« Cette réalité est incontournable : les ressources vitales telles que l'eau ont une incidence directe sur l'ensemble de la vie des femmes parce qu'elles ont été assignées historiquement au premier chef aux activités liées à le reproduction et à la survie, elles-mêmes sous domination, comme la nature. »
L'auteure commence par le point de vue situé, cette nécessaire dimension de la réflexion critique que nombre d'analystes, et en particulier les sociologues, négligent trop souvent en oubliant leur statut de dominants (ou de dominé-e-s parmi les dominant-e-s) « rendre visible le fait que la connaissance n'a rien d'objectif ou de neutre, mais qu'elle est toujours située ». Ceci est aussi adéquat pour le féminisme lui-même : « Il importe donc de réintroduire le pluriel – ici comme ailleurs : des approches féministes et des analyses de genre-, pour une meilleure compréhension des idées, des visions du monde, et surtout des alliances et des affinités qui ne se distribueront pas selon une ligne de partage de genre, homme/femme, mais selon le point de vue, amenant une compréhension/explication différenciée des rapports sociaux, du pouvoir, de la domination et de l'émancipation. » Pour réfléchir aux rapports des femmes aux ressources dites naturelles « ce sont bien les rapports de domination, du point de vue qui est le nôtre ici, ce que les femmes ont en commun avec la nature, ce n'est pas une identité, mais une position de dominées dans les rapports sociaux », sans oublier que la « nature » même est une construction sociale.
Or dans le point de vue dominant, des dominants, dans le neutre largement usité « si les femmes sont ainsi nommées, les rapports sociaux qui tendent à les exploiter, eux, ne sont ni nommés, ni analysés, ni, donc, remis en cause ».
Pour le dire autrement « La position dominée des femmes dans cette configuration des rapports sociaux ne tient pas au fait qu'elles sont des femmes, mais bien à la division sexuelle du travail où leur a été assignée la responsabilité des activités liées à la reproduction et à la survie ».
Après avoir indiqué les risques d'un écoféministe essentialiste, l'auteure résume son approche : « du point de vue de l'écoféminisme politique, par contre, qui cherche à comprendre et à rendre visible les conflits et les contradictions au coeur des rapports sociaux, ce n'est pas tant la différence entre les hommes et les femmes, ou la différence entre la nature et la culture, ou même le rapport différent des femmes à l'environnement qui doivent retenir l'attention, mais plutôt ce qu'on en fait, comment on les met en rapport : comment ces différences sont, dans un premier temps, hiérarchisées – la culture vaut plus que la nature, la production vaut plus que la reproduction -, puis utilisées pour justifier l'exploitation et la domination – si la culture vaut plus que la nature, la première doit donc déterminer la seconde et surtout, au sein du système capitaliste, son utilité. »
L'auteure ne prône pas des solutions de repli sur des particularismes, des retours « à la nature » mais des « voies multiples et diverses pour une finalité universelle ». Ce qui nécessite au moins de « doter les ressources vitales, ou ressources écosystémiques d'un statut propre qui les rende indisponibles, c'est à dire non appropriables ».
Cette ouverture combine donc la puissance subversive des analystes matérialistes féministes et le refus de la marchandisation du monde.
Je n'indique que certains autres thèmes traités dans cet ouvrage.
La première partie du livre s'intitule « Les femmes, les sciences et la nature : quand le féminisme bouscule le discours dominant ». Évelyne Peyre et Joëlle Wiels déconstruisent le « discourt savant sur la nature propre aux femmes », de la comparaison des cranes à celui des squelettes, jusqu'à la notion plus récente de race et aux développements scientifiques contemporains, dont ceux sur l'ADN et les chromosomes spécifiques, niant la complexité réelle et le continuum des formules chromosomiques ne se résumant pas aux seuls XX et XY. Les exemples exposés devrait nous obliger « à relativiser notre vision de la nature, et à admettre qu'elle est beaucoup plus variée que ce que l'on pense d'ordinaire ».
Claudine Cohen nous rappelle que « L'homme préhistorique était aussi une femme » et offre des réjouissants « Regards sur la femme des origines ».
Sylvie Chaperon traite « Des égouts et des femmes : l'hygiénisme au XIXe siècle », du traitement odieux des prostituées en regard de l'abjecte notion de « trop plein séminal » qui reste toujours d'actualité avec la persistance des analyses sur les besoins « irrépressibles » des hommes. Elle rejoint à la fin de son article la thématique de Évelyne Peyre et Joëlle Wiels en soulignant que concernant les sexes perdure « l'idée qu'ils sont différents, qu'ils naissent différents et qu'il faut assigner un sexe à un individu dès sa naissance d'après l'apparence de ses organes génitaux » et elle ajoute que qu'il y a là « une butée contre laquelle se heurte le féminisme égalitaire ».
Dans la seconde partie « Les femmes, la politique et l'environnement : de l'aide au développement à l'écoféminisme », j'ai particulièrement apprécié l'article de Marie-Dominique de Suremain « Des technologies au service des femmes : une ONG en Colombie » et son insistance sur deux points : « rendre visible le fait que le travail des femmes, ou même le surtravail des femmes remplace l'absence d'infrastructures et d'équipements » et « Un besoin pratique de genre est donc un besoin de tous qui est assigné aux femmes par le biais de leur rôle social au service des autres. » Je souligne aussi les interrogations de
Jules Falquet dans « Ecoféminisme : naturalisme ou révolution ? »
Le livre se termine par une troisième partie « Les femmes, l'eau et le travail : servitudes et émancipations »
Un apport précieux à la réflexion.