Les arts du silence de
Gérard Macé traitent de la pantomime, du
cinéma muet, du cirque. Trois formes d'expression entre lesquelles il établit une filiation magique. Arts de l'enfance, lanterne d'un imaginaire à jamais perdu, ils sont, dans l'histoire de la représentation, terme ici à double sens, à l'origine des nôtres. On pourrait presque parler, comme dans les récits médiévaux, d'«enfances» de l'art. de la scène au «rond» du cirque et jusqu'aux arrière-salles obscures où, sur une toile tendue, ont été projetés les premiers récits animés qui relèvent de la fondation mythique d'une nouvelle ère, celle des images,
Gérard Macé s'interroge aussi sur l'essence de la poésie.
On rapporte que c'est un poète aphone, Livius Andronicus, qui inventa à Rome la pantomime. Mais c'est Gaspard Deburau qui fut le grand créateur de cet art en inventant la figure de Pierrot. Pierrot fascina la seconde partie du XIXe siècle, de
Baudelaire à Mallarmé, en passant par
Théodore de Banville et plus tard Laforgue et les décadents qui en firent une figure spleenétique aussi présente que celle d'Hamlet. Personnage blanc, sorti de la tombe de la littérature, Pierrot prêta sa plume à plus d'un poète et illustrateur. Enfant du Paradis, il trouva en
Jean-Louis Barrault l'un de ses derniers représentants, l'un de ses ultimes stylistes, capable d'envelopper le monde dans un geste et, sous les yeux des spectateurs, de le faire d'un seul coup disparaître.
De la pantomime au cirque, de Pierrot au clown blanc, le spectacle continue. le cirque est pour Macé un art poétique. Son cirque, c'est celui des impressionnistes, celui de Degas, où les écuyères sont moins obsédées de la performance que du style, où les trapézistes dessinent de paradoxaux idéogrammes sous le ciel étoilé et où les dompteurs tentent, contre les lois de nature, de réussir «la paix dans la jungle», en faisant coexister pacifiquement les races ennemies. Microcosme à l'écart de la société, le cirque parle d'un autre temps où, au fil des «numéros» qui doivent s'enchaîner avec la perfection des vers d'un sonnet, se dessine un univers perdu, celui de l'enfance. Tel le cirque privé du baron Molier qui, vers 1880, pour une unique représentation annuelle, était réservé à l'aristocratie, qui pouvait, le temps d'un numéro, abandonner le frac pour le débardeur d'un hercule de foire, l'habit rouge d'un cavalier ou le costume étoilé d'un clown.
C'est comme spectacle forain que commença le cinématographe, héritant immédiatement de cette riche culture, dont
Raymond Roussel a aussi recueilli de nombreux éléments, et qui fut préparé par les théâtres d'ombres comme celui du célèbre Chat noir. La beauté du geste, les expressions mélodramatiques du cinéma muet ont édifié toute une poésie non verbale de l'émotion. Comme le remarque
Gérard Macé, ces «histoires sans paroles» que diffusaient l'ORTF ont répété à leur manière la fondation d'un monde. de la préhistoire muette des images animées au parlant, se reconstruit une nouvelle légende de l'humanité. Péplum, cirques romains, pantomime, tout y revient pour un dernier tour de piste, avant que l'on découvre, dans Sunset Boulevard, le singe du cirque allongé dans un cercueil, et qu'on entende enfin
Buster Keaton parler, mais alors pour ne rien dire.
Reste l'enfance, mémoire à reconstruire sans cesse auquel
Gérard Macé consacre aussi le Singe et le miroir. Reste encore des livres comme celui-ci, exhumé du «royaume des morts, où des âmes errantes continuent de nous hanter comme si elles étaient encore à la recherche d'une sépulture». Ce royaume silencieux a pour nom: bibliothèque, Macé en est l'aventurier exemplaire, poète en prose, héritier des Divagations de Mallarmé et du
Parti pris des choses de
Francis Ponge.
Jean-Didier WAGNEUR
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