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4,23

sur 1173 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je ne sais pas vous, mais les récits gigognes m'ont toujours fascinée. Ils ont le pouvoir, mine de rien, de nous emmener dans des terres inconnues, rien qu'en passant le relais d'un narrateur à l'autre, d'un récit à l'autre, et de nous perdre en nous charmant ou de nous charmer en nous perdant.

L'Archipel d'une autre vie est comme la flûte du joueur de Hamelin : un irrésistible appel à le suivre et à se perdre avec lui.

Au fin fond de la taïga, traversée de torrents et de bêtes farouches, au bout de l'hiver, dans les glaces sibériennes, au bord de la mer d'Okhotsk, dans l'archipel des Chantars, sur la Belitchy, cette grande île sauvage gardée par son terrible « souloï », un mur liquide de quatre mètres de haut…

Vous êtes perdus déjà ? Tant mieux ! Laissez-vous faire !

Un jeune orphelin, fils de prisonniers disparus dans le Goulag stalinien enfin dispersé, rencontre à Tougour un voyageur qui l'intrigue, le fascine. Un nomade à capuche, à la fois fraternel et mystérieux qui a l'âge d'être son père. de loin, d'abord, dans l'épaisseur de la taïga, il le suit.

Mais le suit-il ou est-ce l'étranger qui insensiblement se laisse rattraper par le jeune homme ?

Bientôt en effet, ils se rencontrent. L'homme s'appelle Pavel Gartsev ; il raconte à l'adolescent son histoire. Attentivement, sans l'interrompre, il la suit.

Pavel était soldat, dans un camp où l'armée soviétique, en pleine guerre froide, se préparait à la guerre nucléaire, en Sibérie est-orientale. Un prisonnier s'évade. Un commando de cinq hommes est nommé pour le rattraper, vivant, afin de lui infliger un châtiment dissuasif et exemplaire. Pavel, simple troufion, est le bouc émissaire tout trouvé en cas d'échec.

Mais il n'y a pas à discuter. Il les suit.

Le groupe s'enfonce dans la taïga aux derniers feux de l'été sibérien trop court. Devant eux, le fugitif marche, jamais très loin, allumant des feux multiples pour les leurrer, croisant et recroisant sa piste comme pour les égarer, ou les retrouver, à sa guise. Ils le suivent.

Mais le suivent-ils ou sont-ils subtilement menés par lui, dans une forêt dangereuse, pleine d'embûches et de pièges ? Comme dans l'histoire des Horace et des Curiace, l'évadé se laisse suffisamment approcher pour se débarrasser un à un de ses poursuivants, qui repartent pour le camp, l'un après l'autre, meurtris, sur des radeaux de fortune..

Pavel, lui, est toujours là. Il suit.

Ne comptez pas sur moi pour vous dire qui est ce fugitif habile qui se confond si familièrement avec la taïga, et semble apprivoiser l'hiver redoutable qui vient.

Mais sachez que cette poursuite obstinée va changer le cours de deux existences : celle de Pavel et celle, bien des années après, du jeune orphelin apprenti en géodésie dans la Russie devenue post soviétique. Plus de dictateur à moustache avec son enfer blanc de Kolyma, mais des capitalistes oligarques avec leurs paradis fiscaux et touristiques. Autres machines à détruire les hommes, les existences, les rêves.

Quelque cinquante ans d'histoire russe défilent en trame de fond derrière ce récit plein d'ombres menaçantes- et cependant si lumineux. Car le paysage est là, qui éclaire tout : la Sibérie est-orientale tant aimée de Makine, le pays de l'hiver aux étés si brefs, à la neige si blanche, une terre d'ours et de loups, une mer de baleines chantantes et d' îles farouches - refuge inexpugnable des exilés volontaires, fuyant la folie des hommes.

Un pays qui peut se refermer sur vous comme un piège à ours, ou vous ouvrir les portes de la vie.

L'archipel d'une autre vie. La vraie vie. Celle d'une osmose entre l'homme et la nature, pas tendre pourtant. Celle où les baleineaux viennent se faire caresser par de longues tresses noires. Celle d'un amour éternel, presque mythique, dont l'esquif à voile carrée revient, comme la barque de Tristan et Yseut, hanter ces parages de glaces et de brumes.

Suivez, à votre tour, la piste du fugitif, mettez vos pas dans ceux de Pavel.

Découvrez le courageux Vassine et son chien Almaz, Louskass le chefaillon, qui « se croyant au service d'une idée, ne supportait pas les imperfections de la vie », Ratinsky, éternel mouchard, éternel traître, éternel esclave du pouvoir en place, le rude commandant Boutov, et Elkan, du peuple toungouze, dont je ne vous dirai rien…

Découvrez la différence entre exister et vivre. Entre poursuivre et suivre. Descendez au fond de vous-même et tuez ce pantin de chiffon qui vous brouille la vue, qui vous gâche la vie.

Même s'il faut, pour cela, se perdre dans la taïga un soir d'hiver, et guetter les lueurs clignotantes de trois feux dans la nuit, cela en vaut la peine.

Suivez les trois feux dans la nuit.

Suivez-les !
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Il faut absolument lire L'archipel d'une autre vie, c'est magnifique, c'est grandiose, ça vous laisse sans voix.
Au début du livre qui est fort bien écrit et nous fait découvrir la vie en Sibérie, le régime de Staline et l'immensité de la taïga, on s'interroge sur ce fugitif plutôt inoffensif et on se demande pourquoi malgré une lecture agréable tout le monde en dit tant de bien, puis à la page 120 après une certaine révélation, la lecture s'emballe et le temps est aboli jusqu'à la toute dernière phrase.
Ce livre est un questionnement sur la civilisation : nous rend-elle plus humain ou fait-elle de nous des pantins déshumanisés incapables de réfléchir par nous- mêmes.
Une chose est sûre je suis tombée sous le charme de la plume d'Andreï Makine et si ce ne sont plus les îles Chantars, je visiterais d'autres coins de Russie et d'autres époques avec plaisir grâce à lui. Merci pour un si beau livre.
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Andreï Makine, nouveau membre de L'Académie Française, nous offre avec « L'Archipel d'une autre vie » un magnifique roman. Avec un grand talent il nous entraine dans une grande aventure dans sa Sibérie natale.

Nous sommes dans les années 1970 en Sibérie extrême-orientale, un jeune garçon rencontre Pavel Gartsev. Cet homme va commencer à lui raconter son histoire.

Flashback !

Nous sommes en 1952, l'URSS de Staline se prépare à une possible guerre atomique. Cinq soldats dont Pavel sont envoyés à la poursuite d'un évadé du Goulag. Commence alors une longue chasse à l'homme dans la taïga Russe. Dans cette nature hostile, les hommes, de plus en plus épuisés par cette battue d'un fugitif qui les tient toujours à distance, vont révéler leur réelle personnalité. Lorsque Pavel réussira à le rejoindre et connaîtra qui est l'évadé, sa vie ne sera plus la même.

Dans ce décor hostile mais magnifique, l'homme prendra conscience de la violence de notre monde et se rendra compte qu'il est du mauvais côté. Andreï Makine, car c'est bien lui le jeune garçon qui recueille le témoignage de Gartsev, nous envoie un message : arrêtez la violence, les armes, les fanatismes, les pollutions, regardé notre terre, il y a une autre façon de vivre.

L'écriture de Makine est magnifique, le style est vivace. L'auteur nous transmet son amour pour sa Sibérie et son inquiétude pour notre monde. L'histoire vous tient jusqu'à la dernière page. Un roman qu'on dévore.
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Les quelques livres que j'ai déjà lus d'Andreï Makine m'amènent à la conclusion suivante : il est explorateur !
Explorateur des mots, de la phrase habilement troussée, mais surtout de l'âme humaine, de la vie même.
J'avais tout particulièrement apprécié le livre des brèves amours éternelles, des nouvelles d'une universalité et d'une sensibilité rares. Son archipel d'une autre vie m'a entrainée dans ce que j'appellerais volontiers un western sibérien, rythmé, prenant, et magnifiquement écrit. Une réussite !

L'intérêt de ce roman est double. Certes, c'est un formidable roman d'aventure au coeur de la taïga russe extrême-orientale, c'est aussi et avant tout une quête existentielle - le tout se déroulant principalement à la fin de l'époque stalinienne, dans les années cinquante.
La traque d'un fugitif dans une nature hostile va permettre à cinq soldats de dévoiler leurs vrais visages et d'aller pour certains loin, très loin, au point de se remettre totalement en question.

Dénoncer bêtise et violence humaine, faire prendre conscience de la beauté mais aussi de la fragilité de la nature, éprouver la résistance humaine…pour donner à voir la possibilité d'une autre vision de la vie.

« Les semaines passées dans la taïga m'avaient appris un savoir-faire plus instinctif, débarrassé des raisonnements peureux qui retardent l'action. » 
« Je n'aurais jamais cru que l'homme avait besoin de si peu. »
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C'est en explorant les lectures de mes babéliamis que j'ai découvert cette petite pépite, les critiques enthousiastes et la très bonne note ayant fini de me convaincre.
Le thème m'attirait, Russie, Taïga, l'URSS post deuxième guerre mondiale et les années Staline.
Comment exister, être, dans une société déshumanisée où la seule suspicion peut vous coûter le peu qui vous reste ?
Le "1984" d'Orwell a été publié en 1949, soit peu avant la période du récit qui nous intéresse, il s'agissait d'une fiction contrairement à ce que nous propose cette lecture qui raconte une histoire plausible dans le contexte historique du livre, une histoire qui pourrait avoir été vécue.
Si vous avez vu et aimé le film "Dersou Ouzala", vous aimerez ce livre avec la même intensité, dans les deux cas, le premier rôle est tenu par la Taïga, l'une des filles de Mère Nature, le creuset qui transforme et révèle l'homme à lui-même, celui qu'il est en devenir, à condition d'oser répondre à l'appel, de "brûler ses vaisseaux".
Ce livre donne beaucoup en échange du peu de temps de lecture qu'il vous demandera, de bons questionnements, de l'introspection et, ce qui ne gâte rien, un scénario simple et passionnant.
C'est une histoire qui rayonne par sa simplicité et la justesse de son propos, il n'y aura dans ce récit ni faux semblants ni "effets de style". Les personnages du roman ne sont ni beaux ni moches, ils alternent entre le courage et la compromission, la vérité et le mensonge, l'espoir et le renoncement.
C'est une escapade très en dehors de mes lectures habituelles et que j'ai beaucoup apprécié, une rencontre que je n'étais pas censé faire, comme quoi le hasard fait souvent bien les choses ;)
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« À cet instant de ma jeunesse, le verbe « vivre » a changé de sens. Il exprimait désormais le destin de ceux qui avaient réussi à atteindre la mer des Chantars. »

Le narrateur, un jeune orphelin auquel le régime soviétique a fourni, après l'avoir privé de ses parents, une éducation et une formation en géodésie, va, par la grâce d'une rencontre avec un mystérieux inconnu, comprendre fondamentalement deux choses : que la vie qu'il mène, lui et ses semblables, est une comédie, une bouffonnerie, un théâtre, un vie « déformée par une haine inusable et la violence devenue un art de vivre, embourbée dans les mensonges pieux et l'obscène vérité des guerres »; qu'une autre vie est possible, dépouillée à l'extrême et centrée sur l'essentiel, une vie d'exilé, de banni, de naufragé, une vie surtout loin, très loin du commerce des hommes.

Cette découverte, il la doit à un homme rencontré à Tougour, un minuscule village situé aux confins de l'Extrême-Orient, un homme dont l'aura et le mystère le fascinent d'emblée :

« Son étrangeté faisait pressentir une densité insolite des heures, l'effacement des noms donnés aux êtres et aux objets… »

Cet homme, c'est Pavel Gatsev, un ancien militaire dont la vie a entièrement basculé une vingtaine d'années plus tôt en 1952, à la veille de la mort de celui qui faisait alors régner une terreur absolue sur le plus vaste empire de l'après-guerre : Joseph Staline. Alors qu'il venait de rejoindre son cantonnement, un endroit perdu dans la taïga d'Extrême-Orient où se déroulait la simulation de la Troisième Guerre mondiale, Pavel se retrouva embarqué avec une équipe réduite dans la traque d'un criminel évadé d'un camp de prisonniers voisin.
Cette traque, durant laquelle Pavel oscille entre l'obéissance, la soumission à l'ordre établi, la volonté de se faire bien voir de ses chefs, et le désir d'aider le fugitif, l'espoir qu'il s'en sorte en dépit de tout, en dépit surtout de lui-même car il sait que si la mission échoue, c'est à lui, le maillon faible, que l'on fera porter le chapeau, est un récit d'apprentissage en accéléré : la peur, la lâcheté, la soumission, la prédation y côtoient le courage, la générosité et l'altruisme au sein d'une nature sauvage et souveraine qui, par sa seule présence, rend la comédie humaine définitivement dérisoire et pathétiquement grotesque :

« Un gamin s'étonnerait : pourquoi tout cela ? Dans cette belle taïga, sous ce ciel plein d'étoiles. L'adulte ne s'étonne pas, il trouve une explication : la guerre, les ennemis du peuple… Et quand ça devient vraiment invivable, il te parle de Dieu, de l'espérance ! »

Le hasard a voulu que je lise L'archipel d'une autre vie juste après J'ai épousé un communiste de Philip Roth, et j'ai eu souvent le sentiment que ces deux livres entraient en résonance l'un avec l'autre. Les idéologies, le fantasme de pureté qui les sous-tend, les ravages qu'elles provoquent occupent une place prépondérante dans le livre de Roth. de même l'idéologie communiste et sa volonté démentielle de forger un homme nouveau sont au coeur du livre de Makine.
Incarné jusqu'à l'absurde par le capitaine Louskass, auto-proclamé garant de la pureté idéologique qui, « si ç'avait été en son pouvoir, aurait redressé tous les troncs tordus dans la taïga des environs », le désir de perfection absolue prend, chez Roth, les traits de Johnny O'Day, un homme pour qui le combat et la cause communiste l'emportent sur toute autre considération :
« Le fanatisme lui donnait l'apparence d'un homme incarcéré dans son corps pour y purger la lourde peine qu'était sa vie. »

Les deux romans s'interrogent chacun à leur manière sur le sens de la vie humaine et semblent s'accorder sur le fait que nos vies sont une longue suite d'erreurs lourdes de conséquences, de malentendus et d'illusions tenaces. Aucune foi, aucune croyance dans l'au-delà ne viennent secourir l'homme arraché par les circonstances au « confort des jeux humains ». Son salut, il ne peut l'attendre que de lui-même. Soit il s'effondre définitivement après avoir touché le fond, soit il gagne une chose très rare et très précieuse : la liberté, la vraie, celle qu'infiniment peu d'hommes et de femmes expérimentent un jour, l'absence totale de peur, le suprême détachement :

« Il faut toucher le fond, Pavel, c'est la meilleure chose qui puisse arriver à un homme. Après ma première année de prison, j'ai commencé à éprouver cette liberté-là. Oui, la liberté ! Ils pouvaient m'envoyer dans un camp au régime plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas. Leur monde ne me concernait pas, car ce n'était qu'un jeu et je n'étais plus un joueur. »

Merci à Isi (@Isidoreinthedark) de m'avoir donné l'envie de lire ce très beau livre.
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Il y a déjà quelque temps j'ai pris le temps de parcourir la Sibérie. Prendre son temps, parler du temps. Avec un autochtone, en chapka. Ou seul, enseveli sous une neige vierge. Prendre des détours, dans la vie, se perdre, dans la Sibérie. Mais pas comme un Sylvain Tesson dans le silence d'une cabane avec bouteilles de vodka. Plutôt comme un Andreï Makine dans le silence de la taïga, avec bouteilles de vodka. le temps aboli.

Indissociables, d'ailleurs, la vodka, la Sibérie et le silence. C'est une histoire de décantation, mais ça tu ne peux pas comprendre. le silence a besoin de décanter comme la vodka. Les silences sont lourds à porter, les amas de neige aussi. le silence s'abolit devant son étendue.

A travers mes lunettes embuées par le froid sibérien et par la chaleur d'une vodka, je croise le regard clair de Pavel, accompagné des autres Ratinsky, Vassine, Louskass, Boutov. Des noms bien russes. Eux-aussi parcourent la désertitude de ces lieux. Désertitude, ça me plait bien comme mot, façon d'accentuer la solitude de certaines vies désertes. Suivre les ordres. Au pays du léninisme, du stalinisme, du communisme, les ordres font office de vie même en pleine Sibérie. Un écart et hop au goulag ! En Sibérie, bien sûr, c'est là que le goulag est le meilleur. Effectivement vu de cet oeil dont une larme jaillit par ce froid piquant, cela ne change pas beaucoup, goulag ou pas, la Sibérie reste la Sibérie, les rations sont les mêmes, pas la vodka par contre. Donc vaut mieux être gardien que prisonnier. Cette petite troupe est d'ailleurs à la poursuite d'un « évadé ». Dangereux opposant politique ou simple prisonnier de la taïga ?

Une longue, très longue, très enneigée même, course poursuite, à suivre les traces de l'un et des autres, à sentir les odeurs, de mirer l'horizon à travers les jumelles du gouvernement, à chier dans un trou de neige, à boire des flasques glissées sous le manteau. Une lente, très lente chasse à l'homme. Bref, l'aventure de ces hommes s'éternise sur des jours, des semaines, des kilomètres. Mais après tout, en Sibérie cela peut occuper toute une vie, tant qu'il y a moyen de se ravitailler en vodka, tant que le silence envahit ma vie.

J'aime quand un roman prend son temps, le temps il ne reste que ça dans la vie, dans ma désertitude. J'aime quand à chaque chapitre, un auteur me donne envie de prendre un shot de vodka pour réchauffer le bout de mes doigts majeurs afin de tourner les pages encore non congelées d'une belle histoire froide. J'aime quand je peux citer « la décantation suprême du silence et de la lumière. » Je ne me remettrai jamais de cette phrase comme de certains silences. J'ai envie de me la répéter à chaque fois que j'ai fini mon verre ou qu'un frisson me fasse dresser quelques poils, la décantation suprême du silence et de la lumière. Me dire que je n'ai pas rêvé cette phrase, fantasmé cette histoire. L'ai-je réellement lu, l'ai-je vraiment vécu ?
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
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Un splendide Makine où tous les talents de cet auteur majeur sont développés. Un suspense à travers la Sibérie, des dialogues saisissants entre les protagonistes, une nature dépeinte par un maître, un bout du monde qui donne envie d'aller toujours plus loin, avec Makine bien sûr.

L'histoire est un peu comparable par sa structure à celle des poupées russes. Mais, avec Makine, les faits et actes de ses héros ne s'emboîtent pas toujours aussi facilement.

C'est d'abord l‘histoire d'une poursuite à travers la taïga d'un fugitif d'un camp soviétique en 1952. Parmi ceux qui le pourchassent, un homme Pavel, avance avec le groupe de cinq qui sent que le fuyard ne sera peut-être pas rattrappé. Cette poursuite va faire éclater tous les sentiments et contradictions des membres de ce groupe. Mais comment le raconter? Seul Makine sait le faire, à sa manière, inégalable.

Le mieux est donc de prendre la piste entre les pages du livre. Les attentes d'un lecteur de Makine ne peuvent jamais être déçues. Quelquefois, l'action met du temps pour s'installer. Ce n'est pas le cas ici, on est immédiatement saisi par la nature hivernale, par les hommes, par l'homme.

La fin, peut-être pouvant paraître peu vraisemblable, est tout simplement grandiose, Makine poussant le bouchon aussi loin qu'il le peut, allant toujours vers de nouveaux développements, pour le plaisir et l'émotions assurés de ses lecteurs.
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Pavel Gartsev a vingt-sept ans en juin 1952 ; il est sur le point d'épouser Svéta lorsqu'il surprend une conversation et comprend que c'est par intérêt qu'elle l'épousera. Une convocation du comité militaire tombe à pic, Pavel rejoint l'armée, tous le réservistes étant rappelé. Ce qui l'attend est inhumain et innommable. Dans l'immensité de la taïga, une course-poursuite s'engage, ils doivent à tout prix récupérer un évadé.
Magnifique écriture d'Andreï Makine, membre de l'Académie française, originaire de Sibérie.
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« L'archipel d'une autre vie » nous conduit dans une contrée lointaine et sauvage, aux confins de l'Extrême-Orient russe, au coeur de la taïga que longent les rugissements de l'océan Pacifique. Depuis le rivage, il est possible d'apercevoir l'archipel des îles Chantars, un lieu inhabité et hostile, protégé par un mur liquide de quatre mètres de haut, le terrible « souloï ».

Andreï Makine mêle à nouveau dans ce roman magnétique l'histoire de ses protagonistes à l'Histoire avec un grand H, en revenant sur la fin du stalinisme. Et pourtant. L'Histoire se fait plus discrète qu'à l'accoutumée et s'efface devant la géographie d'un lieu méconnu : la pointe orientale de la Russie, la taïga vallonnée que longe la mer d'Okhotsk, qui tient lieu d'écrin enneigé à un récit où la cruauté des hommes dispute à la poésie d'une nature inviolée.

Dans les années soixante-dix, un jeune étudiant géomètre russe est envoyé dans la bourgade de Tougour, en Sibérie orientale, pour y effectuer des relevés géodésiques. En partant en exploration dans la taïga, il entreprend de suivre un homme qui ne lui semble pas tout à fait inconnu. Cet homme mystérieux se nomme Pavel Gartsev, et va, le temps d'un bivouac au coeur de la forêt, lui narrer l'histoire de sa vie.

Orphelin dès l'âge de sept ans, Pavel est appelé sous les drapeaux en 1943. Il gardera de sa participation à la seconde guerre une tache de peau brulée en forme d'araignée sur le cou, marque indélébile laissée par un lance-flammes, ainsi que le souvenir indicible de carnages commis au bord de la mer Baltique. de retour à Leningrad, il commence une thèse sur la « conception marxiste-léniniste de la légitimé de la violence révolutionnaire » et épouse la jeune Svéta.

La vie de Pavel bascule en 1952, en pleine guerre de Corée, la pointe émergée de l'iceberg des tensions entre l'URSS et les Etats-Unis, qui pourraient déclencher l'apocalypse. le jeune homme est appelé en tant que réserviste à prendre part à une simulation de la Troisième Guerre mondiale, orchestrée par un état-major russe inquiet du possible déferlement du feu nucléaire américain. C'est ainsi que Pavel se retrouve dans la taïga d'Extrême-Orient afin de tester la résistance des troupes russes à un conflit atomique.

Le héros va affronter les vents contraires du destin, lors de sa participation à une mission spéciale, dont l'objet est de capturer un criminel qui vient de s'évader d'un camp de prisonniers voisin. Une équipe réduite dirigée par le commandant Boutov, et supervisée par Louskass, un membre du contre-espionnage militaire se lance à la poursuite de l'évadé. Ratinsky, un jeune officier ambitieux, Vassine, un maître-chien débonnaire et Pavel complètent la petite formation. La mission militaire, qui aurait pu n'être qu'une simple formalité, va se transformer en une authentique plongée au coeur des ténèbres.

En cette fin d'été 1952, Pavel affronte les pièges de la forêt boréale, au sein de laquelle leur proie semble insaisissable, et découvre l'insondable noirceur de l'âme humaine. Les masques tombent au cours d'une poursuite qui tourne mal et évoque chaque jour davantage un voyage au bout de l'enfer. Et pourtant. C'est la découverte la véritable identité du fugitif qui bouleversera à tout jamais la destinée du héros.

« L'archipel d'une autre vie » revient sur les tensions du début des années cinquante marquées par la prise de conscience de la possibilité d'une apocalypse nucléaire. Andreï Makine nous rappelle la paranoïa constante qui hantait l'époque, lorsqu'une simple phrase trop critique à l'endroit du régime pouvait vous conduire au goulag. Les embûches rencontrées lors de la chasse à l'homme à laquelle participe Pavel, révèlent l'ignominie et la lâcheté glaçantes des gardiens du temple stalinien, incarnés par Louskass et Ratinsky. A l'image de l'oeuvre de son auteur, le roman est hanté par le mélange d'horreur et d'absurdité constitutif du communisme.

En situant son intrigue au coeur de la taïga, Andreï Makine laisse la grâce d'une nature inviolée toucher son héros, et distille quelques moments de poésie pure au creux d'un récit habité par la noirceur humaine. Cette forêt du bout du monde devient ainsi une forme de personnage à part entière, tantôt hostile, tantôt bienveillant, qui confère au roman la beauté de la lumière de l'aube qui se reflète sur une rivière glacée avant de traverser l'ombre des bouleaux et des mélèzes.

« L'archipel d'une autre vie » est le récit d'un cheminement intérieur, celui que mène Pavel lors de son improbable épopée aux confins de la Sibérie orientale. Cette quête lui permettra d'entrevoir la possibilité d'une autre vie, une vie délivrée du joug d'un régime qui transforme les soldats en bourreaux, une vie dont il n'a jamais soupçonné l'existence, une vie fondée sur une idée parfois oubliée que l'on nomme liberté.
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