«
Sauvage est celui qui se sauve » est une citation empruntée aux carnets de Léonard de Vinci.
Sublime dans cette orée d'une filiation spéculative, «
Sauvage est celui qui se sauve » est un livre de résilience. Un hommage au frère disparu Shin Do Mabardi, né en Corée aux environs de 1966. Adopté par une famille tribu, Babel, en Belgique en 1971.
Shin Do prend place dans ce récit véridique, main dans la main avec sa soeur : l'autrice,
Véronika Mabardi.
« Doucement, avec la rage. le bruit pourrait effrayer les oiseaux. Un jour il apparaît. Ça aurait pu être un autre. C'est lui. »
Shin Do est un enfant vif, pensif, tourmenté et rêveur. Petit être coquillage, au passé trop court. Abandonné par sa mère, le flou pour mémoire. Il devine pourtant le fil qui ne cédera pas à la matrice. Apprivoisé, bercé, choyé et aimé par sa maman adoptive qui devine la faim, le manque.
« Il est absorbé tout entier par la nourriture. Il a eu faim, pas besoin de le dire. »
Véronika Mabardi conte son frère. Ce lien magnétique, fusionnel et intrinsèque. La coopération de la famille, soudée face aux regards , petites mesquineries. Comme s'il s'agissait d'une adoption marginale. Ses parents ont des enfants. Pourquoi donc adopter ?
Tel est le regard d'une société empreinte dans le conventionnel schéma.
Shin Do se cherche, grandit dans cette ubiquité. Les souvenirs rémanence, mais prégnants et indésirables. Fragilisant la croissance, heurtant les passions. L'enfant dont la soeur est divinement éprise. La famille s'adapte. Elle berce l'enfant, le pousse dans le dos, le cherche, toujours caché sous les meubles et les silences. Prise de risque, les faiblesses et les écueils d'une Alcazar en épreuve . Ne pas baisser les bras, laissez venir l'oiseau au monde. La tendresse est un champ de blé qui chante de par le vent. Les larmes sont utiles et guerrières. Les sourires, les fleuves infinis et langoureux. L'antre, un berceau qui va combler toute les pièces de la maison, couleur rouge ou grise. Qu'importe ! L'as de coeur remporte la mise sur tous les préjugés du monde.
« Le monde est vaste, dit le père, il y a assez de gens biens pour ne pas avoir besoin de perdre son temps avec les imbéciles. »
« Le monde change et on est dedans. »
Sauvage, Shin Do teste, affronte, se heurte, funambule sur le fil de sa propre destinée. Vulnérable mais fort, manichéen et bouleversant. Véronika ne cède rien face aux digues ravageuses. Soeur siamoise, déesse protectrice, et la douleur, en elle, vacille.
L'incompréhension du chaos à venir. Shin Do est instable, joue aux balles avec l'invisibilité. Disparaître des yeux du monde à l'instar de lui-même.
« Plus d'histoires qui finissent bien. Tout se recouvre de cellophane. »
Il est écorché vif. Modèle de ses mains, ses furies intestines. Étrangle ses souffrances en glaise et céramique. Rassemble l'épars des chefs-d'oeuvres terre-mère. Il est lave volcanique, mer salée, peau douce et coquille. Affronte ses limites à corps et à cris.
« Il est un pont entre deux mondes. »
Ses mots sont des myriades d'oiseaux en plein vol. Véronika est l'arche de
Noé.
« Il dit que sa vie est une aberration. »
La trame est rédemptrice, maternante et désirable. Il peint. Accroche le pictural sur les toits sans frontières, « affronte l'ombre et le blanc ».
Exutoire tremblant d'incertitudes, « vivre en morceaux ». Il faut qu'il s'apaise, se berce, accepte son identité, le choix du monde et les siens, immensément aimants, lucides et apeurés dans un même tempo.
« Ce qui est important, c'est la terre , les pots. Ça commence avec les dessins, mais le but, c'est les pots. »
Le symbole claque comme du linge frais en plein vent, à l'envers des marées et des normalités. Quêter l'identité au vaste de l'horizon. Construire sa vie et se méfier des fissures. Shin Do Mabardi, artiste des lumières, frère abysse et porte ouverte.
Mémoriel, initiatique, émouvant et marée-basse. Ce chant pour le frère, cet hymne d'amour est l'empreinte de la majestueuse adoption universelle. Sensible, délicat, essentiel, d'ombre et de lumière, le miracle de la littérature.
Son travail reçoit le prix de la fondation Juliette Passeux, quelques semaines avant son décès, en 1997.
En lice pour le prix Hors Concours 2022/2023 des Éditions Indépendantes. Publié par les majeures Esperluète Éditions.