"
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" que je viens de terminer, est l'unique roman d'une américaine et un chef d'oeuvre intemporel, publié dans les années soixante. En Alabama, le vieux sud profond américain, dans la petite ville de Maycomb, pendant la grande dépression des années trente, Scout, une petite fille délurée, garçon manqué, nous entraîne avec son frère et un copain, dans le menu de ses aventures cocasses, farces-attrape, à chat perché, qui n'appartiennent qu'à l'enfance, mélange sauvageon d'espièglerie, de fraîcheur et de gravité.
Il serait difficile de résumer ce livre qui à lui seul résume une Amérique datée et pourtant terriblement actuelle, à suivre les récents événements meurtriers de Charlestown. le roman se construit autour du procès d'un noir accusé de viol, que décide de défendre Atticus, père de Scout, avocat austère et humaniste, contre l'opinion générale de la ville, faisant même physiquement barrage à une tentative de lynchage.
Ici se conjuguent les traits caractéristiques, anachroniques, disparates et contrastés d'une Amérique complexe, multiple, où pèsent le religieux, la morale puritaine d'une bonne société corsetée, et la courageuse loyauté de ceux qui défendent les droits civiques. La bible dans une main, le fusil dans l'autre, la loi du Far-West, du plus fort et de la violence raciale, et la majesté de la Constitution, table de la loi inscrite dans le marbre pour tous citoyens indistinctement américains. Il y a du Lincoln dans la grandeur d'Atticus qui joue sa carrière et son honneur contre une société ségrégationniste.
En contre point, se mêle la tendresse bourrue et sévère de la servante noire Calpurnia, au rituel d'un office méthodiste qui rassemble chaque dimanche la communauté noire, auquel sont conviés les enfants, que berce la nostalgie des spirituals.
Plus loin, se mélangent la curiosité cocasse des enfants, et la majesté codifiée, minutieuse d'un procès où se joue la vie d'un noir. Aucun lyrisme dans le récit, aucun oublie, aucun écart, mais le regarde précis, froid, juridictionnel, analytique d'une adulte qui revit les émotions d'une enfant que bouleversent les minutes de la mise à mort d'un noir.
Tout est dit dans ce diable de roman, inclassable et exceptionnel de
Harper Lee, inépuisable et dont je ne donne qu'un aperçu sommaire, tant il est complexe, multiple, sans manichéisme ni cynisme, sociologiquement, narrativement, représentatif d'une époque et d'une société, et pourtant sans rides et sans frontière sur notre humaine condition, voire profondément militant par son humanisme pour la défense des droits civiques et de la condition féminine, sorte de miroir vertigineux où se reconnait une Amérique de la contre-culture, au point d'en faire désormais un classique scolaire.
Il fraye autant avec la noirceur d'un roman faulknerien, le vertige de "Belove" de T. Morison, qu'avec la cocasse drôlerie d'un Tom Sawyer. Roman de l'enfance, roman à hauteur d'homme, roman unique et universel d'une femme qui aurait l'élégance et la tendresse de l'écriture toute féminine des "Fleurs de lune", roman lui aussi unique de
Jetta Carleton.
En somme la pesanteur et la grâce, étonnement américaine.