Sublime lecture, un vrai coup de coeur pour ce roman d'aventure et de passion, un magnifique et passionnant roman, servi par une belle plume vive et poétique ! Un très bel hommage à sa Sibérie natale,
Andreï Makine nous retranscrit la rudesse et la beauté de la taïga; les descriptions sont envoûtantes. Il nous embarque dans une traque sans merci, angoissante, haletante, pleine de surprises et à la fois, empreinte d'une grande humanité, dans laquelle traqueurs et traqué ne sont pas à l'abri d'un retournement de situation, ou aucun n'est épargné ni par la nature sauvage ni par les protagonistes embarqués dans cette folle poursuite, et dans laquelle l'évadé extrêmement rusé défie la mort à chaque instant.
«J'assume le commandement politique de l'opération, camarade Boutov !»
Le mot «politique» bien appuyé eut son effet : celui qui donnait l'ordre ,'était plus un vague capitaine Louskass mais le représentant du régime et de sa machine répressive. Pour étayer ses paroles, il sortit son pistolet - laissant comprendre qu'il pouvait s'en servir, et pas seulement contre l'évadé.
Boutov s'immobilisa, la bouche ouverte sur un juron retenu. La peur dans laquelle le pays vivait s'incarna dans sa statue vivante : un militaire qui avait défié la mort pendant quatre ans de guerre et qui devenait un fantoche, un simple «camarade Boutov», un de ceux qu'un mot de Louskass pouvait exposer à des mois d'interrogatoires, à des tortures qui laissaient les prisonniers ongles arrachés et dents cassées, à l'agonie sous les glaces du cercle polaire...
Une traque qui prend des allures aussi de «vacances», de détente, de bonheur, des moments libérateurs, de franche camaraderie : «...la camaraderie des hommes qui frôlant chaque jour la mort, avaient besoin du regard d'un frère d'armes pour se sentir encore en vie.»
Andreï Makine fait une allusion très émouvante aux traumatismes dont souffrent les soldats embourbés dans les guerres, témoins de violences trop souvent insoutenables.
«Cette nuit-là – je le comprendrais plus tard – nous étions au plus près de ce qu'il y avait en nous de meilleur.»
Andreï Makine décortique l'âme humaine; la psychologie des personnages est poussée, il met en scène des hommes confrontés à leurs démons, que nous apprenons à connaître au fil des pages. Il y a Pavel, le narrateur, à qui je me suis très vite attachée, qui fait preuve d'empathie à l'égard de ses coéquipiers et de l'évadé, Louskass, un être saturé de sang, Ratinsky, le premier de la classe, arriviste, attaché à son supérieur ...pour ne citer qu'eux. Et bien sûr, l'évadé, personnage héroïque, connaissant très bien la taïga et ses ressources ...mais je m'arrête là, au risque d'en dire trop et de vous spoiler !
L'auteur s'inquiète aussi pour notre monde, et à travers ses mots très justement choisis, le lecteur ne peut que se sentir concerné...Pavel Gartsev aspire à quitter la méfiance, la trahison, l'agressivité, la perfidie, une «vie démente déformée par une haine inusable et la violence devenue un art de vivre, embourbée dans les mensonges pieux et l'obscène vérité des guerres.» ...à retrouver la tendresse, la simplicité d'une vie. Pourquoi accepter les règles du jeu, se perdre dans l'évasion suicidaire de notre monde ... alors qu'une autre vie est possible ?
Merci M. Makine pour ce très beau et émouvant moment de lecture ! Je vous avais découvert avec
le Testament français qui m'avait profondément ému...j'ai hâte de vous lire de nouveau.
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