Depuis le premier soir et le premier matin, depuis la Genèse et le début des livres, le masculin couche avec l’Histoire. Mais il est d’autres récits. Des récits souterrains transmis dans le secret des femmes, des contes enfouis dans l’oreille des filles, sucés avec le lait, des paroles bues aux lèvres des mères. Rien n’est plus fascinant que cette magie apprise avec le sang, apprise avec les règles.
Comme si lire n'était qu'un geste anodin et non un acte rare et solennel réservé à un cercle d'initiés.
Prises dans la toile de la couturière, les filles rêvèrent de se marier, de parader elles aussi dans une robe de princesse, et les garçons furent bien contents. Baisers et gifles foisonnèrent. Les fleurs se laissèrent cueillir de bon cœur, ce fut une grande saison de noces précipitées et de secrets honteux. Toutes les jouvencelles en âge de procréer se trouvèrent un galant et comme tout le monde pouvait s'offrir les talents de la couturière, l'église ne désemplit pas. Le vieux curé de la paroisse maria tant de couples et baptisa tant de petits dans les mois qui suivirent les noces de Maria qu'il en mourut d'épuisement.
Maman n'a jamais su écrire qu'à l'aiguille. Chaque ouvrage de sa main portait un mot d'amour inscrit dans l'épaisseur du tissu.
Tu as mêlé ton parfum à toutes les lunes de miel du pays. Des centaines de robes blanches en tombant ont inondé les chambres nuptiales de merles, de brigands, de cavernes, de forêts, de sables et de vagues arrachés à notre voyage. En ton temps, la mer battait contre le bois des lits tandis que les amants secoués par le courant laissaient des noeuds dans leurs draps pour tout sillage.
Ce qui n'a jamais été écrit est féminin
J'ai 4 ans à peine et j'écoute les derniers mots de ma mère à l'esprit décousu. Des phrases de laine nuancées, des paroles liées au point de chaînette, de la douleur réduite en fil.
Mon nom est Soledad.
Je suis née, dans ce pays où les corps sèchent, avec des bras morts incapables d'enlacer et de grandes mains inutiles.
Ma mère a avalé tant de sable, avant de trouver un mur derrière lequel accoucher, qu'il m'est passé dans le sang.
Durant quinze ans, Anita et Juan se nourrirent de mots pour tenir parole.
Le fil. La broderie. Des enfants comme des perles taillées dans sa chair, des sourires brodés et tant de couleurs sur les tissus pour exprimer sa joie ou sa douleur. Toutes ces couleurs !