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EAN : 9782741301318
173 pages
Criterion (14/12/1994)
4.5/5   4 notes
Résumé :


Les enfants heureux n'ont pas d'histoire jusqu'au jour où ils deviennent des adultes malheureux et leur histoire est alors celle d'un âge d'or perdu. C'est l'expérience que fit Katherine Mansfield à la mort de son frère en 1915 sur le front.

Le bonheur oublié de son enfance néo-zélandaise ressuscita en elle sous la forme d'un hymne à l'enfance dans Prélude et Sur la baie, deux journées dans la vie de la famille Burnell.

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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Prelude
Première publication : Hogarth Press - Juillet 1918
Traduction : J.G. Delamain pour Stock

ISBN : non utilisé à l'époque de parution de cette nouvelle

Cf. aussi Katherine Mansfield dans "Littérature anglo-saxone & anglophone" sur le forum Nota Bene Culture Littéraire

Avec "Sur La Baie" et "La Maison de Poupées", "Prélude" est, sans conteste, l'une des nouvelles les plus intimes de cette très grande spécialiste du genre que fut Katherine Mansfield. On peut y voir le premier chapitre d'une sorte de trilogie dédiée à la vie familiale de l'auteur enfant, en Nouvelle-Zélande. Mais, comme toujours, Mansfield use de son art parfait de la litote et du non-dit pour nous dévoiler, très lentement, par petites touches impressionnistes et parfois pointillistes, comment, enfant, elle voyait sa famille et ce qu'elle apercevait et pressentait de la vie apparente mais aussi et surtout secrète de ses membres.

Dans les trois nouvelles citées, toutes rédigées à la troisième personne, Mansfield, c'est la petite Kézia, enfant que l'on sent déjà profondément rêveuse, toujours prête, non pour faire l'intéressante mais parce que son cerveau est ainsi fait, à se poser des questions qui dépassent son âge, profondément attachée à sa grand-mère, la vieille Mrs Fairfield, et consciente, au plus profond d'elle-même, du narcissisme de sa mère et, ce qui s'avère plus grave parce que, en général, on ne fait cette pénible découverte qu'avec le recul de l'âge adulte, que ce narcissisme empêche la belle et dolente Linda Burnell d'aimer réellement ses enfants - et moins encore, si cela est possible, Kézia. A croire que, des tréfonds de son égoïsme tranquillement assis sur le sens des responsabilités de sa mère et la dépendance financière de sa jeune soeur, Beryl, encore célibataire - ce qui lui assure une domestique supplémentaire mais non rémunérée - Linda perçoit que sa cadette la voit telle qu'elle est et pressent peut-être qu'un jour, elle la dépeindra d'une plume où, sous l'amertume, se retrouve cette tendresse d'écorchée vive qui demeure pour toujours l'apanage de l'enfant que sa mère n'a jamais aimée. Un portrait qui, l'on peut en être certain, a assuré l'immortalité du chef-d'oeuvre à cette femme si imbue de sa valeur mais qui ne lui aurait pas plu ...

A la faveur d'un déménagement qui transporte la famille de la ville à la propriété que vient d'acquérir Stanley Burnell, à la campagne, Mansfield nous annonce la couleur pratiquement dès le départ, lorsque Linda laisse ses trois filles derrière elle en disant à sa mère et au conducteur du chariot que, pour l'instant, elle ne veut prendre que "des choses absolument nécessaires", celles qu'elle ne veut "absolument pas perdre de vue." Deux paragraphes plus bas, elle se permet un petit rire étrange en suggérant, pour l'édification des trois petites, vaguement inquiètes : "Nous n'avons qu'à les laisser, tous simplement ; nous n'avons qu'à les abandonner." Heureusement que la grand-mère est là, pour surveiller les dérapages de sa fille - celui-ci n'est et ne sera pas le dernier - et qu'une voisine, d'origine allemande et de confession juive, Mrs Samuel Josephs, brave femme sans prétentions, propose de veiller sur les petites et de leur offrir le goûter et l'abri jusqu'à ce que Pat, le charretier, puisse passer les reprendre, ce qui ne pourra se faire qu'à la nuit.

On le comprendra peu à peu lors des échanges avec Stanley Burnell, un brave garçon sans imagination, qui aime son confort, Linda éprouve - mais ne la feint-elle pas ? - un minimum d'affection pour son mari, en qui elle voit avant tout l'homme idéal pour l'entretenir. Mettre des enfants au monde ne lui est guère agréable bien qu'on puisse douter qu'elle n'ait eu personne, en sus de sa propre mère et de sa soeur, pour s'occuper des siens tant qu'ils étaient bébés. Les couches sales et les réveils nocturnes, à notre avis, ce n'étaient pas pour Linda Burnell ... Mais l'on a l'impression très vive que, ces enfants (Isabel, Charlotte, dite Lottie et Kézia), elle ne les a eues que parce que, comme me dit un jour ma propre mère, "il faut bien en avoir." (Je vous laisse imaginer le bonheur de l'enfant devenu adulte qui apprend la chose : c'est des plus gratifiant ... :o) ) Tout le monde en a eu, en a ou en aura : Linda Burnell en a donc. Leur ayant accordé ce cadeau sans prix qu'est l'existence en ce monde merveilleux, elle les laisse vivre leur vie sans se soucier beaucoup d'elles, sous la surveillance de ceux qui la dorlotent elle-même, mais à condition toutefois qu'elle, Linda, ne passe jamais après ses enfants.

De Stanley, le père, on ne saurait dire grand chose, sinon répéter qu'il pense peu (même s'il a un poste confortable et gère avec finesse ses avoirs) et aussi qu'il voue à Linda une quasi adoration. Lui donne-t-il du plaisir, c'est une autre histoire mais ce parfait exemple physique de l'Anglo-Saxon rural - grand, charpenté, blond - prend le sien et n'est-ce pas là l'essentiel ? A quelques phrases, à quelques silences, à quelques descriptions pénétrantes de Mansfield sur les parties de cribbage qu'il fait avec Béryl, on se doute bien qu'il flirte plus ou moins avec elle. Rêve-t-il d'en faire sa maîtresse ? Dans "Prélude", pas encore : Stanley aime sa femme, y compris charnellement, et puis, jamais il ne troquerait sa tranquillité familiale contre des histoires aussi compliquées. Quant à Béryl, c'est simplement une jeune fille qui aime à faire sa coquette comme elle le faisait en ville avec ses soupirants. Même si l'on se risque parfois à s'interroger sur le plaisir qu'elle prendrait à piquer le cher Stanley à Linda, ne fût-ce que le temps d'une aventure.

Comme sa soeur avant elle mais avec, il est vrai, une prescience moins nette des réalités physiques, Béryl, qui est aussi jolie fille, fantasme sur l'homme qui la rendrait heureuse pour toute la vie, cela va sans dire. Rêveuse, fantaisiste, poète et musicienne à ses heures (sa nièce Kézia, qu'elle n'apprécie pourtant pas particulièrement, lui doit sans doute quelques bribes de ce que sera la future Katherine Mansfield), Beryl est assez intelligente pour avoir conscience de jouer toujours un rôle. Mais après tout, elle s'ennuie tellement, coincée entre la solitude de cette nouvelle maison, les tâches ménagères, l'aide à sa mère (qu'elle aime), la surveillance des domestiques (l'une des rares activités où elle se complaît) et, bien entendu, celle des enfants. Cette sensation d'être une sous-Sarah Bernhardt perdue au fin fond de la Nouvelle-Zélande la dérange quelquefois - quand elle écrit à Nan par exemple, une amie demeurée à la ville et beaucoup moins jolie qu'elle ... Mais elle ne saurait y résister : c'est inné. Et cela l'aide sans aucun doute à supporter son existence ...

Ce qui impressionne d'emblée dans cette très belle nouvelle, qui ne sera, dans la trilogie, surpassée que par "Sur la Baie", c'est le manque de tendresse des deux parents pour leur progéniture. Béryl n'a pas non plus l'âme d'une tante digne de ce nom. En fait, tout l'Amour, toute la Tendresse, toute la Responsabilité au sens large de la famille et de la maison reposent sur le Pilier qu'est Mrs Fairfield, une petite femme jadis fort belle mais désormais ratatinée bien que toujours active, allant et venant sans cesse, entre ses confitures, le ménage, le rangement, les préoccupations matérielles ... et faisant, on le devine, toujours face. Un rôle ingrat, jugeront certains. Et ils n'auront pas tort. Mais ce rôle est primordial (tout particulièrement dans le développement des enfants et plus encore pour la formation de la future Katherine Mansfield,) et le lecteur ne peut s'empêcher de penser à ce qu'il adviendra de la famille Burnell au jour du décès de Mrs Fairfield.

Kézia, cette petite énigme si sensible, y a-t-elle déjà songé ? ...

Du style de l'auteur néo-zélandaise, on connaît l'incroyable attention apportée aux détails et à la description de la radieuse beauté de la Nature. Nous lisons certains des mots utilisés pourtant si naturellement comme nous dégusterions avec plaisir de délicieux bonbons acidulés ou fruités, mais au goût toujours sans égal. Dans le royaume de "Prélude", la pluie elle-même est un soleil et les phrases, bien que courtes ou moyennes en général, se déroulent comme les plus labyrinthiques créations de Saint-Simon ou de Marcel Proust. Mais là où nos deux auteur français disent tout (ou presque), Mansfield, Grande Prêtresse de la Nouvelle, sous-entend, glisse un mot, un rai de lumière ou une pointe de grisaille, se tait abruptement, nous incite à revenir sur les blancs qu'elle sème à plaisir (ou par pudeur ?) et nous fait découvrir finalement, d'un bout à l'autre de son oeuvre, ce qui a dominé son enfance et ce que "Prélude" restitue si bien : à savoir l'Impalpable et l'Indicible. Oui, n'en déplaise à Charles Dantzig, ce qui est indicible peut s'écrire : Katherine Mansfield nous le prouve avec un incroyable naturel.

Pour atteindre à un tel résultat, il faut appartenir à la race des Très Grands Ecrivains. Et Katherine Mansfield, dont l'oeuvre, dominée par les nouvelles, ne comporte qu'un "Journal" (où elle évoque pêle-mêle son amour de l'écriture, la difficulté de son travail ainsi que le Groupe de Bloomsbury, dont elle fit partie) ainsi qu'une correspondance avec son époux, John Middleton Murray, était née sous cette Etoile aussi fastueuse que capricieuse. Pour nos plus grand plaisir - et avant tout pour le vôtre, nous l'espérons. ;o)
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[...] ... - "Hou !" s'écriait Kézia, les bras étendus. La grand'mère sortit de l'entrée obscure, tenant une petite lampe. Elle souriait.

- "Vous avez trouvé votre chemin dans la nuit ?" dit-elle.

- "Tout-à-fait bien."

Lottie titubait sur la marche comme un oiseau tombé du nid. Si elle restait un instant immobile, elle s'endormait ; si elle s'appuyait contre quelque chose, ses yeux se fermaient. Elle ne pouvait pas faire un pas de plus.

- "Kézia," dit la grand'mère, "est-ce que je peux te confier la lampe ?

- Oui, ma grand'mère."

La vieille dame se pencha et remit entre ses mains la chose brillante et vivante puis, prenant Lottie ivre : "C'est par ici."

Elles allaient à travers une entrée carrée, encombrée de paquets et de centaines de perroquets (mais les perroquets n'étaient pas sur la tapisserie) le long d'un étroit corridor où les perroquets persistaient à dépasser au vol Kézia et sa lampe.

- "Soyez très sages," recommanda la grand'mère. Elle déposa Lottie et ouvrit la porte de la salle-à-manger.

- "Pauvre petite maman a une telle migraine !"

Linda Burnell, dans sa chaise longue de rotin, ses pieds sur un coussin et un plaid sur les genoux, était étendue devant un feu crépitant. Burnell et Béryl, assis à la table du milieu, mangeaient un plat de côtelettes grillées et buvaient le thé d'une théière en porcelaine brune. Appuyée derrière le dossier de la chaise de sa mère, Isabelle, un peigne entre les doigts, relevait, gentiment absorbée, les mèches du front maternel. En-dehors de la flaque de lumière produite par la lampe et le feu, la pièce s'étendait nue et sombre vers les fenêtres creuses.

- "Est-ce que ce sont les enfants ?" mais cela n'intéressait pas vraiment Linda. Elle n'ouvrit même pas les yeux pour les voir. ... [...]
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[...] ... Il n'y avait pas un pouce de place pour Lottie et Kézia dans la voiture. Quand Pat les posa au sommet du tas de bagages, elles oscillèrent. La grand'mère en avait plein les genoux et Linda Burnell n'aurait jamais pu tenir sur les siens un de ses morceaux d'enfants, même pour un bout de chemin. Isabel, très supérieure, perchée à côté du nouveau domestique sur le siège du cocher. Fourre-tout, valises et caisses s'empilaient au fond. "Ce sont des choses absolument nécessaires que je ne veux pas perdre de vue un seul instant," dit Linda Burnell, la voix tremblante d'excitation et de fatigue.

Lottie et Kézia se tenaient sur le gazon, juste à l'intérieur de la grille, prêtes pour l'événement, dans leurs paletots aux boutons frappés d'une ancre, sous leurs petits bérets enrubannés d'un nom de cuirassé. La main dans la main, les yeux ronds et graves, elles regardaient fixement d'abord "ces choses absolument nécessaires", puis leur mère.

"Nous n'avons qu'à les laisser, tout simplement ; nous n'avons qu'à les abandonner," dit Linda Burnell. Un étrange petit rire s'échappa de ses lèvres ; elle s'appuya en arrière, contre les coussins de cuir capitonnés et ferma les yeux. Le rire faisait trembler sa bouche. Heureusement, Mrs Samuel Josephs, qui avait suivi la scène derrière le store de son salon, arrivait en se dandinant le long du sentier du jardin.

- "Bourguoi ne pas laisser les enfants, Mrs Burnell ? Ils bourraient aller sur la voiture du gamionneur quand elle bassera ce soir ! Ces choses qui sont dans le chemin doivent bien bartir, n'est-ce bas ?

- Oui, tout ce qui est dehors est censé s'en aller," dit Linda Burnell en agitant une main blanche vers les tables et les chaises posées la tête en bas sur le gazon derrière la maison. Comme elles avaient un air absurde ! Ou bien elles auraient dû être dans l'autre sens, ou bien il aurait fallu que Lottie et Kézia se tinssent elles aussi la tête en bas. - Linda avait envie de dire : "Mettez-vous la tête en bas, les enfants, et attendez le camion !" Cela lui semblait si délicieusement drôle qu'elle ne pouvait pas écouter Mrs Samuel Josephs. ... [...]
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Vidéo de Katherine Mansfield
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : « Je ne parle pas français », in Katherine Mansfield, félicité, traduit de l'anglais par J.-G. Delamain, préface de Louis Gillet, Paris, Stock, 1932, p. 57.
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