure Cobra", à un erzat moins allumé de Nicky Larson, à un Vash the Stampede de "Trigun", à un Spike de "Cowboy Bebop". le genre de mâle alpha badass, invincible, qui ne fait strictement aucun effort pour entretenir cette image aux yeux des autres, sa manière d'être étant juste naturelle. Un modèle masculin parfait dans toute sa splendeur que l'auteure explore avec habileté et un indéniable amusement.
Et c'est ce personnage charismatique et surtout sa grande sagacité qui fait tout le charme du livre. En dehors du fait, bien entendu, que les histoires sont superbement bien écrites. Dans le fond comme dans la forme,
Tanith Lee livre des récits palpitants, aux rebondissements et twists quelquefois improbables mais toujours jouissifs. On est en plein Rocambole ! Cependant, les intrigues sont fortes, dotées d'enjeux solides et de personnages bien incarnés.
A préciser toutefois que l'on baigne davantage dans la sword and sorcery que dans la fantasy à proprement parler. On côtoie davantage Conan que
le Seigneur des Anneaux. Et puis, il y a ce côté enquêtes policières auxquelles se livre le bondissant Cyrion. Et là, on est en plein Cluedo !
Agatha Christie,
Arthur Conan Doyle et même Columbo ne sont pas loin...
Enfin, le style est juste remarquable. Il y a une qualité d'écriture qui frôle la leçon. En tout cas, pour l'amoureux des mots que je suis et pour toutes personnes ayant pour passion l'écriture. C'est un style très littéraire, un texte teinté de poésie tout en prose, accessible, et nourrissant pour l'intellect.
Tanith Lee est une amoureuse du beau langage en plus d'être une très grande conteuse, et la lecture de ses livres est rafraîchissante. On est en plein extase !
La seconde partie, pour être honnête, est un peu moins réussie. En fait, le problème ne vient pas du fond mais de la forme. En effet, si cette dernière intrigue - point d'orgue aux aventures rocambolesques de ce brave Cyrion - est digne d'intérêt et les personnages gravitant autour de lui convainquants, c'est le style qui pêche. le récit de cette chasse aux sorcières est mené avec cette même poésie tout en prose sauf que cette fois le style est quelque peu ampoulé. Déjà que l'histoire traîne un petit peu en longueur, cela n'arrange rien. Au cours de cette seconde partie, le livre a failli me tomber des mains plusieurs fois, non pas d'ennui mais du fait des nombreuses lourdeurs qui apesantissent le rythme. Si la première partie était très bien écrite, la seconde est trop ! bien écrite. Tout est trop dans cette dernière aventure. Même Cyrion est super cheaté, indestructible. Il vire au Egar de la cambriole avec ses déguisements multiples. C'est littéralement abusé. Les ficelles sont énormes et la résolution de cette ultime enquête apparaît capillotracté. Si le plaisir demeure cependant, il épuise le lecteur à qui il tarde de voir le fin mot de l'histoire. Une fin qui laisse un peu à désirer dans la mesure où l'on n'apprend pas grand-chose sur le devenir de Cyrion, tout comme ses origines et ses motivations ne seront jamais dévoilées.
En fin de compte c'est peut-être là que se trouve la grandeur du personnage, dans son aura de mystère, dans l'absence de réponse aux nombreuses questions qui subsistent dans la conscience du lecteur et qui, comme ce fût le cas pour Roilant, lui font se demander si les histoires que l'on vient de lui conter n'appartiennent pas aux mythes.
Malgré ce petit écueil, Cyrion est un roman d'aventure formidable, mêlant avec habileté et générosité le genre Sword and Sorcery à l'esprit des contes des Mille et Une Nuits.
Tanith Lee maîtrise son sujet de bout en bout, disons-le, et donne vie à un des héros de fantasy les plus charismatiques et fascinants que le genre connaisse. Elle surpasse voire surclasse bon nombre de ses confrères masculins, sa sensibilité féminine est un plus indéniable pour la caractérisation des personnages - les deux sexes sont traités avec le même soin -, pour les thèmes abordés et pour le déroulement d'une intrigue.
Ce petit bout de femme était une auteure extraordinaire et je lui dois aujourd'hui de porter à la fantasy un intérêt et un attachement similaires à ceux que je porte à la science-fiction.
Merci donc madame
Tanith Lee,
J'ai grande hâte de vous lire à nouveau.