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Maritza était un leader social. le terme beaucoup utilisé en Colombie, en mode fourre-tout, désigne toute personne qui se consacre à la défense ou à la promotion de droits –les siens, ceux d'une communauté, de l'environnement, de travailleurs, etc...
Elle a était tuée la nuit du 5 janvier 2019, par 4 balles tirées à bout portant.

La plume de Malfatto est d'une grande beauté. D'une enquête journalistique sur le meurtre d'une femme de soixante et un an , mère de six enfants, elle en fait une histoire profonde et émouvante dont la trame tragique est développée avec une délicatesse époustouflante. La Colombie et ses cinq décennies d'histoire politique et sociale douloureuse qui draine sept millions de cadavres est au coeur du récit. Maritza en est une de ses victimes, où quiconque tente de se mettre en travers de puissants, ou de leurs intérêts économiques –narcotrafic, grands projets énergétiques, miniers, agricoles ou autres –, est éliminé. "Trop d'argent à gagner pour que la vie humaine fasse le poids."

Dans la Sierra, on croit aux présages et au mauvais oeil, vu que l'absurde domine la logique. Pourquoi cette mort gratuite ? Cette femme était un danger pour qui ?
Maritza est le symbole de ces personnes exterminées pour rien ou si peu dans ces pays où les droits des hommes, la justice, la vie humaine n'ont aucune valeur, où "toute action doit être, sinon approuvée, du moins tolérée par ceux qui font la loi ". Et ces "ceux" ici sont nombreux et difficile à cerner, qui est qui ? Malgré l'évidence Malfatto cherche, enquête, pour parvenir au plus près de la vérité, afin de rétablir un semblant de justice et de respect pour ces personnes qui ont eu le courage de lutter et braver tous les dangers dans un pays de non-droit absolu où on peut être condamné pour trafic de drogue, mais les crimes contre la vie humaine sont rarement retenus.

C'est son second livre que je viens de lire après l'émouvant "Que sur toi se lamente le Tigre " , et celui-ci est Un Coup de Coeur ! C'est une écrivaine et une photographe extrêmement talentueuse, bravo !

"Je pensais relater une histoire simple, chroniquer une mort annoncée. Je me retrouve face à un casse-tête colombien, je me heurte à des paradoxes et des versions contradictoires, des mensonges et des omissions, où rien n'est clair ni revendiqué, et la vérité disparaît dans cette jungle tropicale."
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Troisième livre d'Emilienne Malfatto, troisième uppercut.
Si « Que sur toi se lamente le Tigre » traitait de la condition des femmes en Irak, « le colonel ne dort pas » des fantômes hantant chaque nuit un tortionnaire, « Les serpents viendront pour toi » a pour objet d'analyse les crimes commis dans une région gangrénée par le trafic de drogue, la mafia, ainsi que par la présence et le contrôle paramilitaire, à savoir la Colombie. Terre du café, du cacao, du coca…de la marijuana aussi.
La marque de fabrique d'Emilienne Malfatto est celui de récits très courts dans laquelle la plume est étonnamment poétique pour mieux dénoncer l'horreur. Sa crédibilité s'appuie sur son métier de journaliste de guerre : elle sait de quoi elle parle, elle enquête, elle creuse le sillon. Elle n'invente pas, elle rend compte et nous invite, avec douceur mais fermeté, à ouvrir les yeux et à regarder.
Contrairement à ses deux autres livres où elle a choisi la voie du roman, ce livre-là se distingue par son style clairement journalistique. Dans ce récit, résultat d'une enquête délicate menée à l'automne 2019 et dont l'écriture a eu lieu au printemps 2020, l'auteure s'adresse directement à une femme assassinée. Un rapport, une enquête, certes, mais la plume reste simplement et poétiquement belle.

« Les corps sont secs, les visages marqués. On croise parfois des familles indigènes, Koguis ou Arhuacos, tout de blanc vêtus, les pères tiennent des poporos – des calebasses remplies de coca et de coquillage écrasés. La végétation est exubérante, folle. Quelque chose de magique. C'est le pays des trésors indiens, des villes perdues et des jaguars ».

Emilienne Malfatto veut comprendre pourquoi, et par qui, a été assassinée une femme de soixante et un an, Maritza Quiroz Leiva, le 5 janvier 2019. Quatre balles à bout portant sur le seuil de sa maison en pleine jungle colombienne, dans la Sierra Nevada, alors que son fils se terre, terrifié, sous un lit. Maritza était une leader sociale, mot un peu vague pour désigner une personne militante, « une personne qui se consacre à la défense ou à la promotion de droits – les siens, ceux d'une communauté, de l'environnement, de travailleurs, etc… ». de prime abord Emilienne Malfatto pense que c'est ce statut d'agitateur, caillou dans la chaussure de certaines personnes d'influence, qui explique ce meurtre. « Une chose, en tout cas, est certaine : dans ce territoire d'influence – de contrôle – paramilitaire, toute action doit être, sinon approuvée, du moins tolérée par ceux qui font la loi ».


Mais son enquête, qui l'amène à côtoyer les enfants de Maritza, ses connaissances, ses voisins, des paramilitaires et même d'anciens trafiquants de drogue, montrera que d'autres hypothèses peuvent être avancées au fur et à mesure que l'auteure tire sur le fil de sa vie et met en lumière la situation politico-économique locale. Au fur et à mesure qu'elle sent les gens lui mentir et que sa paranoïa grandit. La complexité de ce territoire montre à quel point le mobile du crime est flou et pas aussi évident qu'il n'en avait l'air au départ, et peut même avoir plusieurs causes.

« Je pensais relater une histoire simple, chroniquer une mort annoncée. Je me retrouve face à un casse-tête colombien, je me heurte à des paradoxes et des versions contradictoires, des mensonges et des omissions, où rien n'est clair ni revendiqué, et la vérité disparait dans cette jungle tropicale ».

Ce récit, au-delà d'honorer courageusement la mémoire de Maritza en faisant toute la lumière sur son crime, est aussi l'occasion de prendre conscience de l'horreur vécue dans cette région sur laquelle planent des ombres terrifiantes et qu'on ne distingue pas toujours les unes des autres, changeant constamment de noms et de costumes au point de ne plus savoir qui est qui. Des monstres, devrait-on dire. Comme cet « El Taladro », ce patron de toutes les organisations criminelles mafieuses et narcotrafiquantes locales, dont la citation posée à part, tellement glaçante que je n'ai pas envie de la remettre dans ce retour, en dit long sur sa puissance, l'ampleur de sa mainmise sur la Sierra Nevada et les exactions commises.
La géographie particulière explique cette tension extrême. Un territoire ouvert sur la mer, au pied de la montagne, et longée par une route qui traverse le pays d'est en ouest, du Panama au Venzuéla, le long de la côte. C'est ainsi un territoire source de corruption et de trafics. La délation fait souvent le reste.


Dans ce pays le surnaturel fait partie du quotidien, comme une poudre de réalisme magique adoucissant, un peu, la misère et la violence, réalisme magique dont les auteurs sud-américain ont seuls le secret. Les serpents, présage de mort apparaissant dans nos rêves avant le moment fatidique en Colombie, viendront tous nous hanter le moment venu. Ce titre semble être une incantation lancée tel un sort par Emilienne Malfatto au tueur de Maritza, tueur qu'il lui semble avoir entrevu…Qu'il en soit ainsi également aux auteurs de centaines de crimes commis, encore aujourd'hui chaque année en Colombie, à l'encontre de toutes ces personnes qui tentent courageusement de défendre leurs droits dans une région explosive et dangereuse.

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La journaliste italienne Emilienne Malfatto avait écrit en 2020 un roman bouleversant « Que sur toi se lamente le Tigre », un vrai coup de coeur.
Je n'ai donc pas hésité une seconde à lire Les serpents viendront pour toi , qui s'est vu décerner en 2021 le prestigieux Prix Albert-Londres.
Si on retrouve le format court de moins de 150 pages, tout diffère. Tout d'abord, Les serpents viendront pour toi n'est pas un roman, mais le récit du reportage réalisé par la journaliste, qui s'exprime à la première personne, sur la trace de Maritza, mère de famille de six enfants, tuée sur le seuil de sa maison perdue dans la jungle tropicale en Colombie, le 5 janvier 2019, à l'âge de soixante-et-un ans.
Emilienne Malfatto va s'attacher à comprendre les raisons de cet assassinat, interroger les proches, les voisins. Est-ce parce que Maritza était une leader sociale, citoyenne qui faisait valoir ses droits à la terre ?
Le livre est riche d'enseignements sur les FARC, l'État colombien, les narco-trafiquants, il n'est pas aisé de démêler les fils des intérêts de chacun sans risque pour sa vie.
Cependant, j'ai regretté l'approche journalistique choisie par l'auteure, qui m'a laissée à distance de la vie de Maritza et de ses enfants. J'aurais préféré qu'elle redonne vie à Maritza en lui donnant la parole ou à l'un de ses enfants. Emilienne Malfatto m'a semblé osciller entre les styles, distillant ça et là de belles réflexions sur les liens familiaux et les mythes personnels que chacun se crée au sein d'une famille, mais j'en aurais voulu plus. Un récit pas complétement abouti de mon point de vue.
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"Que sur toi se lamente le Tigre" et "le colonel ne dort pas" sont des romans, presque des contes, sans lieu ni date précis.
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Ici rien à voir, on est dans le récit d'une enquête, celle que va mener l'auteure autour de la mort de Maritza, colombienne, engagée sociale et victime du conflit armé.
Je peux imaginer que lorsqu'on a apprécié l'un ou l'autre de ses romans, on puisse être déstabilisé par ce texte. Moi je l'ai trouvé passionnant. J'ai découvert la Sierra Nevada de Santa Marta, paysage magnifique du nord de la Colombie, montagneux (+ 5000 m d'altitude à moins de 40 km de la mer !), rugueux et riche pour ceux qui veulent cultiver. Mais surtout violent. Partagé entre Farc, narco trafiquants, paramilitaires.... au point de ne plus savoir qui est qui. Ce qui est sûr c'est que les paysans sont les premières victimes.
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Je sais que la Colombie est l'un des pays les plus violents au monde. Je le sais. Mais ça reste théorique. Là on va suivre Maritza et sa famille et cette violence va prendre une épaisseur, une réalité, une douleur....
Une enquête, une quête qui va nous raconter Maritza et sa vie avec son mari, ses enfants, les cultures vivrières et les groupes armés. La violence quotidienne. Sans cause, sans raison. Puis Maritza sans son mari, qui doit nourrir ses enfants.... Maritza dont l'objectif est de vivre dignement de son travail de la terre. Maritza qui va en mourir.
Un texte que j'ai apprécié, qui m'a fait toucher une réalité si loin de mon quotidien. Un récit qui m'a fait découvrir une femme marquante.
J'ai vivement apprécié ce texte dont je vous conseille la lecture.
Lu et apprécié également par mes deux filles....
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En choisissant d'enquêter sur l'assassinat de Maritza Quiroz Leiva, survenu le 5 janvier 2019, Emilienne Malfatto, journaliste française indépendante, va se confronter à l'histoire trouble de la Colombie. Un pays connu pour avoir été durant longtemps le premier producteur mondial de cocaïne et où le narcotrafic fait, aujourd'hui encore, la loi. Un pays ravagé par la violence et la corruption, dans lequel guérilleros et paramilitaires se livrent une guerre sans merci, sans se soucier des victimes collatérales à leurs conflits d'intérêts. Un pays où une vie humaine se monnaie à hauteur de cinq cent mille pesos, soit 114€, et où une simple délation peut suffire à éliminer un rival ou un voisin mieux loti…

Dans un pays gouverné par le chaos, où rien ne semble avoir de sens, difficile de comprendre toutes les motivations qui peuvent conduire au meurtre… Ainsi, lors de l'assassinat de son mari Alvaro, en juin 2004, Maritza n'a d'autre choix que de fuir “El Encanto”, sa maisonnette perdue au coeur de la Sierra Nevada, avec ses 6 enfants, devenant alors “une déplacée par la violence”, une victime du conflit armé. Elle trouve refuge à Santa Marta, dans sa belle famille, un refuge tout relatif dans lequel s'exerce une autre forme de violence, celle administrée par celui qui se sait en position de force et qui vous laisse encore plus démuni…

Mais, en femme battante et courageuse, Maritza parviendra à s'extraire de sa condition miséreuse pour se lancer, plus tard, dans un combat visant à protéger les victimes, comme elle, du conflit armé et plus particulièrement les femmes. Elle deviendra “leader social” et fera entendre sa voix en dépit du danger. Est-ce ce nouveau statut qui a motivé son assassinat ou une parcelle qui faisait des envieux, ou encore une présence gênante pour le narcotrafic? C'est ce qu'Emilienne Malfatto tente de démêler dans ce récit enquête glaçant mais ô combien passionnant!

Le texte est très court (123 pages) et se lit d'une traite. Dans un pays où règne la loi du silence et où un mot malheureux peut coûter la vie, la journaliste d'investigation va se heurter à la peur, aux faux témoignages voire au mutisme des témoins potentiels. L'enquête sera laborieuse et périlleuse mais pas sans résultats, même si un certain nombre d'interrogations demeurent. Un récit courageux et nécessaire, qui aura au moins le mérite de permettre à Maritza Quiroz Leiva et à son combat de ne pas tomber dans l'oubli. Emilienne Malfatto a reçu le Prix Albert-Londres en 2021 pour son texte.
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Passant du félin aux reptiles, Emilienne Malfatto en profite pour changer de continent et nous plonger, avec Les Serpents viendront vers toi, dans la Colombie des FARC et autres factions rebelles.

Un pays que l'auteure connaît bien pour y avoir vécu et étudié. Un pays dont elle voit les contrastes s'amplifier chaque année, entre la Colombie des plages privées pour touristes jet setters huppés, et celle des quartiers de réfugiés où s'entassent ceux qui fuient l'insécurité et la violence de la jungle et des montagnes.

Car la trêve conclue il y a six ans avec les FARC n'a pas éteint toutes les rancoeurs. Loin de là. Elle a au contraire réveillé l'esprit de vengeance et les appétits des multiples groupuscules qui voient dans cette paix apparente, une occasion de se faire une place au soleil.

Au milieu de cet équilibre impossible, il y a la population pour qui aucun choix n'est facile : soutenir les FARC, les guérilleros indépendants ou les forces armées gouvernementales, c'est prendre le risque de se faire tuer par le camp opposé. Rester neutre, c'est être immédiatement suspect de ne pas l'être. Pour un risque identique.

C'est tout un peuple qui vit ainsi dans la peur, et quelques-uns qui tentent de se sortir de cette équation sans solution, devenant des « leaders sociaux « pour le grand public et des cibles à faire taire pour les factieux.

Grand reporter et romancière, Emilienne Malfatto choisit de conjuguer ses deux talents dans un même livre, nous emmenant sur les traces de Maritza, lâchement assassinée à la porte de sa maison pour avoir juste voulu faire valoir ses droits à un peu de terre. À un peu de stabilité. À un peu de paix.

Reportage densifié et stylisé, Les Serpents viendront vers toi est rédigé comme une adresse directe et poétique à Maritza, et comme un questionnement sans toujours beaucoup de réponses, de 130 pages.

Le plaisir de retrouver le style élégant d'Emilienne Malfatto et l'intérêt politique et sociétal de son enquête sont bien là. L'empathie et l'émotion vis-à-vis de Maritza et des siens, un peu moins, me laissant en partie à distance du livre, comme gêné dans cet entre-deux éditorial un brin frustrant. Mais avec l'envie profonde d'en savoir davantage sur cette « guerre qui ne dit pas son nom ».
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C'est une enquête décevante que nous narre Emilienne Malfatto, l'assassinat en Colombie, en 2004 de Álvaro (peut-être commandé par des voisins jaloux de son nouveau toit de zinc) et de sa femme en 2019 (plus probablement par des voisins désireux de s'approprier sa terre fertile qu'à cause de son engagement social).

Une première frustration due au peu d'indices, aux témoignages divergents (quand elle arrive à en retrouver) et une deuxième suite au peu d'explication du contexte, FARQS, groupes paramilitaires, narcotrafiquants, groupes d'Autodéfense, quel soutien américain?
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Maritza Quiroz Leiva, 61 ans, a été assassinée le 5 janvier 2019 en Colombie : Son tort ? Être défenseuse des droits humains.

Factuel !
Aucune fioriture !

Ce récit est l'histoire de sa vie méticuleusement restituée par une enquête d'investigation menée par l'autrice dont j'ouvre ici le troisième ouvrage, les deux précédents étant des références pour moi.

Intriguée par ces assassinats plus nombreux chaque année, Emilienne Mafalto choisit de rendre hommage à ces héros du quotidien, éliminés méthodiquement par un système bien institué, en allant écouter, dès 2019, ceux qui avait connu Maritza pour lui livrer, posthume, le fruit de son travail appliqué, comme pour faire une offrande à une suppliciée.

Lui livrer, parce que c'est bien à elle qu'elle s'adresse, directement, sans filtre, factuellement, sans même corriger les incohérences que les divers souvenirs, lointains pour certains, ne manquent pas de mettre en évidence.

En évidence aussi, les différences qu'elle constate entre les faits qui lui sont racontés et la perception qu'en gardait son ‘sujet d'étude' comme pour lui démontrer que n'existe pas une seule vérité quand plusieurs personnes vivent l'apparent même moment.

Et c'est PASSIONNANT !

Un monde à part, la Colombie où règnent le chaos, la guérilla, les narcotraficants et les paramilitaires qui font leur loi qui n'en respecte aucune sinon celle de la jungle que l'on parcourt avec l'autrice dans son enquête en terrain miné.
Le danger reste omniprésent.

Elle dissèque, c'est clinique, aucune place n'est laissée à l'interprétation, les faits, rien que les faits, et même multiples si tels ils sont dans les souvenirs recueillis de première main.

C'est taillé à la machette !

Elle ronge sont os pour ne laisser qu'un récit expurgé de toute contradiction qu'elle dépose sur la dépouille oubliée de celle dont elle a choisi de raconter le destin malheureusement banal dans une contrée sans foi et sans coeur.

Si le squelette de l'ouvrage est le parcourt de cette femme investie à qui on a ôté la vie, il n'en reste pas moins organique. Il sent le sang et la terre mouillée, il colle au terrain dont il extrait le terreau d'une terreur installée, l'essence d'un système enraciné dont le pays n'est pas prêt de se défaire.

A l'instar de ces prédécesseurs, c'est un livre très court (137 pages) mais c'est luxuriant, touffu, invasif et donc taillé à la machette, celle qui arme la main des guérilleros qui se donnent le droit, pas de vie, mais de mort sur ceux qui se mettent en travers de la route qu'ils se sont tracée, qu'importe le droit, qu'importe la morale, puisque droit au but telle est leur morale qui est décriée ici.

Comme le ‘chante' Orelsan, « c'qui compte c'est pas l'arrivée, c'est la quête », ici, c'est  l'enquête et si elle mène à une voix sans issue (on est en plein monde du silence), elle nous est racontée quand même, l'échec fait partie intégrante du chemin et sans cesse, sur le métier il faut remettre l'ouvrage.

Lauréate du prix Albert Londres pour cet ouvrage, Emilienne Mafaltto, une fois de plus a enfilé ses gants de boxe pour appuyer là où ça fait mal, ici c'est un reportage quand ses autres publications étaient des romans mais le plaisir de lecture reste intact une fois dissipée la douleur d'un propos toujours choisi difficile.
 
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Les serpents viendront pour toi, un titre qui résonne comme une funeste prédiction...

Je lis habituellement peu de livres de non-fiction, mais cet ouvrage a retenu mon attention lors de la dernière opération masse critique de Babelio pour deux raisons :
- d'abord car il a été écrit par Emilienne Malfatto, l'auteure de « Que sur toi se lamente le Tigre » qui a reçu le prix Goncourt du Premier Roman et qui a fait l'objet de très belles critiques de la part de certains amis babéliotes,
- ensuite car le thème abordé, l'assassinat des « leaders sociaux » en Colombie, m'était inconnu, et j'étais curieuse d'en apprendre davantage à ce sujet.

Car en Colombie, malgré l'accord de paix conclu entre les FARC et le gouvernement en 2016, des centaines de leaders sociaux, (responsables associatifs, travailleurs sociaux, syndicalistes... ou pour reprendre la définition de l'auteure : « toute personne qui se consacre à la défense ou à la promotion de droit ») sont assassinés chaque année sans que les responsables soient retrouvés ou condamnés. Ces vies brisées semblent avoir bien peu de valeur aux yeux des autorités qui tentent de minimiser ce phénomène : « En décembre 2017, le ministre de la Défense a déclaré publiquement que l'immense majorité des assassinats de leaders sociaux étaient le résultat de disputes de voisinage et d'affaires de jupons ».

Pour incarner toutes ces victimes qui meurent dans la quasi-indifférence et qui retombent aussitôt dans l'anonymat, ne représentant qu'un numéro parmi les statistiques, Emilienne Malfatto a choisi de raconter l'histoire de Maritza, assassinée en 2019 dans sa ferme perdue au milieu de la jungle de la Sierra Nevada. L'auteure va mener une enquête minutieuse au plus près du terrain, en visitant les lieux dans lesquels elle a vécu et en rencontrant ses proches, les personnes qui l'ont côtoyée, et peut-être même son meurtrier, pour tenter de démêler les fils de cette histoire et comprendre les raisons de ce meurtre révoltant.

A travers cette enquête, l'auteure nous fait découvrir le contexte politique complexe de ce pays. Si depuis la fin officielle du conflit avec les FARC, certaines villes côtières de Colombie sont devenues une destination prisée des touristes, derrière l'image de carte postale et de sécurité apparente, se cache une réalité plus sombre.

De son écriture à la fois sobre et percutante, Emilienne Malfatto dépeint cet univers de violence dans lequel la population se retrouve prise en étau entre les FARC et les paramilitaires. Un monde dans lequel les narcotrafiquants règnent en maîtres, et dans lequel la recherche de la vérité peut s'avérer dangereuse.

Merci à Babelio et aux éditions les Arènes pour cette lecture puissante et poignante.
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La ferme.
Je suis restée bloquée sur ce mot tout au long de la lecture. Avec un point d'exclamation à sa suite, l' expression prend un tout autre sens... et pourtant c'est ce qui a été. On t'a fait taire Maritza. Pourtant la ferme était tout ce que tu voulais. C'était à peine une ferme, « une masure de béton et de bois perdue » un lopin de terre pour avoir un toit et y nourrir tes enfants après tant de souffrances. La ferme s'est refermée sur toi. En pleine nuit. Deux coups de feu.
Un récit hommage au courage des femmes. Celui d'une mère, celui d'une journaliste qui ne veut pas que cette mère soit à jamais oubliée, en Colombie et par-delà les mers. Maritza, aujourd'hui je connais une partie de ton histoire. Une page se referme, pas l'espoir. Il en faudra tant que la drogue aura plus de prix que la vie humaine, que les hommes privilégieront la violence à l'amour.
« Là-haut, depuis cette maison d'où on a la sensation de dominer le monde, j'ai pensé que, peut-être, les gens pouvaient changer. »
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