Regards en dessous
Extrait 3
J'ai compris la timide salamandre
Ange rebelle de mes quatorze ans
Elle mourait étendue dans la maison de location
Rivages Alexandrins jonchés de petites chapelles
Élevées à l'ombre de la dramatique carabine
Elle mourait sous son maquillage sans cesse renouvelé
Sans plainte et sans paroles après trois siècles
De solitude
Le vaincu ne saurait vieillir
Mes cinq frères et sœurs baignaient dans le coma
Leurs voix petites vagues flammèches ourlées d'argent
Se brisaient sur mes doigts frivoles peccadilles
J'attendais l'ennui étendue
Oui
Je rêvais aux géants déjà
Je rêvais et j'en rêve encore
Pourquoi dois-je mourir avant
Ma mère avait peur de la mort
…
Une mangue
J'ai envie d'une mangue
J'ai horreur de ces hommes qui ne savent manger
Sans dispenser leur sagesse en postillons rapides
Tu pleures
Seul blessé et guéri par ma lèvre amie
Vois-tu un phallus se mange à la main
J'ai faim de la poussière
Il n'y a pas de logement assez vaste
Pas de siècle ni de plage assez vide à mon gré
Endormie la veille par les descendants de César
Je me déplume sans un frisson trop triste pour me défendre
Mon cœur a besoin d'une mangue
Il ne faut tuer personne
Aujourd'hui dit-on par prudence
Les yeux de l'amour sont secs
Des taches d'huile remplacent Épinal sur nos murs
Les lourdes charrettes de l'aube
Passent interminablement
Derrière l'ours en peluche
Le regard ivre du serpent
Et ma mère qui rêve en anglais loin loin
Loin la mangue et son odeur de nuit
Regards en dessous
Extrait 2
Peine sans plaie ni plumeau
De hussard
Triste mélange sur laquelle ma vie surnage
Soupe d'insectes
Luxures sonores
Ossuaires
Malheur à quiconque me rapprocherait de mon frère
Il est cinq heures passées
Loin de vous
Décompression l'enfant sort
Inspiration premier cri
Pellicule imperméable du modèle
Vous aimeriez faire
L'amour
Avec
Votre
Père
Si du désir naît la douleur difficile
Détachez mon âme de votre cou
Où elle bat à la manière d'une chemise de nuit
Sur le corps d'une toute petite flamme
À trois ans je rêvais de géants déjà
À demi réveillée dans mon duvet sans barreaux
…
Aller et retour des paillettes
Extrait 2
Il y avait une fois
Une femme
Un homme
Et puis aussi
L'argent
Ce n'est pas seulement la guerre
Lui dit elle
Droit dans les yeux sans bousculer la cloison
Vous voyez que je suis bien loin
L'enfant remplace la poupée sur mes genoux
Je l'ai appelé toute la nuit dans les boyaux du métro
J'enviais mon ami et sa belle ombre rose
Je jalousais la lymphatique
Ses beaux yeux pâles
Sa gourmandise
Je pensais aux Allemands gros mangeurs d'étoiles
Je frémissais d'énervement
L'affiche étais mauvaise
Rose rose la grande mare où vogue ma colère
Rose le manteau
De
La
Mer
L’appel amer d’un sanglot
Venez femmes aux seins fébriles
Écouter en silence le cri de la vipère
Et sonder avec moi le bas brouillard roux
Qui enfle soudain la voix de l’ami
La rivière est fraîche autour de son corps
Sa chemise flotte blanche comme la fin d’un discours
Dans l’air substantiel avare de coquillages
Inclinez-vous filles intempestives
Abandonnez vos pensées à capuchon
Vos sottes mouillures vos bottines rapides
Un remous s’est produit dans la végétation
Et l’homme s’est noyé dans la liqueur
Joyce MANSOUR – La femme surréaliste (France Culture, 2005)
L’émission « Poésie sur parole », par André Velter, diffusée le 4 septembre 2005.