Comme j'ai adoré ce roman de Robin MacArthur ! J'ai arpenté les montagnes du Vermont en me laissant porter par la très belle histoire de trois générations de femmes, Lena, Bonnie et Vale. J'ai marché au même rythme que j'ai tourné les pages du livre chapitre après chapitre, près de la rivière et des bois, le long des champs et de la maison. le Heart Spring Mountain, la source du coeur, est là, toute proche. J'ai entendu l'écho de ces femmes par-dessus la fureur de l'ouragan qui s'abat en ce mois d'aôut 2011 durant lequel Bonnie disparaît. Pour tenter de la retrouver, sa fille Vale partie en Louisane revient au pays en s'installant dans la cabane de sa grand-mère Léna où elle découvre ses carnets cachés écrits en 1956.
L'histoire familiale nourrie de césures et d'amour en complète communion avec la beauté fissurée d'une nature en danger m'a conquise. Je vivais au rythme des confidences de Léna et des recherches de Vale pour retrouver Bonnie. J'ai aimé se dessiner petit à petit l'arbre de vie d'une famille qui remonte jusqu'aux premiers Abénakis malgré le refoulement de l'identité amérindienne. Un arbre généalogique un peu bancal, où l'absence des hommes le plus souvent partis à la guerre est une cicatrice dans la nervure mais leur présence reste profondément ancrée dans le coeur de ces femmes courageuses et aimantes. Vale coud les plaies de
la femme anti-conformiste marginalisée, de l'épouse bafouée et de la mère défaillante dépendante aux drogues pour nouer l'écorce de cet arbre d'origine. Sur une terre à aimer et à préserver pour que chacun puisse continuer à l'arpenter et à l'admirer. A y vivre.
J'ai aimé la délicatesse de Vale à respecter ce qui est, à sauver aussi ce qui peut l'être encore sur la fine branche de l'arbre qui est la sienne pour irriguer à nouveau les liens de sa famille.
L'écriture de Robin Mac Arthur est rayonnante, belle et optimiste malgré le contexte assez terrifiant. J'ai trouvé ce roman moins sombre que les nouvelles « le coeur sauvage » . Son écriture est sincère sans être alarmiste, elle dit notre vigilance à prendre soin de notre environnement comme s'il s'agissait d'un membre de notre famille avant que des catastrophes sanitaires ou environnementales aient totalement raison de nous. C'est un très beau roman aux accents métaphysiques sur les origines et notre place sur la planète. Absolument adoré !
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On sait aujourd'hui, grâce à des études récentes (et moins récentes), que les traumatismes des générations précédentes peuvent être transmis aux générations suivantes. Ce postulat habite le roman de Robin MacArthur, Les Femmes de Heart Spring Montain. Les non-dits, les secrets inavoués pèseront lourdement sur plusieurs générations de femmes que nous présente cette belle histoire. Divisé en un prologue (Bonnie) et trois parties (La Rivière, Les Bois, Les Champs), le roman est composé de brefs chapitres, titrés par le nom d'un personnage et datés, ce qui s'avère plus que nécessaire à cause des sauts entre les personnages et les époques. On suivra alternativement, plus ou moins régulièrement, sept personnages : Bonnie (en focalisation dans le prologue seulement), puis Haezel, Deb, Stephen, Danny (quelques chapitres vers la fin), Vale, et Lena qui est la seule à s'exprimer à la première personne. Leurs liens de parenté sont importants, et j'ai dû faire un arbre généalogique au fur et à mesure de ma lecture parce que je m'y perdais…
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En 1803, Ezekial Wood et sa femme Zipporah s'installent dans le Vermont et baptisent Heart Spring Montain l'endroit où ils ont choisi d'établir leur ferme. Leur fils Pierre et sa femme Louise auront un fils : Henry Wood. Il prendra pour épouse Marie, une femme brune, aux longs cheveux tressés, qui n'a pas vraiment le physique des femmes de colons… Ils auront une fille, Jessie (je ne me souviens pas du nom de son mari), qui meurt alors que ses filles, Haezel et Lena, sont encore très jeunes. Nous sommes maintenant parmi les personnages principaux du roman qui se déroule entre 1956 et 2011. Haezel épouse Lex et donne naissance à Stephen. Lena aura une enfant, Bonnie ; le nom de son père est un des non-dits de cette histoire. Bonnie aura une fille, Vale, avec… avec ? elle ne sait pas trop qui. Son cousin Stephen aura un fils, Danny, avec Deb, venue dans la région rejoindre une communauté hippie fin des années 60, début des années 70, et décidant de s'y installer. Le prologue présente Bonnie, paumée, droguée, errant sur un pont pendant l'ouragan Irène qui a causé d'énormes dégâts dans l'Est des États-Unis pendant l'été 2011, et qui a dévasté une bonne partie du Vermont et de la Nouvelle-Angleterre. Dans le premier chapitre, Vale, qui vit à la Nouvelle-Orléans depuis huit ans, est prévenue de la disparition de sa mère par un coup de téléphone de Deb. Elle décide alors de retourner dans le Vermont pour y retrouver Bonnie, morte ou vivante.
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J'ai aimé ce livre pour les portraits de femmes qu'il donne à voir : tant de destins brisés, tant de courage pour s'en sortir, tant d'échecs et tant de résilience font d'elles des personnages attachants ou, à tout le moins, pour lesquels on ne peut qu'éprouver de l'empathie. L'originalité de Lena, sa solitude choisie, sa communion avec la nature en font une femme remarquablement moderne, comme Deb, d'ailleurs, qui a su conserver son idéal hippie sans le dévoyer malgré la vie rude qu'il lui impose. Le courage d'Haezel et sa générosité touchent au cœur les générations suivantes et lui confèrent longtemps le rôle du port d'attache. Bonnie, la plus désespérée, n'en finit pas de se perdre, de répéter ses erreurs, jusqu'à cette disparition pendant l'ouragan Irène. Malgré tous ses problèmes, elle donne à sa fille, Vale, tout l'amour qu'elle est capable de donner. C'est elle qui m'a touchée le plus, Vale, qui, en tentant de retrouver sa mère, va percer à jour des secrets de famille qui donnent les clés du présent. J'ai aimé aussi ces personnages pour leur attachement à leur morceau de pays, attachement qui n'empêche nullement la lucidité. J'ai beaucoup apprécié l'écriture, hachée parfois, parfois ample et lyrique, toujours précise. Probablement un grand roman !
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Touchant, poétique, il évoque le passage destructeur d’un ouragan sur la région et, en filigrane, des histoires de famille, racontées par trois générations de femmes.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Un beau roman qui accorde une grande place à la nature, à l’héritage de ses ancêtres et aux secrets de famille profondément enfouis.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Le violoneux, c’est Lex. L’homme aux yeux couleur de fougère, à peine bordés de noir. Quand il joue, on dirait que son corps se détache du sol, seulement relié à la terre par un fil électrique courant de son orteil gauche au sommet de son crâne. Il tournoie autour de ce fil, tanguant légèrement, tremblant, se baissant, transporté, épanoui. La plupart du temps, ses yeux sont fermés, mais il lui arrive de regarder les danseurs et là il sourit, un sourire pareil à l’explosion d’une ampoule électrique dans cette salle tout en bois où nous dansons, où les hommes sont si tendus et les femmes si raides, le visage impassible, mais quand l’ampoule explose, l’espace d’un instant on a tous l’air tellement beaux que j’ai l’impression de pouvoir me métamorphoser en quelque chose que je n’étais pas auparavant : un faucon, une braise, les pétales épars d’une rose du Venezuela.
Dans quel vide culturel on vit, hein? dit-il au bout de quelques minutes. Chacun doit chercher sa voie. Trouver tout seul un sens au monde. Quel travail ça représente, quand on y réfléchit...
29 novembre 2011
Ces jours sont les plus courts de l’année. N’aurait-on pas droit à un peu de lumière ?
Deb range le téléviseur et le magnétoscope à l’arrière de son pick-up, et descend au pied de la montagne les installer chez Hazel. Elle a loué L’insoutenable légèreté de l’être, qu’elle n’a pas revu depuis vingt ans. Vale et elle ont besoin de quelque chose d’exaltant, qui les transporte. Dev veut remonter le temps et s’identifier à Sabina, artiste mélancolique, bohémienne et solitaire par choix ; voir un film sur une période terrible de l’Histoire et se rappeler comment on survit à une tragédie. L’art comme modèle.
« Ça, tu connais ? » demande-t-elle comment Vale arrive.
La jeune femme secoue la tête.
Deb met des olives dans un bol. Leur sert à chacune un verre de vin français. Vale prend le sien. Hume le bouquet. Sourit et dit : « Éclaire ma lanterne. »
Ne voulant pas réveiller Hazel, elles s’asseyent à la table de la cuisine pour regarder le film. Tout se passe pendant l’invasion des chars soviétiques à Prague en 1968. Sexualité, politique, capacité des individus à se rencontrer dans l’obscurité. Sur l’écran : Léna Olin dans le rôle de Sabina, qui se déshabille, un chapeau sur la tête. Juliette Binoche jeune, qui photographie l’occupation soviétique. 1968 : à plus d’un titre, Deb regrette le sentiment d’urgence qui régnait cette année-là. Sa pleine conscience des buts qu’elle poursuivait alors, de la voie qu’elle avait choisi de suivre. L’élan de résistance – contre la guerre, contre le racisme – de toute une génération, son engagement politique.
Les femmes de Heart Spring Mountain – Robin MacArthur
Elle ne connaît rien à la guerre. Sa douleur à elle vient de différentes blessures, mais toute douleur n’est-elle pas plus ou moins de la même couleur ? Bleutée, violacée. Courant dans nos veines. Reconnaissable dans cette pièce. (p. 145)
Et les enfants de Danny, ceux de Vale : qui seront-ils et de quel monde hériteront-ils ? Y aura-t-il des fruits pour les petits-enfants, encore à naître, de Deb, dans cette région où les hivers sont devenus si imprévisibles ?