Apres Alamut, j'ai voulu rester dans l'ambiance avec ce
Samarcande.
Deux histoires dans ce livre. Differentes, sans grand rapport si ce n'est une meme geographie, deux
romans en fait, lies par un fil assez tenu: un manuscrit des quatrains d'
Omar Khayyam.
Une premiere partie nous conte la vie du lettre-poete, dans la bouillonnante Perse du XIe siecle, ses amours, ses rapports avec le pouvoir comme avec les dissidents (d'un cote le grand vizir Nizam el Moulk, et face a lui le chef de la secte des Assassins Hassan ibn Sabbah, tous deux deja magistralement portreyes dans Alamut). Il laisse a sa mort un manuscrit de ses quatrains, les Roubaiyat, annote par lui, en mains de Hassan.
Deuxieme partie, deuxieme histoire, un americain feru de la poesie de
Khayyam, part au debut du XXe siecle a la recherche de ce manuscrit, et se retrouve mele au renversement d'un Shah, a un essai de democratie, bientot reduit a rien par les puissances internationales (en ce cas, la Russie et l'Angleterre). Et evidemment s'amourache d'une belle princesse.
La premiere partie n'arrive pas a la cheville d'Alamut et la deuxieme n'est pas epoustouflante non plus. Ce n'est pas bien grave, la plume d'
Amin Maalouf est assez fluide et la lecture de ce livre peut etre tres agreable.
Qu'est-ce qui m'a gene, alors? Qui a fini par m'irriter? La surenchere d'images en stereo, typees, stereotypees. Ah! “
Samarcande, la plus belle face que la Terre ait jamais tournée vers le soleil!” Ah! Et toutes les autres villes, toutes legendaires, aux noms exotiques repetes comme une litanie, Merv, Balkh et Rayy qui n'existent plus, et la docte Nishapour, et Trebizonde, et Kom, et Khomein, et Ahvaz, et le sanctuaire de Shah-Abdoul-Azim. Des noms qui doivent nous transporter, synonymes de souks achalandes grouillants de marchands d'epices et d'ivrognes poursuivis, avec le kalyan qu'on fume en temps de paix, et les pleureurs professionnels, les roze-khwan, en temps plus noirs. Ah! Et les yeux en amande, toujours profonds, des princesses, au dessus de leurs voiles. Enivrement! Ah! le halo romantique des harems mysterieux! La feerie des vers declames sous le ciel etoile du desert! Extase! Je tombe en catalepsie! Maalouf, lui, tombe en plein dans la crevasse, dans le trou orientaliste qu'avait denonce
Edward Said. C'est du
Pierre Loti cent ans apres, forcement en moins bien. C'est du Tintin au pays de l'or noir. Un orientalisme abusif, trompeur, injuste pour l'Orient comme pour l'Occident, sterile.
Bon, je me suis lache, ca va mieux maintenant. Calme, je peux donc accorder un bon point a Maalouf pour son eclaircissement sur la provenance du nom des Assassins (meme s'il se contredit lui-meme en ce seul paragraphe): “On a accrédité la thèse qu'ils agissaient sous l'effet du haschisch. Marco Polo a popularisé cette idée en Occident ; leurs ennemis dans le monde musulman les ont parfois appelés haschichiyoun, « fumeurs de haschisch », pour les déconsidérer ; certains orientalistes ont cru voir dans ce terme l'origine du mot « assassin » qui est devenu, dans plusieurs langues européennes, synonyme de meurtrier. le mythe des « Assassins » n'en a été que plus terrifiant. La vérité est autre. D'après les textes qui nous sont parvenus d'Alamout, Hassan aimait à appeler ses adeptes Assassiyoun, ceux qui sont fidèles au Assass, au « Fondement » de la foi, et c'est ce mot, mal compris des voyageurs étrangers, qui a semblé avoir des relents de haschisch. […] En dépit d'une tradition tenace et séduisante, il faut se rendre à l'évidence : les Assassins n'avaient pas d'autre drogue qu'une foi sans nuances”. Qui c'etait qui avait dit que la religion est l'opium du peuple?
En definitive, un livre qui se lit facilement. Je m'excite, je m'enerve, mais je concede: ca se laisse lire (pas juste apres Alamut, ne pas refaire mon erreur). Et comme je connais la panacee a mes sautes d'humeur, je lirai d'autres oeuvres de Maalouf.