J'ai reçu
Mère à mère de
Sindiwe Magona grâce à la Masse Critique du site Babelio (que je remercie pour cet envoi!). Même si ce roman m'a parfois posé quelques difficultés, je dois souligner qu'il s'agit d'un grand texte, militant à souhait et surtout plein d'humanité.
Ce roman, inspiré d'un fait divers réel, interroge une période trouble de l'histoire de l'Afrique du Sud, tente de la comprendre. En août 1993, à l'aube des premières élections démocratiques, une jeune étudiante américaine blanche – Amy Biehl – venue aider les habitants du pays en vue de ces grands changements, est attaquée et tuée par une foule de jeunes Noirs dans les rues de Guguletu (l'un des townships de la banlieue du Cap construits pour assurer la ségrégation de la population noire à l'extérieur de la ville). le meurtre de cette jeune femme a fait couler beaucoup d'encre, mais
Sindiwe Magona adopte un angle inédit : plutôt que de raconter l'histoire de la victime, elle tâche de comprendre ce qui a façonné un jeune Sud-africain au point de le transformer en assassin. Cette interrogation est l'occasion de replonger dans le passé tourmenté du pays, particulièrement dans l'histoire de l'apartheid.
Sorte de roman épistolaire,
Mère à mère est une longue lettre où la mère de l'assassin, Mandisa, s'adresse à la mère de la victime. Elle espère, par cette lettre, témoigner sa compassion à cette mère endeuillée, mais aussi expliquer (sans excuser) le geste de son fils. Elle y raconte donc sa vie, son enfance, et en filigrane l'histoire de son pays. Témoignage direct de cette période tumultueuse, le récit à la première personne revêt un ton particulièrement authentique qui confère toute sa puissance au texte.
À travers le récit de Mandisa, nous vivons l'apartheid depuis l'intérieur. Dans son enfance, la narratrice a ainsi été témoin et victime des débuts de la ségrégation, avec la création des townships et l'expulsion de la population noire des villes vers les banlieues. La fresque de l'apartheid se dessine sous nos yeux tandis qu'on assiste à ce que le gouvernement a infligé à la communauté noire du Cap. Mandisa nous raconte la violence de l'apartheid mais surtout la haine montante envers les Blancs et ceux accusés de soutenir ce gouvernement ségrégationniste. Ce livre, c'est donc une fenêtre ouverte bienvenue sur un pan complet mais encore trop peu abordé de l'histoire sud-africaine.
Le témoignage de Mandisa nous livre aussi une autre histoire, celle de sa vie, non moins tragique que celle de son pays. Elle nous raconte alors ce qu'est qu'être une femme et une Noire pendant la seconde moitié du XXème siècle en Afrique du Sud. Elle nous apprend que le « deuxième sexe » n'y est encore qu'une propriété, celle de la famille de son père d'abord, puis de celle de son mari. Mais
Mère à mère (tout est dans le titre) est surtout un roman sur la maternité. À travers sa relation particulière avec son fils aîné, bien qu'il soit devenu un assassin, elle nous dit ce qu'est qu'être mère. le roman est alors empreint d'une grande tendresse et d'une grande humanité.
Le contexte dans lequel Mandisa écrit à la mère de la victime est donc un contexte très troublé. À la veille des premières élections véritablement démocratiques, le chaos règne dans les rues des townships. le peuple est sur le qui-vive, galvanisé, révolté. Il lutte contre le gouvernement qui l'a oppressé. La violence s'avère vite le seul moyen qu'il lui reste pour s'exprimer, pour contester ; elle happe tout et tout le monde sur son passage. le chaos qui règne donne beaucoup de justesse au récit, mais transparaît aussi beaucoup dans le texte, qui est alors parfois assez ardu à lire.
Mère à mère est un roman très dense, qui m'a donné un peu de fil à retordre parfois. Dans sa lettre, Mandisa raconte son passé et son présent. Si je n'ai eu aucun problème avec le récit de son histoire jusqu'à ce jour, celui du présent m'a semblé particulièrement long. En effet, il se concentre sur la seule journée où le meurtre a été commis. Une impression de longueur m'a donc souvent saisie au cours de ma lecture, que j'ai failli abandonner à plusieurs reprises. Heureusement, mon intérêt pour le fond historique a pris le pas sur mes difficultés.
Mère à mère de
Sindiwe Magona est un roman troublant et puissant. L'autrice s'affirme comme une grande voix de l'Afrique du Sud, son pays, et de son histoire. Sans jugement, elle raconte l'apartheid, la violence, et nous invite à nous interroger sur ce pan de l'histoire contemporaine.
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