Sérénade pour un cerveau musicien/
Pierre Lemarquis
Voilà un livre très intéressant et original.
Après un exposé historique (référence à
Platon) et un rappel anatomique, l'auteur nous propose dans son ouvrage construit en cinq parties comme une sérénade de faire le tour des interactions entre cerveau et musique puis entre langage et musique.
de nombreuses anecdotes musicales viennent émailler le discours, comme celle qui explique que la Petite Musique de Nuit de Mozart est une sérénade dont une page a été arrachée : d'où la réduction à quatre des mouvements de cette composition.
« Il n'est rien dans la nature de si sensible, de si dur, de si furieux
Dont la musique ne change pour quelques instants le caractère
L'Homme qui n'a pas de musique en lui
Et qui n'est pas ému par le concert des sons harmonieux
Est propre aux trahisons, aux perfidies et aux rapines ; Ne vous fiez pas à un tel homme ! »
Ces vers sont de
Shakespeare dans «
le Marchand de Venise ».
En bref, quels sont les thèmes abordés ?
Le cerveau musical existe selon l'auteur : la perte de la parole (aphasie) n'entraine pas le perte du sens musical. le sens de la musique est véhiculé par des circuits cérébraux spécialisés. Il cite des exemples célèbres pour illustrer ce propos. Inversement, il peut y avoir perte du sens musical sans perte du langage.
Par ailleurs, tout montre que le sens de la mélodie se situe dans l'hémisphère droit et celui de l'harmonie dans l'hémisphère gauche.
Donc, « la musique correspond à une faculté humaine distincte, autonome, mettant en jeu un dispositif neuronal spécifique, isolable dans le cerveau. »
La plasticité du cortex auditif permet l'apprentissage de la musique qui sera d'autant plus facile dans l'enfance, comme l'apprentissage d'une langue étrangère.
Quelle définition donner à la musique ? Suivons l'auteur : « Il s'agit d'un art, don des muses, mais d'un art combinatoire d'une science consistant à arranger et ordonner les sons, mais aussi les silences, au cours du temps, le rythme étant le support de la combinaison temporelle, la hauteur et le timbre celle de la combinaison fréquentielle, la mélodie celle de la succession des sons de hauteurs différentes, l'harmonie celle de la superposition de sons simultanés. » C'est précis et complet
Suit un chapitre très complet sur le chant des oiseaux, qui sont après les mammifères, les vertébrés dont l'encéphale est le plus développé par rapport à la taille de l'animal.
Ensuite est mise en évidence le fait que la musique renforce le pouvoir émotionnel d'un film.
Ce pouvoir a abouti à l'apparition de la musicothérapie, qui est « centrée sur l'écoute en utilisant les propriétés émotionnelles de la musique qui parvient par des techniques de relaxation sous induction musicale à améliorer les états d'angoisse, de nervosité, de stress, d'insomnie, et à lutter contres les maladies psychosomatiques. »
Plus loin, on apprend avec surprise que ce n'est pas avec les doigts que les grands artistes comme Vladimir Horowitz,
Arthur Rubinstein,
Glenn Gould et d'autres jouent du piano, mais avec le cerveau ; ils sont capables de répéter simplement par imagerie mentale motrice dans n'importe quelles circonstances.
Dans un chapitre intitulé « Musique et résilience », l'auteur nous montre le rôle de la musique dans la résilience au vieillissement avec des exemples surprenants, ceux de Bach et Beethoven qui ont produit leur chef d'oeuvre devenu aveugle pour l'un et sourd pour l'autre.
Sur Bach :
« À mesure que sa vue l'abandonne, sa pensée musicale gagne en acuité pour sonder des abîmes infinis. La structure même du canon (Variations Goldberg-Offrande Musicale-Art de le fugue- Variations canoniques-Messe en Si) , qui superpose des phrases musicales isomorphes préfigure les mathématiques des fractales et la théorie du chaos, considérée comme à la base des processus biologiques les plus intimes et des lois qui régissent l'univers. »
Les oeuvres les plus abouties de Beethoven, comme l'opus 106 (sonate pour piano Hammerklavier), ou le dernier mouvement de l'opus 111 (32é sonate pour piano) ou encore l'opus 120 (Variations Diabelli) et aussi les derniers quatuors à cordes, montrent que la surdité a renforcé l'imagination musicale du compositeur.
En conclusion, il est évident que « la musique agit sur les émotions et sur les différents types de mémoires, tant épisodique que sémantique et unie à la danse, elle stimule la mémoire procédurale ; elle permet de maintenir un lien social, une communication, une représentation de soi et constitue une braise de résilience. »
Un excellent ouvrage facile à lire.