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Jean Malaquais (Traducteur)André Maurois (Préfacier, etc.)
EAN : 9782226182302
665 pages
Albin Michel (12/12/2007)
4.13/5   132 notes
Résumé :
Provocateur, iconoclaste, talentueux, Norman Mailer a été l'un des enfants terribles de la littérature américaine tout comme l'observateur subversif d'un pays dont il n'a cessé de condamner les dérives. Lorsqu'il publie Les Nus et les Morts en 1948, il n'a que vingt-cinq ans mais a déjà vécu l'expérience de la guerre. Traduit en 25 langues, ce récit fulgurant de réalisme et de révolte, qui met en scène des hommes envoyés en mission derrière les lignes japonaises pou... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Les nus et les morts est incontestablement l'un des plus grands romans sur l'enfer de la guerre du Pacifique. Portrait impitoyable de l'horreur de la guerre, plongeant dans les méandres de la jungle insalubre au climat tropical, envahie de moustiques, de serpents, d'araignées venimeuses, mille dangers supplémentaires alors que les soldats américains sont déjà confrontés à la férocité et au fanatisme des Japonais. Destins croisés de plusieurs officiers et sous-officiers aux tempéraments différents, aux idéaux contraires, entraînant leurs hommes à la limite de leurs capacités morales et physiques. Road trip militaire infernal ou le respect de l'ennemi semble oublié, tant par son comportement réciproque abominable, que par la violence psychologique à laquelle sont soumis en permanence ces hommes face au péril omniprésent de la mort qui rôde à chaque instant. L'auteur ayant lui-même vécu ce conflit, ne fait pas dans la dentelle dénonçant sans ambiguïté par ces mises en situation la bêtise indicible de la guerre, confrontant ses idées à la réalité de son temps avec un contraste intellectuel parfois désinvolte.
ce roman au caractère épique par sa longueur, reste avant tout un témoignage terrifiant sur la nature de ce conflit sans concession et un magnifique hommage à tous ces hommes partis loin de chez eux défendre des bouts d'îlots inconnus d'eux sans savoir souvent pourquoi.
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Un livre immense. Mailer nous entraîne dans le sillage d'une escouade d'hommes de l'armée US dans une île en plein Pacifique lors de la seconde guerre mondiale against les Japonais. le pouvoir d'évocation de Mailer est absolu. On y est, on est ces gens, on ressent tout, les descriptions sont haletantes, poignantes, ce livre vit, grouille, tousse, peine, souffre tant... La guerre est une abomination, y être entraîné est une abomination, les jeux de pouvoir, échecs garantis, sont une abomination... et ça pourquoi une lutte contre une abomination... On est dans le corps mais aussi dans la tête de chacun des personnages, qui tour à tour est développé, structure narrative intelligente et plaisante, les rapports avec les femmes, entre races, religions, philosophies, classes sociales... Toutes les pensées et le langage tient forme, tout est intéressant, tout est utile. Si ce livre est épais, il l'est absolument. Rien à jeter.
A moins de détester ou de se désintéresser de toutes les thématiques (in-)humaines ce livre deviendra une de vos références.
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Une oeuvre qui de par sa folie et sa démesure s'avére le parfait reflet de ce qu'est un conlit millitaire. Ces étres innocents sont embarqués dans une barbarie qui tout en détruisant les corps n'épargne pas les ames et brisent tout ceux qui lui sont confrontés. La démesure de Mailer trouve sa parfaite expression dans ce contexte ou la raison déserte totalement le terrain au profit de la loi du métal qui déchire les chairs et les ames. Une expérience unique qui marque durablement le lecteur.
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Ce roman de Mailer est impitoyable.
En cela, il n'aurait rien malheureusement de bien original car toutes les guerres sont horribles. Déjà "A l'Ouest rien de Nouveau" ou "les Croix de bois" en décrivaient toutes les horreurs.
Ces hommes impliqués dans un conflit qui les dépasse totalement ne cherchent qu'à survivre en tachant de s'épauler, en supportant autant l'ennemi que leur hiérarchie et en adoptant les misérables artifices de la virilité. Là où Mailer surpasse ses prédécesseurs, c'est que son écriture intense prend aux tripes et devient totalement immersive.
Ce roman fut brillamment adapté au cinéma par l'immense Raoul Walsh avec un casting impeccable mais les deux supports livre et film pour une fois réussirent à rendre toute l'intensité de cette folie absolue dans laquelle l'homme ne cesse de se noyer.

J'ai eu la chance de rencontrer un jour Norman Mailer. Je suis parti à toute vitesse dans la première librairie venue pour courir acheter "Des nus et des morts" et lui demander de me le dédicacer. Ce qu'il fit très gentiment. Un beau souvenir...
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Peut-être M. Mailer ne devrait-il pas être condamné pour avoir tenté de réduire par un assaut frontal ce que de meilleurs écrivains n'ont pas réussi à gagner par infiltration. "Les nus et les morts - l'histoire d'une bataille imaginaire dans le Pacifique - claironne sa réponse poussiéreuse à la brutalité de la guerre moderne. Sans aucun doute le roman le plus ambitieux à être écrit sur le récent conflit, c'est aussi le plus impitoyablement honnête. Même dans sa répétitivité, sa verbosité et sa suranalyse du motif, il est une performance imposante par un jeune homme de 25 ans dont les dons sont impressionnants et dont les échecs sont une question d'ambition.

Les nus et les morts est un roman extrêmement long, emporté par les eaux agitées de la désillusion, ne laissant aucune place à l'imagination. Il s'agit pratiquement d'un rapport Kinsey sur le comportement sexuel du GI. Les soldats de M. Mailer sont de vraies personnes, parlant la langue vernaculaire de l'amertume et de l'agonie humaines. Il dégage une lueur céleste assez fidèle au spectre de la bataille et expose le sang, sinon toujours les tripes, de la guerre. Pourtant, malgré toute sa virtuosité, ses canonnades émotionnelles assourdissantes, c'est avant tout une série d'escarmouches brillantes; l'objectif central n'est jamais atteint.

D'une part, nous ne savons pas exactement quel est l'objectif. M. Mailer n'aime évidemment pas la guerre, ni les gens qui combattent, mais ce n'est pas un thème original. Il s'efforce de montrer qu'une grande partie de son désagrément vient de la nature des participants, et que leur nature, à son tour, est déformée par les circonstances inévitables dans les conditions de la guerre et le climat d'une organisation militaire. Mais pas entièrement.

La génération qui a atteint l'âge adulte à la veille de la dernière guerre n'était pas idéale pour sauver le monde pour la démocratie. Il avait été gâché par la dépression. Ses minorités - deux des personnages sont juifs, un mexicain-américain - n'avaient pas encore été pleinement assimilées au rêve national. Même les groupes dominants représentaient des intérêts sectoriels et économiques concurrents. Au calme, les écarts sont réglables. A la guerre, pense M. Mailer, elles s'intensifient, car le système donne aux hommes des degrés de pouvoir sans précédent. Comment le GI - dans ses moments les moins vertueux - a obtenu ce qu'il a fait, est le sujet de ce roman.

La bataille est vue à travers les yeux d'un seul peloton, plus un major et un général. . Unité combattante, les hommes sont un ensemble d'individus. Chacun est étudié, dans des flashbacks écrits avec précision, comme le produit d'un certain environnement. S'il y a le moindre doute que M. Mailer est un écrivain perspicace et habile, ces vignettes le dissiperont. En revanche, le récit principal est souvent lent ; trop d'ennui de la guerre est traduit littéralement ; le lien entre le passé des personnages et leur existence au combat est parfois mince. de plus, le général, dont dépend une si grande partie de la motivation de l'histoire, est clairement une version sur-intellectualisée d'un fasciste, ni convaincante ni typique.

Ce sont des défauts, mais ils enlèvent peu à la puissance globale du livre. La scène dans laquelle Gallagher continue de recevoir des lettres de sa femme décédée - écrites avant qu'elle ne meure en couches mais livrées pendant un mois après qu'il en ait été informé; la mort de Wilson, parmi les plus prenantes de toute la littérature de guerre ; l'effort inutile et sadique de la part du sergent de peloton. Crofts pour amener ses hommes à escalader une montagne - ce sont des moments qui touchent profondément le coeur de la guerre. Ils sont un triomphe du réalisme, mais sans la compassion qui donne l'autorité finale dans le domaine de la conduite humaine.

Les nus et les morts n'est pas un grand livre, mais il témoigne incontestablement d'un talent nouveau (à l'époque de sa parution) et significatif chez les romanciers américains.

Lien : http://holophernes.over-blog..
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critiques presse (1)
LeFigaro
06 février 2023
L’expérience lui inspirera Les Nus et les Morts, énorme roman qui doit beaucoup aux récits de ses camarades: son incorporation s’est surtout déroulée dans les cuisines. Succès colossal, immédiat.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Voici un livre dur, déplaisant, parfois irritant, mais inoubliable. Un livre imparfait, mais un grand livre. Les critiques américains pensent que ce roman de Norman Mailer est le meilleur qui ait été écrit sur la seconde grande guerre mondiale. On a parlé, à propos de Les Nus et les Morts, de Guerre et Paix, du Verdun de Jules Romains. C’est dire que l’ouvrage est important. Que les propos des personnages de Mailer fussent brutaux, obscènes, était inévitable. Les soldats américains de cette guerre parlaient un langage qui ressemblait à celui des soldats français de Week-end à Zuydcoote. Tout au plus peut-on dire que Norman Mailer s’est complu à retenir le pire. Mais le parti pris est un droit de Vartiste. Quand le roman fut publié en Angleterre, quelques ligues vertueuses s’émurent et demandèrent l’interdiction. L’attorney general refusa. L’intention de corrompre était évidemment absente et la qualité de l’œuvre justifiait le ton.
L’auteur n’a que vingt-sept ans, étant né en 1923.. Il vécut toute son enfance à Brooklyn, ce faubourg de New York qui est à la fois Belleville, Ménilmontant et la partie le plus internationale du Marais. Un Brooklyn boy, ces mots évoquent des idées de force populaire, d’indépendance, parfois de révolte. Passer de Brooklyn à Harvard, comme le fit celui-ci, c’est passer directement de la rue des Francs-Bourgeois à l’Ecole normale supérieure. Norman Mailer était entré dans la grande université voisine de Boston pour y préparer un diplôme d’ingénieur aéronautique. En fait il y fit peu de sciences et beaucoup d’amis. A dix-huit ans, il obtint le prix annuel du magazine Story, pour la meilleure nouvelle écrite par un étudiant. De cette période de sa vie lui restent plusieurs romans inédits et qui peut-être le resteront, sur la vie juive à Brooklyn.
En 1944, il fut mobilisé. D’un jeune intellectuel arrogant, trop sûr de lui-même, l’armée fit un G. I., simple soldat dans un peloton de douze hommes. Ce fut un choc, et une révélation. Très vite il éprouva le désir d’écrire un roman de guerre. Envoyé aux Philippines, il fut téléphoniste de batterie, interprète de photographies aériennes, mais ces postes à l’arrière ne lui permettaient pas d’observer l’homme au combat. Il demanda à partir comme volontaire pour la campagne de Luzon et fut transféré à une Intelligence and Reconnaissance Unit. Là il était au premier rang d’orchestre. Il vit beaucoup et bien. Chaque semaine, il écrivait à sa femme cinq ou six lettres ; c’était sa manière de prendre des notes. De 1946 à 1947, d’après ces notes, il rédigea un roman. Celui-ci parut en 1948 et tint longtemps la tête de la liste, des best-sellers, obtenant à la fois un grand succès de public et l’admiration des techniciens.
Norman Mailer a vécu quelques mois à Paris avec sa femme, suivant des cours à la Sorbonne et jouissant de l’admirable liberté parisienne : « C’est merveilleux, écrit-il. A Paris, vous pouvez déposer votre fardeau et contempler le ciel gris. Ici, à New York, l’homme est dans une arène romaine. Il tourne en rond, comme un rat, ou comme un personnage des cauchemars de Kafka… » Lors de l’élection présidentielle, Norman Mailer fit campagne pour Wallace et prononça plusieurs discours. Ses opinions politiques transparaissent dans son roman, mais elles n’en sont nullement le thème et les personnages n’en sont pas déformés. Il se défend d’avoir voulu qu’un « message » fût transmis par son livre. Celui-ci inspire l’horreur de la guerre, parce qu’il est impossible de parler de la guerre avec vérité sans en montrer l’horreur, la futilité et la vanité. Norman Mailer peint une guerre sans dignité parce que la guerre moderne est sans dignité.
Le sujet est simple. Un peloton de reconnaissance débarque dans une île du Pacifique, Anopopéi, avec un corps de six mille hommes, sous les ordres du général Cummings. Les Japonais défendent l’île et y ont construit une ligne fortifiée. L’invasion, la longue bataille, les pensées des hommes et des officiers, les destins individuels, voilà le roman. La construction est très adroite, avec une apparente négligence. Avant tout il faut animer le peloton, homme par homme, et rendre le lecteur familier avec chacun des héros. C’est très bien fait, car assez vite nous connaissons le sergent Croft et ses hommes. Pour chacun d’eux, un court chapitre rappelle le passé civil, un passé monotone : querelles des parents, premières expériences sexuelles, mariage, métier. De temps à autre, le chœur des soldats interrompt le récit par une lamentation collective.
En même temps, l’auteur anime les personnages de l’échelon supérieur : le général Cummings (excellent portrait d’un arriviste intelligent, cynique et cruel) ; le major Dalleson (officier d’état-major médiocre) ; le lieutenant Hearn, personnage stendhalien qui cherche à mater le général et qui finira par être tué, victime de la haine de Cummings et de celle du sergent Croft. Car à l’intérieur de la guerre contre les Japonais, une autre guerre se poursuit entre combattants de la même armée. Des soldats antisémites rendent la vie très dure à un soldat juif, Goldstein, qui est affreusement malheureux parce qu’ïl se sent constamment trahi et qui pourtant continue à espérer l’amitié, parce qu’il est affectueux et sans défense.
Tous les sentiments ne sont pas mauvais, loin de là. L’homme de Norman Mailer n est ni ange ni bête. > Il existe une belle solidarité des hommes du peloton, en partie par authentique pitié, en partie par attachement à leur unité, par esprit de corps. Les soldats respectent un officier courageux, qui sait son métier, tout en le craignant et en guettant ses défaillances. Ils ont le sentiment confus de défendre un idéal démocratique. Mais les éclaircies de grandeur sont fugitives. Le fond de ces cœurs est amer. Et comment ne le serait-il pas ? Ils sont là « comme ça », dans une jungle infestée de serpents et de moustiques ; ils savent que beaucoup d’entre eux mourront pour s’emparer de cette île inhumaine, où nul ne peut souhaiter vivre ; ils sentent confusément que l’avancement du général Cummings est le principal objectif de leur campagne et qu’ils seront sacrifiés à cette ambition étoilée ; en outre, presque tous pensent qu’au-delà des mers leurs femmes les trompent parce qu’ils ont vu avec quelle facilité eux-mêmes, au cours de leurs voyages, ont séduit les femmes des autres. Tout cela fait un monde absurde, sinistre et odieux.
Le point culminant du livre, c’est l’odyssée d’un petit groupe d’hommes envoyé par canot, avec le lieutenant Hearn, pour tourner les lignes japonaises et explorer leurs arrières. Cette patrouille se trouve soudain dans un pays fantastique. Soleil brûlant, herbes géantes qui recouvrent entièrement un homme, et au loin le mont Anaka, pic bleu lavande qui domine l’île. La patrouille se heurte aux Japonais qui gardent le col. Que peut faire une poignée d’hommes ? Rien. Mais des jeux complexes de haine et de prestige décident des mouvements de la troupe. Le lieutenant Hearn ne veut pas capituler devant le général ; le sergent Croft veut se débarrasser du lieutenant. On ne fait pas la guerre ; on sauve la face. Pour ces vanités à vif, des hommes mourront en d’atroces souffrances. Tout cet épisode est admirable et poignant.
Puis, soudain, la campagne sera victorieuse et l’île conquise, un jour où, le général Cummings étant absent, le major Dalleson a donné un ordre déraisonnable. Une initiative stupide amène la rupture des lignes. Les Japonais renoncent au combat. Le général revient à temps pour faire le rapport ; il aura, aux yeux du G. Q. G., le bénéfice de la victoire. La patrouille mortelle a été inutile. Les opérations de nettoyage se poursuivent. Mais le générai Cummings a peine à se remettre du choc qu’a été pour lui l’échec de sa stratégie et le succès immérité du major Dalleson. "Il sait, lui, que la victoire d’Anopopéi est due au hasard ; il sait aussi qu’il a tué le lieutenant Hearn en lui assignant cette mission sans espoir, mais il oublie vite cette mort. Déjà il imagine de futures occasions de se distinguer, mais « avec tous ses ennemis au G. Q. G. il n’avait pas beaucoup de chances de décrocher une autre étoile avant les Philippines, auquel cas tout espoir serait perdu d’obtenir le commandement d’une armée avant la fin de la guerre… »
« Un cauchemar réaliste », ont dit certains critiques américains.
« Non », a répondu l’auteur. « Un symbole. »
Un symbole, c’est-à-dire des images employées comme signes d’une idée. Et de quelle idée ? Le conflit entre la bête humaine, dont le premier mouvement reste de tuer, et la petite lumière de charité, d’affection qui de temps à autre brille faiblement dans ces cœurs sombres ? Ou le contraste entre ces pauvres morts en uniforme et les ambitions affreusement nues auxquelles ils ont été immolés ? L’auteur ne le dit pas et il a raison de ne pas le dire. Encore une fois, un roman n’est pas un message. Mais je crois, tous comptes faits, que l’émotion inspirée par le livre est saine. Mars ou la Guerre jugée était un titre d’Alain. Voici la guerre jugée – et condamnée.

André MAUROIS, de l’Académie française.
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– La ferme, dit Croft doucement.

– A quoi bon le torturer, ce pauvre bâtard ? demanda Gallagher.

– Il se plaint pas », dit Croft.

A cet instant, le prisonnier, comme s’il les avait compris, se laissa soudainement tomber sur ses genoux et se mit à sangloter d’une voix de tête. Il avança ses bras d’un geste suppliant et, de temps à autre, il frappait le sol de ses mains, comme s’il désespérait de se faire entendre. Parmi le flot de ses paroles Gallagher crut distinguer quelque chose qui sonnait comme « kououd-saï, kououd-saï ».

La soudaineté avec laquelle le combat avait commencé et pris fin, rendit Gallagher légèrement hystérique. La pitié passagère qu’il avait ressentie pour ïe prisonnier s’était évanouie, remplacée -par une intense irritation. « Assez de cette merde de kououd-saï ! » hurla-t-il au Japonais.

Le soldat se tut pour un moment, puis recommença à plaider. Il y avait un désespoir dans sa voix, qui écorchait la cervelle de Gallagher. « T’as l’air d’un foutre de

Youpin avec toute cette gesticulation, cria-t-il.

– Ça suffit », dit Croft.

Le soldat s’approcha d’eux, et Gallagher regarda avec gêne ses yeux suppliants. Une puissante puanteur de poisson venait de ses vêtements. « Ce qu’ils peuvent puer », dit-il.

Croft ne quittait pas du regard le Japonais. Il était en proie à une vive émotion, car le cartilage se remit à palpiter sous son oreille. Il ne pensait à rien, en réalité ; il était pris par un intense sentiment de frustration. Il était toujours dans l’attente de la rafale que Red aurait dû tirer. Plus intensément que Red, il avait anticipé les sursauts spasmodiques du corps sous la percussion des balles, et d’avoir été deçu dans son attente lui procurait une vive contrariété.

Il regarda sa cigarette, et, obéissant à un mouvement impulsif, il la passa au soldat japonais. « Pourquoi que tu fais ça ? demanda Gallagher.

– Laisse-le fumer. »

Le prisonnier, tira plusieurs bouffées, à la. fois avidement et avec contrainte. Il lançait des regards soupçonneux sur Croft et Gallagher, et la sueur luisait sur ses joues.
« Hé ! toi, dit Croft, assieds-toi. »

Le Japonais le dévisagea d’un air incertain. « Assieds-toi », répéta Croft. Il fit des gestes avec ses mains, et le prisonnier s’accroupit contre un arbre.


« T’as quelque chose à manger ? demanda-t-il à Gallagher.

– J’ai une barre de chocolat, de ma ration.

– Fais voir », dit Croft. Il prit le chocolat que Gallagher lui passait et le donna au Japonais, qui le regardait d’un œil hébété. Croft mima le manger, et le prisonnier, ayant compris, déchira le papier et engloutit le chocolat. « Crédieu, tu parles s’il a faim, fit Croft.

– Pourquoi foutre que tu fais ça ? » demanda Gallagher. Son exaspération le mettait à la limite des larmes. La perte de son chocolat, qu’il avait mis de côté pour la bonne bouche, le peinait ; de plus, il oscillait entre l’irritation qu’il ressentait à l’endroit du prisonnier, et un sentiment involontaire de compassion. « C’est vrai qu’il est maigre, ce con de bâtard », dit-il avec l’accent de supériorité dont il se serait servi pour désigner un roquet qui frissonne sous la pluie ; mais, voyant la dernière trace de son chocolat disparaître dans la bouche du Japonais, il grommela avec colère : « Tu parles d’un sacré nom de Dieu de porc. »

Croft pensait à la nuit où les Japonais avaient essayé de traverser la rivière. Un frémissement s’éveillait au-dedans de son corps, et il reposa sur le prisonnier un long regard. Une puissante émotion l’attirait vers lui, qui lui faisait serrer les dents. Mais il eût été incapable de dire quelle était cette émotion. Il dégagea son bidon et but un coup. Il vit le prisonnier qui l’observait en train de boire, et d’un geste spontané il lui passa le bidon. « Vas-y, bois », dit-il. Il le regarda avaler de longues, avides gorgées.

« Je suis un fils de pute si je sais ce qui te prend », dit Gallagher.

Croft ne répondit pas. Il ne quittait pas des yeux le prisonnier, lequel avait fini de boire. Il y eut des larmes de joie sur le visage du Japonais, et tout à coup il sourit et désigna une des poches de son uniforme. Croft y prit un portefeuille, l’ouvrit. Il y avait là une photographie du soldat japonais en vêtements de civil, et à côté de lui se tenaient sa femme et deux petits enfants avec de rondes figures de poupée. Le Japonais se désigna lui-même, puis il fit deux gestes de ses mains au-dessus du sol pour indiquer la taille de ses enfants.

Gallagher regarda la photographie, et ressentit un serrement de cœur. Le temps d’une seconde il se rappela sa femme, se demandant à quoi ressemblerait son propre enfant. Il se rendit compte avec stupeur que sa femme pouvait être en couches dans ce moment précis. Pour une raison qu’il ne comprit pas, il dit brusquement au Japonais : « Je vas avoir un bébé dans une couple de jours. »

Le prisonnier sourit poliment, et Gallagher, se désignant lui-même d’un geste coléreux, écarta ses mains à la mesure d’un nouveau-né. « Moi, dit-il. Moi.

– Ahhhhhh, fit le prisonnier. Chiisaï !

– Oui, chiis-aille », dit Gallagher.

Le prisonnier secoua la tête avec lenteur, puis sourit de nouveau.

Croft s’approcha de lui, et lui donna une autre cigarette. Le Japonais s’inclina profondément, puis accepta l’allumette. « Arigato, arigato, domo arigato », dit-il.

Croft sentit une intense pulsation battre dans sa tête. Impassiblement, il vit des larmes jaillir dans les yeux du prisonnier, puis il reporta son regard sur la petite clairière, observant une mouche qui bougeait sur les lèvres de l’un des cadavres.

Le prisonnier prit une longue bouffée et s’appuya contre l’arbre. Ses yeux s’étaient fermés, et pour la première fois il y eut une expression rêveuse sur son visage. Croft sentit une tension dilater sa poitrine. Sa bouche devint sèche et amère et avide. Jusqu’alors son esprit était resté complètement vide, mais tout à coup il souleva son fusil et le pointa sur la tête du prisonnier. Gallagher fut sur le point de protester, quand le Japonais ouvrit les yeux.

Le coup de feu lui fit éclater le crâne avant qu’il eût le temps de changer d’expression. Il s’effondra en avant, puis roula sur son côté. Il souriait toujours, mais il avait un air niais maintenant.

Gallagher essaya de parler, mais il en fut incapable. Il ressentit une peur épouvantable, et une fois de plus il songea à sa femme. « Oh ! mon Dieu, sauvez Mary, mon Dieu sauvez Mary », se répétait-il sans penser à la signification de ses mots.

Croft ne quitta pas des yeux le Japonais pendant une longue minute. La pulsation s’atténuait dans sa tête, et la tension refluait de sa poitrine et de sa bouche. Il se rendit soudainement compte que, tout au fond de lui-même, il avait su qu’il allait tuer le prisonnier – qu’il l’avait su dès le moment où il avait renvoyé Red. Il se sentait totalement vide. Le sourire, sur la face de l’homme mort, l’amusait, et il fit entendre un rire trivial qui s’écoula comme un ruisselet de ses lèvres. « Cré nom de Dieu », dit-il. Il pensa de nouveau aux Japonais lors de leur tentative de traverser la rivière, et il poussa du pied le cadavre. « Cré nom de Dieu, dit-il, ce Japonais c’est sûr qu’il est mort heureux, » Le rire, au-dedans de lui, gagna en force.

Pp. 203-206
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À première vue son aspect n’était guère différent de celui des autres généraux en chef. Il était d’une taille légèrement au-dessus de la moyenne, bien en chair, le visage plutôt beau, la peau hâlée, les cheveux grisonnants ; – mais il y avait des différences. Quand il souriait, il ressemblait beaucoup à nombre de sénateurs et d’hommes d’affaires américains, avec leur apparence dure, rougeaude, satisfaite d’elle-même. Mais, lui, il ne gardait pas toujours leur halo de braves types un peu costauds. Il y avait une certaine vacuité dans son visage, la vacuité qui se voit chez les acteurs américains qui jouent les rôles des sénateurs.
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Vous êtes un sot si vous ne comprenez pas que ceci va être le siècle, peut-être le millénaire, de la réaction. C'est la seule chose que Hitler ait dite, qui ne soit pas complètement hystérique.
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Les hommes qui croupissent dans le désœuvrement finissent par s’agiter, par s’ennuyer, au point que la grise succession des jours leur injecte une nouvelle dose de courage. C’est une erreur de relever une compagnie qui n’avance pas. Laissez-la s’enfoncer dans la boue assez longtemps, et elle passera à l’attaque de son propre mouvement.
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